Zhengxin Huo, Man Yip, Extraterritoriality of Chinese Law: Myths, Realities and the Future, The Chinese Journal of Comparative Law, 2021
La Chine est particulièrement sourcilleuse sur sa souveraineté et refuse toute ingérence étrangère. Cette attitude est inscrite dans les gènes de l’Empire du Milieu où l’Empereur règne sans partage et ne connait de relation avec le monde extérieur que tributaire, d’inclination devant le fils du ciel.
Ce sentiment s’est accentué avec les traités inégaux et humiliants du XIXème siècle. A l’instar de ce qui se pratiquait dans l’empire ottoman depuis quelques siècles (1536-1923), les Européens ont introduit en Chine au XIXème siècle le système des capitulations dans les concessions administrées par les étrangers. Les Occidentaux ne pouvaient être jugés que par des tribunaux et par des juges (ou consuls) occidentaux et selon le droit occidental. Ce système a perduré jusqu’à la seconde guerre mondiale pour disparaître peu après (1953).
C’est dire que le principe de l’extraterritorialité des lois étrangères est particulièrement mal perçu par les Chinois et que le comportement américain, en la matière, suscite désapprobation et condamnation. D’autant que les Présidents américains successifs, maintenant que la page de la croyance naïve d’une Chine devenant un pays « normal », c’est à dire occidental, est tournée, concentrent les foudres de l’extraterritorialité sur ce rival systémique susceptible de saper sa prééminence mondiale.
Deux professeurs de droit, l’un à Pékin et l’autre à Singapour, décryptent dans un article du journal de droit comparé l’évolution du droit chinois, ce glissement du refus de l’application extraterritoriale des lois étrangères à une position plus ouverte dès lors qu’il s’agit du droit chinois. Affirmation grandissante de sa puissance, riposte aux attaques juridiques américaines, défense de ses intérêts économiques et politiques menacés, application du principe de réciprocité, Pékin admet dorénavant le principe de l’extraterritorialité mais en veillant à l’interpréter et à lui donner une nature plus noble que celle du droit « impérialiste » américain. L’extraterritorialité chinoise se veut multilatérale, affiche l’ambition de construire « une communauté partageant un avenir commun de l’humanité ».
Les répercussions de l’extraterritorialité américaine sur la Chine
Avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, les tensions sino-américaines se sont exacerbées. La Chine a payé le prix fort de l’extraterritorialité américaine en 2018 lorsque l’entreprise ZTE se voit imposer une amende de 1.4 milliard de dollars pour avoir commercé avec l’Iran. Il existait déjà un précédent. Sous l’administration de Barack Obama, ZTE avait été condamnée à une amende d’un milliard de dollars pour délit de vente d’équipements à des clients iraniens, syriens, cubains et nord-coréens, en contravention avec le législateur américain.
Le montant de l’amende avait été d’ailleurs revu à la baisse, dans la logique de la transaction qui marque la pratique judiciaire américaine et de celle de la préservation de l’accès au marché américain qui fait que ZTE acceptait de payer le prix fort.
Les fondements de l’extraterritorialité chinoise
Le droit est rapport de puissances avec les États-Unis qui dominent, l’Europe qui se manifeste sur certains sujets et maintenant la Chine qui, plus forte, avec des intérêts à défendre au-delà de ses frontières, change d’attitude. En 2019, une Commission du Comité Central du Parti Communiste Chinois demandait que la mise en place d’un système légal d’application d’extraterritoriale de la loi domestique soit accélérée. D’autres textes, sur la cybersécurité, la lutte contre l’anti-espionnage ou contre les monopoles justifient l’extraterritorialité par la nécessité de protéger la sécurité politique et économique chinoise.
Un exemple de l’application extraterritoriale de la loi chinoise : l’affaire Huawei v. InterDigital Inc
Le requérant, Huawei, entreprise de télécommunications chinoise, accuse en décembre 2011 l’IDC, société américaine détenant un grand nombre de brevets sur les normes 2G, 3G et 4G, d’abuser de sa position dominante sur le marché en exigeant de manière discriminatoire des taux de redevance plus élevés. Huawei a saisi le tribunal chinois de Shenzhen en lui demandant de fixer un taux de redevance approprié et non-discriminatoire ainsi que de recevoir des dommages-intérêts de 20 millions de yens de l’IDC.
Même si les faits reprochés se situent sur le territoire américain, la Cour s’est déclarée compétente en se référant à l’article 2 de la loi anti-monopole chinoise qui inclue le lieu où les abus sont ressentis. L’entreprise américaine a été reconnue coupable de discrimination et a dû verser 20 millions de yens pour dédommager Huawei.
Conclusions
Au total, avec la compétition commerciale et géopolitique qui s’exacerbe, l’application extraterritoriale du droit prolifère, d’abord américaine puis européenne et dorénavant chinoise, elle ne manque pas d’entraver le commerce, de créer des situations d’insécurité juridique, de conduire les entreprises à devoir choisir un camp, à se positionner politiquement.
C’est l’équilibre des puissances qui peut permettre de sortir de ces atteintes à la souveraineté nationales et d’assainir un climat des affaires qui s’en trouve affecté.