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Le vendredi 26 juillet 2024, Vladimir Poutine, le président de la Fédération de Russie, a reçu Bachar el-Assad, le président de la Syrie. Cette visite n’a rien d’anodin dans les conditions actuelles. Elle permet d’abord de faire vivre l’alliance entre la Russie et la Syrie, accentuée durant la décennie dernière par la révolution syrienne. Elle montre également aux yeux du monde que le président russe n’est pas aussi isolé que le voudraient les soutiens de l’Ukraine et les institutions onusiennes. Pour la Syrie de Bachar el-Assad, c’est la poursuite d’un processus de réintégration diplomatique initiée l’année passée par sa réadmission dans la Ligue arabe. Enfin, comme lors de sa visite précédente, Bachar el-Assad souhaite aussi faire avancer les négociations de normalisation des relations bilatérales avec la Turquie.

 

Turquie – Syrie : des relations délicates

Tout d’abord, les relations entre la Turquie et la Syrie ont souvent été difficiles. D’un point de vue historique, certaines régions sont disputées par les deux États. C’est le cas de la ville d’Antioche. Sous l’Empire ottoman, cette question ne suscite que des disputes restreintes puisque la Turquie occupe une grande partie du Moyen-Orient, dont le territoire syrien notamment. Suite à la Première Guerre mondiale, la France obtient un mandat de la Société des Nations (SDN) pour le territoire syrien. Elle découpe la province d’Antioche, qu’elle nomme le Sandjak d’Alexandrette, avant de le céder à la Turquie en 1939. Depuis son indépendance, la Syrie revendique ce territoire. Plus récemment, la Turquie a annexé une zone dans le nord de la Syrie dans le cadre de sa lutte contre les Kurdes. Or, elle est perçue comme une puissance d’occupation par les populations qui ont conduit des révoltes contre elle.

Plus récemment, les relations se sont tendues en raison de la révolution syrienne, et ce d’autant plus que le gouvernement turc a très tôt apporté son soutien aux révolutionnaires avec l’espoir de renverser le gouvernement de Bachar el-Assad. Si au départ, la Turquie cherche à raisonner celui qui sera plus tard surnommé « le boucher de Damas », les fausses promesses du président syrien ont incité Ankara à soutenir les insurgés.

Durant la révolution, el-Assad a été soutenu par la Russie qui y voyait l’opportunité de raffermir sa place dans le monde méditerranéen. Elle possède une base navale à Tartous qui fournit actuellement un point d’appui à la flotte russe en Méditerranée. Toutefois, cette alliance et la présence de la Turquie dans l’OTAN n’empêchent pas Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdoğan, le président turc, de nouer une relation particulière, en particulier sur la question syrienne.

Le président russe apparaît comme un médiateur entre la Turquie et la Syrie, permettant par son action un retour à des relations bilatérales normalisées, qui étaient rompues depuis 2011. Le 7 juillet 2024, le président turc a ainsi annoncé qu’il était prêt à recevoir son homologue syrien. Cependant, certains obstacles demeurent pour une réconciliation plus générale. D’après Didier Billion, Directeur adjoint de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient, il existerait trois différends de taille entre les deux pays. D’abord, la Turquie est perçue comme une puissance occupante et Bachar el-Assad souhaite recouvrer l’ensemble de son territoire. Ensuite, Damas reproche à Ankara ses liens avec des groupuscules islamistes dans la région d’Idlib, une des dernières poches de résistance opposée au régime. Enfin, un contentieux persiste sur la question des réfugiés syriens. A ce jour, ils sont environ 3,7 millions sur le territoire turc. Bachar el-Assad ne tient pas à leur retour mais ces réfugiés sont pourtant confrontés à une hostilité grandissante du régime et de la population turcs, comme en témoigne les déferlements de haine récents à leur encontre.

Toutefois, la probabilité pour que la Turquie et la Syrie normalisent à nouveau leurs relations est assez élevée. En effet, le pouvoir turc est préoccupé par les mouvements indépendantistes kurdes à l’est de la Turquie qui prennent appui sur le nord de la Syrie à la faveur des troubles liés à la révolution. Pour Erdoğan, la normalisation des relations permettrait davantage de stabilité dans la région mais aussi une coopération sécuritaire contre les forces kurdes des deux côtés de la frontière. Ce rapprochement irait dans le sens du retour de la Syrie dans l’échiquier international.

 

La diplomatie syrienne, un retour en force ?

Au début des répressions contre la révolution syrienne, de nombreux dirigeants souhaitaient faire de Bachar el-Assad un paria pour que son régime s’écroule. Il s’est rapidement retrouvé isolé sur la scène internationale. A titre d’exemple, en 2011, la Ligue arabe a suspendu la Syrie alors que cette dernière en est l’un des membres fondateurs. Si cette organisation est souvent présentée comme une coquille vide, cette décision a tout de même eu un impact médiatique fort. Mais plus d’une décennie après, la situation a changé. La révolution a contraint le président syrien à se rapprocher de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah libanais. Les dirigeants n’ont pas appliqué leurs sanctions, tel Barack Obama, après l’attaque au gaz sarin de la Ghouta orientale. Il avait pourtant fixé l’usage de produit chimique comme une ligne rouge à ne pas franchir pour le régime syrien.

L’isolement diplomatique s’est encore réduit le 19 mai 2023 lorsque la Syrie a été réadmise au sein de la Ligue arabe. C’était un symbole fort car c’était la première fois que le pays réintégrait une instance internationale peu controversée. Pour Mohammed Ben Salman, le prince héritier de l’Arabie Saoudite, le retour de la Syrie doit permettre de créer une « paix des autocrates », selon ses propres mots, afin de développer économiquement le Moyen-Orient.

Le dynamique de réintégration syrienne semble d’ailleurs se poursuivre. Les dirigeants chypriote, grec, autrichien, tchèque, italien, danois, polonais et maltais ont demandé à l’Union européenne de créer de nouvelles relations avec la Syrie afin de pouvoir y expulser les immigrés syriens qui auraient commis des crimes sur leur sol. L’Italie a quant à elle franchi un pas de plus en nommant un chef de mission permanent à Damas, de manière à renouer des relations bilatérales avec la Syrie.

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Ainsi, la Syrie tente bel et bien de revenir dans le jeu international. Depuis sa réintégration dans la Ligue arabe, les mouvements allant dans ce sens sont plus nombreux. Mais, la paix au Moyen-Orient n’est pas encore revenue, ce qui entrave la reconstruction syrienne. Désormais, Bachar el-Assad n’est plus tout à fait maître de son territoire. Ce dernier est d’ailleurs victime de la guerre à Gaza puisqu’il est souvent frappé par Israël, lorsqu’il y a des suspicions sur la présence d’agents iraniens ou du Hamas. Enfin, la réintégration de la Syrie est loin d’être d’actualité puisque son poids reste limité sur la scène internationale et son dirigeant demeure isolé.

 

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