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  • Outre un taux de participation record aux dernières élections fédérales allemandes, les extrêmes ont fait une inquiétante percée historique.
  • Friedrich Merz, leader de la CDU, cherche à s’éloigner de la politique économique d’Angela Merkel et à soutenir des réformes pour relancer l’économie européenne.
  • Dans un contexte sécuritaire incertain marqué par le repli des Etats-Unis, Merz plaide pour un renforcement de la défense européenne.

 

Les élections allemandes du 23 février ont donné des résultats en demi-teinte. Il faut saluer le taux de participation remarquable – 82,5%, le plus élevé depuis la réunification – qui témoigne de la vitalité de la démocratie dans ce pays. On doit en revanche s’inquiéter de la montée des partis extrémistes, l’AfD à droite et Die Linke à gauche, qui progressent spectaculairement, essentiellement dans le territoire de l’ancienne RDA, et obtiennent ensemble 29,6% des voix. Quant au tassement des partis de gouvernement, il est également préoccupant car susceptible de compliquer la mise en œuvre des réformes dont notre voisin et l’Europe ont un urgent besoin.

En tout cas ces élections dans un pays clé – pour ne pas dire le pays clé – du continent ont porté au pouvoir le nouveau patron de la CDU (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne) qui fut également le rival et même « l’ennemi intime » d’Angela Merkel. A l’heure où la nouvelle donne internationale qui prévaut depuis trois ans a remis en cause la prospérité allemande et par voie de conséquence mis gravement à mal l’héritage de l’ancienne chancelière, son successeur ne sera pas gêné de revenir sur la posture qu’elle avait adopté, en clair de tourner résolument le dos à la politique de déflation compétitive qu’elle avait suivie avec tant de détermination. Celle-ci a certes permis le triomphe de la République Fédérale en matière d’exportation mais elle a entraîné quinze ans de sous-investissement en Allemagne et quinze ans de stagnation en Europe. Pratiquement, Friedrich Merz devrait donner tout son appui à la mise en œuvre des rapports Letta et Draghi qui décrivent toutes les mesures à prendre pour sortir l’Union de l’ornière où elle se trouve depuis lors, y compris la mobilisation de montants financiers sans précédent depuis le plan Marshall.

Les élections se sont aussi déroulées à un moment où l’ordre du monde menace de basculer de fond en comble. En 1989, la chute du Mur et ses suites ont certes marqué un changement de grande ampleur mais qui consistait à parachever l’ordre établi à la sortie de la Seconde Guerre mondiale sur la base de l’alliance entre l’Europe et les Etats-Unis. Aujourd’hui, avec la rupture du lien transatlantique qui se défait sous nos yeux, ce à quoi nous assistons est la fin de cet ordre. Pour l’Allemagne qui avait fait de la protection américaine la clé de voûte de sa politique étrangère, ces perspectives sont vertigineuses. Friedrich Merz aurait pu choisir de minimiser le phénomène et de s’accrocher à une lecture plus attentiste et moins dérangeante des événements. Ce n’est pas du tout son choix, au contraire. Se référant aux interventions « outrageantes » venues aussi bien de Washington que de Moscou dans la campagne électorale, il a carrément déclaré : « La priorité absolue doit être de renforcer l’Europe le plus rapidement possible afin que, étape par étape, nous obtenions effectivement l’indépendance des États-Unis ». Dans la foulée, il a même évoqué la possibilité que les forces nucléaires françaises et britanniques puissent garantir la sécurité de l’Allemagne. La République Fédérale ne nous avait pas habitué en ces matières à tant de franchise et de netteté.

L’Europe qu’il s’agit de renforcer à laquelle Friedrich Merz fait référence vise donc non seulement l’Union européenne mais aussi le pilier européen de l’OTAN, c’est à dire l’Union augmentée du Royaume-Uni et de la Norvège. Au sein de ce groupement d’Etats, la nouvelle posture américaine a déclenché une course au renforcement auquel l’Allemagne entend se joindre pleinement.

L’urgence immédiate consiste à continuer d’aider l’Ukraine à tenir son rôle de résistance avancée contre la Russie, y compris au cas où les Etats-Unis retireraient leur soutien. Cela suppose de l’approvisionner en armements et en munitions, le cas échéant dans des proportions accrues. Si un accord de paix était conclu avec la Russie, les Européens pourraient être amenés à constituer sur le terrain une force destinée à assurer sa pérennité. Plus généralement, au-delà de l’affaire ukrainienne, les pays de l’OTAN sont maintenant bien conscients de la dégradation dramatique de l’état de leur sécurité, entre une menace russe de plus en plus précise et une protection américaine de moins en moins assurée. En conséquence, il leur faut augmenter considérablement leur effort de défense, bien au-delà du niveau actuel de 2% du PIB.

Atteindre ces objectifs va coûter beaucoup d’argent à un moment où les budgets nationaux sont déjà extrêmement contraints. Les Européens sont à la recherche de tout ce qui pourrait faciliter l’accès aux financements nécessaires. La Commission européenne envisage de sortir les dépenses de défense du calcul des plafonds d’endettement autorisés. La Banque européenne d’investissement est priée d’assouplir ses règles d’engagement de façon à pouvoir financer les industries de défense. En Allemagne, Friedrich Merz étudie comment amender la disposition constitutionnelle relative au « frein à l’endettement ». Le recours à un nouvel emprunt communautaire, sur le modèle de « NextGenerationEU », est toujours possible. Dans l’immédiat, les esprits se concentrent sur la création d’un Fonds ou d’une Banque ad hoc qui accueillerait la participation des Etats volontaires, y compris le Royaume Uni et la Norvège.

Tout cela signifie aussi que la relation franco-allemande devrait pouvoir sortir de l’ornière où elle est enlisée depuis si longtemps. Catholique rhénan, ancien dirigeant de la Commerzbank et de BlackRock, se positionnant par opposition à Angela Merkel comme à Olaf Scholz, les deux locataires de la chancellerie qui ont tenu à distance Emmanuel Macron, ancien défenseur du recours au nucléaire civil et se faisant le héraut d’une relance européenne et même d’une Europe qui se libérerait de la dépendance américaine, le nouveau chancelier a beaucoup de raisons de s’entendre avec le Président de la République.

On peut s’interroger sur l’équation personnelle de Friedrich Merz. Homme des positions tranchées, au caractère plutôt entier, aura-t-il l’habileté et la souplesse nécessaires pour se frayer un chemin entre tous les écueils qui l’attendent ? A commencer par l’inévitable accord de coalition qu’il va bien lui falloir négocier avec le SPD ? Il faut l’espérer car l’Europe et la France ont tout intérêt à ce qu’il réussisse, ne serait-ce que pour conjurer la montée des populismes qui se confirme à travers tout le continent.

 

 

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