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  • Les prochaines élections présidentielles de Moldavie se tiendront du 20 octobre au 3 novembre 2024.
  • Au-delà de la nomination du prochain chef d’Etat, c’est l’adhésion à l’Union européenne qui se joue autour de ce scrutin majeur.
  • Cette période électorale est menacée par les ingérences de la Russie qui met tout en œuvre pour maintenir le pays dans sa sphère d’influence.

 

Les élections moldaves du 20 octobre 2024 se profilent comme un tournant décisif pour l’avenir du pays. Ce scrutin ne se limite pas à déterminer qui gouvernera la Moldavie, car il pourrait également sceller son destin européen. Pourtant, cette opportunité historique est menacée par une vague de désinformation russe et d’autres attaques hybrides, qui risquent de compromettre le vote. À moins d’un mois des élections, le conseiller à la sécurité nationale de la Moldavie a averti que la Russie avait lancé un assaut sans précédent d’attaques hybrides, afin d’entraver toute avancée vers l’intégration européenne. Si l’intégrité du processus électoral n’est pas préservée, la Moldavie pourrait manquer sa fenêtre d’opportunité pour rejoindre l’Union européenne (UE) du fait de l’interférence russe. Comme l’a déclaré la présidente pro-européenne Maia Sandu, « le train de l’intégration européenne arrive maintenant, et nous devons le prendre ou le rater. »

 

L’ombre de la Russie plane sur le processus électoral moldave

En plus de décider du maintien au pouvoir de Maia Sandu, les Moldaves seront aussi appelés à se prononcer en faveur ou non d’une modification de la Constitution en vue de l’adhésion de leur pays à l’UE. Depuis juin 2024, Chisinau est engagée dans un processus de négociations pour son adhésion. L’élection d’un président moins favorable à l’Europe, ou d’un parlement eurosceptique lors des élections législatives de 2025, mettrait en péril cette ambition, étant donné que l’adhésion effective reste conditionnée à l’achèvement de réformes profondes.

L’une des principales affirmations trompeuses relayées par les médias pro-russes soutient que le référendum constitutionnel en Moldavie serait en fait une tentative dissimulée d’abroger le principe de neutralité de la Moldavie en le remplaçant dans la Constitution par l’objectif d’adhésion à l’UE. Cela ouvrirait la voie à l’intégration à l’OTAN, mettant ainsi en péril la sécurité du pays. En effet, un récit dominant consiste à associer la perspective d’une adhésion à l’UE à la menace de guerre en Moldavie.

La menace russe sur les élections moldaves et les institutions de l’État en général ne doit pas être sous-estimée. Dans cette ancienne république soviétique, une poignée d’oligarques pro-russes exerce une influence considérable sur le pays et domine la vie économique, politique et publique. De plus, la Moldavie doit composer avec la région séparatiste de Transnistrie, étroitement liée à la Russie et où stationnent des soldats russes.

 

La réponse de l’exécutif moldave à la menace russe

Malgré des ressources humaines et financières limitées, la Moldavie est parvenue à mettre en œuvre plusieurs réformes essentielles pour renforcer ses institutions démocratiques face à l’ingérence étrangère. Toutefois, la lutte contre la corruption dans le système judiciaire reste un défi colossal. Afin d’assainir le système judiciaire, condition indispensable à l’adhésion à l’UE, le gouvernement a mis en place un processus de vérification au cours duquel les juges et les procureurs sont évalués sur leur intégrité éthique et financière. Il est à craindre que certains d’entre eux, liés à la Russie, chercheraient à perturber le processus électoral, sachant que leurs antécédents risquent de les disqualifier lors de cette évaluation et de les priver de leur pouvoir comme de leurs perspectives professionnelles dans une Moldavie réformée.

L’intégrité du processus électoral dépend en grande partie de la régulation des médias de masse. Le paysage médiatique moldave est marqué par une forte concentration de la propriété entre les mains de quelques groupes, souvent affiliés à des intérêts pro-russes. La Commission européenne a signalé une concentration des médias entre des groupes affiliés à des oligarques fugitifs et liés au groupe de médias d’État russe RTR.

En 2022 et 2023, douze chaînes de télévision diffusant principalement des contenus russes ont été suspendues sur recommandation des services de renseignement moldaves. Ces chaînes auraient été contrôlées par des individus sanctionnés internationalement et fourni une couverture inexacte de la guerre en Ukraine. Les mesures de suspension ont été prises à la lumière de preuves démontrant que la Russie utilisait effectivement ces chaînes pour saper le processus démocratique par des campagnes de désinformation. En septembre 2024, la Moldavie a pris de nouvelles mesures en interdisant cinq médias d’État russes.

 

Des obstacles internes accentuent la pression russe

Toutefois, la Cour constitutionnelle de Moldavie a récemment entravé les tentatives de l’exécutif de réguler les médias et garantir une couverture impartiale des campagnes électorales. La disposition en question limitait les apparitions des candidats dans des programmes audiovisuels qui ne sont pas spécifiquement liés aux élections, tels que définis expressément dans les politiques éditoriales des médias. Cette mesure visait à limiter les discussions sur les questions électorales à des programmes spécifiques listés par les médias et surveillés par le Conseil audiovisuel. En juillet 2024, la cour a jugé cette disposition inconstitutionnelle, estimant qu’elle imposait une restriction excessive de la liberté des médias.

Cette décision affaiblit la défense contre la désinformation et l’ingérence étrangère pour plusieurs raisons.

D’abord, les sanctions ex post infligées aux médias fautifs ne peuvent pas rectifier les effets d’une couverture biaisée, car il est difficile de contrer des impressions initiales déjà formées. La désignation et présentation d’un programme comme « programme électoral » incite le public à examiner le contenu avec un esprit plus critique, arme essentielle contre la désinformation. Ensuite, la faiblesse du système judiciaire en Moldavie complique l’obtention d’une action corrective efficace en cas de violations des dispositions relatives aux médias. Il est donc important de permettre au Conseil audiovisuel de surveiller la conduite des médias et d’intervenir plus en amont.

Par ailleurs, compte tenu du paysage médiatique moldave, un cadre législatif adapté est nécessaire pour garantir une véritable pluralité des médias. Dans un marché médiatique oligopolistique, la liberté des médias ne garantit pas nécessairement cette pluralité. La petite taille de l’industrie médiatique indépendante par rapport aux intérêts pro-russes complique encore cette tâche. Il serait dangereux d’appliquer aveuglément les bonnes pratiques d’autres démocraties libérales établies sans tenir compte des circonstances moldaves.

Pour conclure, l’ampleur des menaces et l’échelle de la guerre hybride menée par la Russie placent la démocratie moldave et ses institutions étatiques sous une attaque permanente, surtout pendant la période électorale. La désinformation et l’ingérence russes ne se limitent pas à la Moldavie et se sont révélées êtres des adversaires redoutables lors d’élections précédentes aux États-Unis et dans l’UE. Cependant, en Moldavie, ce défi est encore plus grand. D’abord, en raison de l’intensité accrue des efforts de déstabilisation de la Russie et ensuite, en raison du manque de ressources financières et humaines disponibles pour les contrer. La Moldavie étant une ancienne république soviétique, la Russie redouble d’efforts pour la maintenir dans sa sphère d’influence. De plus, la grande proportion de russophones en Moldavie la rend plus susceptible à la désinformation et aux récits provenant de Russie. En outre, l’État de droit en Moldavie est encore en phase de développement. Un cadre législatif robuste d’une part, et d’autre part une application efficace, limitant le pouvoir des médias subversifs, apparaissent primordiaux pour garantir l’intégrité des prochaines élections.

 

La Moldavie, un cas d’école pour mieux lutter contre les ingérences étrangères

Naturellement, l’intervention de l’État dans les médias peut être un terrain glissant. Cependant, de nombreuses démocraties constitutionnelles disposent d’un mécanisme d’état d’urgence accordant des pouvoirs étendus à l’exécutif pendant les périodes de crise et cela se justifie pour des raisons de sécurité nationale, c’est-à-dire lorsque la continuité même de l’État est en jeu. La réponse moldave à la désinformation et à l’ingérence russes dans la période précédant les élections doit être vue sous cet angle et ne peut être dissociée de son contexte : la Moldavie tente de consolider sa démocratie et son État de droit en pleine guerre hybride.

Au regard du temps qu’il a fallu en France pour élaborer une véritable stratégie de contre-influence, des ressources limitées dont dispose la Moldavie, et de l’urgence et de la complexité organisationnelle des mesures à mettre en œuvre, sans oublier la pression intérieure exercée par la Transnistrie en particulier, il est à craindre que la Moldavie soit fortement impactée par les manœuvres russes dans le domaine de l’information. Il apparaît essentiel de garder cela à l’esprit, non seulement en vue des élections imminentes, mais aussi à plus long terme, lors des élections générales de 2025.

La Moldavie est une étude de cas révélatrice sur la manière dont les démocraties libérales naissantes doivent se prémunir contre la désinformation et l’ingérence russes. D’autres démocraties libérales devraient observer ce qui se passe en Moldavie et s’inspirer de son expérience. Pour la Moldavie, ces élections constituent un tournant décisif. Une victoire des forces pro-européennes serait synonyme d’un rapprochement avec l’Union européenne et d’une éventuelle adhésion, tandis que si l’ingérence russe s’impose, la Moldavie risque de retomber sous l’influence de Moscou. Il est donc impératif que l’UE, les États-Unis et le Royaume-Uni renforcent leur soutien à l’égard de la jeune démocratie en lui fournissant des ressources à la fois humaines et matérielles, ainsi qu’en échangeant leurs expertises et leurs bonnes pratiques qui tiennent compte des circonstances moldaves.

 

 

 

 

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