LE SOMMET DE LA COVID

Bruxelles, 15 et 16 octobre 2020

 

La résurgence de la pandémie n’a pas manqué de jeter son ombre sur la réunion du Conseil Européen de jeudi et vendredi dernier. Le Premier ministre polonais avait déjà déclaré forfait à la veille du Sommet. Sa collègue finlandaise, présente le premier jour, a dû reprendre l’avion pour Helsinki dès vendredi matin. Ursula von der Leyen, elle, n’a tenu que quelques minutes, contrainte d’abandonner la réunion dès son ouverture. Quant à son « ministre des Affaires Etrangères », Josep Borrell, il n’est même pas apparu. Tout cela pour cause de quarantaine, chacun des intéressés étant informé l’un après l’autre que tel ou tel collaborateur avec qui il avait été en contact venait d’être testé positif.

Précisément, les questions liées à la pandémie constituaient le plat de résistance de la réunion. En fait, c’est la première fois depuis l’apparition du virus sur le continent que le Conseil Européen se saisit de ce sujet majeur, aussi bien par les problèmes sanitaires qu’il pose que par ses conséquences sociales, économiques et politiques, de première importance. Il est vrai que la compétence de l’Union sur les questions de santé reste marginale : l’essentiel des mesures à prendre relèvent essentiellement des Etats membres. Du moins l’exigence d’une meilleure coordination entre eux a-t-elle été dûment reconnue, notamment sur le traçage et l’échange des données et sur le code-couleur applicable aux différents niveaux d’infection dans les zones touchées, sur la standardisation et la reconnaissance mutuelle des tests, sur les restrictions au franchissement des frontières ainsi que sur l’harmonisation des mesures de quarantaine. Plus généralement, pour éviter le retour du sauve-qui-peut du printemps dernier, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont promis de garder le contact sous forme d’une vidéo conférence régulière, si nécessaire hebdomadaire. Voilà qui n’est pas spectaculaire mais qui peut nous protéger du pire.

La journée de vendredi a été consacrée à trois « débats d’orientation ». Le premier sur le changement climatique : quelles mesures prendre, aussi bien par l’Union que par les Etats membres, pour faire en sorte d’atteindre effectivement l’objectif de réduction des émissions de 55 % en 2030, lui-même indispensable pour parvenir à la neutralité carbone en 2050. Le deuxième sur l’Afrique dans la perspective du Sommet qui doit réunir, le 9 décembre prochain, les chefs d’État des deux continents : la Commission propose de mettre l’accent sur le soutien aux investissements dans le domaine des infrastructures, notamment sanitaires et de prendre position sur les questions de financement, y inclus celle de la dette. Le troisième débat a porté sur quelques dossiers internationaux : la Méditerranée orientale et la Turquie, la Bélarus et le conflit du Nagorno-Karabagh. En marge de la réunion, Angela Merkel au titre de la présidence allemande a annoncé le report du Sommet des Vingt-Sept prévu sur la Chine le 16 novembre : pour cause de coronavirus, une fois de plus.

Last but not least, le Conseil Européen était fort attendu, du moins à Londres, sur la sempiternelle question du Brexit. Depuis l’accord sur le retrait, à la fin de l’année dernière, les grands chefs n’avaient plus eu l’occasion d’évoquer le sujet. A vrai dire, la date du 15 octobre pour s’en saisir avait été retenue parce que c’était celle à laquelle la négociation sur les relations futures entre les deux parties devait avoir abouti pour tenir le délai de la fin de l’année. Comme on le sait, tel n’est pas le cas. Trois points majeurs continuent d’achopper : la pêche certes mais surtout les conditions de concurrence entre les deux marchés et le mécanisme de gestion du traité dans la durée. Au surplus, la loi récemment adoptée à Westminster sur l’organisation du marché intérieur britannique, qui est délibérément incompatible avec l’arrangement précédemment convenu sur l’Irlande du Nord, a altéré le climat de la négociation :  à quoi sert de s’entendre avec un partenaire qui reconnaît lui-même ne pas respecter sa parole ? A tout le moins faut-il redoubler de précautions. D’où la moindre disposition des Continentaux à transiger.

Le 15 octobre, les Vingt-Sept ont donc été très clairs : ils ont réitéré avec netteté (pour ne pas dire avec raideur) l’importance qu’ils attachaient aux trois points en question ; ils ont marqué leur soutien unanime et sans réserve à leur négociateur en chef, Michel Barnier et ont chargé celui-ci de poursuivre la négociation. A peine ces conclusions connues, Boris Johnson, sans mollir, a poussé un peu plus les enchères : inutile à Barnier de revenir à Londres tant que l’Union n’aura pas « fondamentalement changé » d’approche.

Dans l’état d’esprit où sont les Continentaux et compte tenu, en tout état de cause, de l’inertie du processus de décision communautaire, les chances que Downing Street soit entendu avoisinent le zéro. Boris Johnson persiste donc dans un petit jeu qui laisse sceptique tant il est vrai que c’est le Royaume-Uni qui risque le plus, et de loin : bien sûr perdre l’accès au premier marché du monde avec toutes ses conséquences sur la désorganisation de l’économie ; mais au-delà : perdre des points de croissance qui viendraient s’ajouter à tous ceux que le Coronavirus lui enlève déjà ; et tout cela sans parler du prix politique exorbitant que coûterait une séparation sans accord, à savoir – via le problème irlandais et le réveil de l’irrédentisme écossais – rien moins que de faire éclater le Royaume-Uni. Boris Johnson s’enferre dans une posture pathétique : « arrêtez-moi ou je fais un malheur ! » Hélas pour lui, avec la situation planétaire qui empire, les Vingt-Sept ont mieux à faire.

Restons calmes. Les négociateurs du Brexit ont bien avancé.  Il ne leur reste plus qu’à franchir les derniers mètres qui les séparent. Allons les Anglais : encore un dernier effort !