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  • L’absence de Xi Jinping et Vladimir Poutine à Rio souligne le malaise croissant au sein des BRICS.
  • Entre démocraties et régimes autoritaires, l’élargissement accentue les fractures internes.
  • Les BRICS dénoncent l’unilatéralisme… tout en négociant séparément avec Washington.

 

 

17ᵉ sommet des BRICS+ (6 – 7 juillet 2025) à Rio de Janeiro au Brésil

 

Un an après leur récent élargissement, les BRICS ont tenu début juillet leur sommet annuel à Rio de Janeiro, sous la présidence flamboyante de Lula da Silva, le président du Brésil. Les effusions de rigueur n’ont pas manqué, mais elles n’ont pas non plus fait disparaître les nombreux signes de désenchantement que la réunion a révélés.

Ce groupe d’États, qui rassemblait à l’origine le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, puis l’Afrique du Sud, se voulait le fer de lance de la contestation contre la domination occidentale sur la marche du monde. Dans la logique de cette posture, il plaidait pour une représentation plus équitable des pays en développement au Conseil de sécurité des Nations unies et dans les institutions de Bretton Woods comme le FMI et la Banque mondiale. Il soutenait le maintien d’un commerce international fondé sur des règles et, plus généralement, militait en faveur du multilatéralisme, en particulier pour une mise en œuvre mieux équilibrée des accords de Paris sur le dérèglement climatique. Plus récemment, il s’était aussi mis en tête de travailler à la dédollarisation de l’économie mondiale pour mieux s’affranchir des contraintes imposées par les États-Unis. Tout cela ne manquait pas de valeur convaincante dans un monde en rapide évolution où la place écrasante des pays nantis paraissait de moins en moins justifiée.

Dans les dernières années, fort de sa montée en puissance, le groupe a cherché à se renforcer en ouvrant ses rangs à cinq, puis à six, et bientôt à d’autres nouveaux membres encore. Il s’est alors targué de représenter la moitié de la population mondiale et de dépasser le poids économique du G7, au moins calculé en parité de pouvoir d’achat. C’était établir sa légitimité comme rival du groupe déclinant des pays dits, de plus en plus improprement, « les plus industrialisés », pour revendiquer une place au moins égale dans la gouvernance mondiale.

Depuis l’origine, néanmoins, on a pu s’interroger sur ce qui unissait les BRICS, en dehors de la volonté purement négative de remettre en cause la domination occidentale. Le noyau initial rassemblait les trois démocraties du Brésil, de l’Inde et de l’Afrique du Sud, et les deux régimes autoritaires de la Russie et de la Chine. L’écart de départ s’est encore accentué lorsque Moscou, soutenu par Pékin, a lancé son agression à grande échelle contre l’Ukraine, tandis que New Delhi se rapprochait discrètement du camp occidental. Il est même arrivé que deux membres du groupe, l’Inde et la Chine, entrent en conflit ouvert l’un contre l’autre lors de la guerre sur les frontières de l’Himalaya. La fragilité de l’ensemble, qui s’ensuivait inévitablement, augurait mal de sa capacité à proposer des solutions pratiques aux problèmes qu’il identifiait.

Le récent élargissement dans lequel le groupe s’est lancé n’a fait qu’aggraver les choses. En 2023, dit-on, pas moins de 23 pays avaient fait acte de candidature pour intégrer les BRICS. Dans l’immédiat, six ont été retenus, dont quatre ont effectivement rejoint le groupe en 2024 : l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie et les Émirats arabes unis. C’était non seulement introduire une dose supplémentaire d’hétérogénéité, mais aussi augmenter nettement le poids des régimes autoritaires par rapport aux démocraties. Et donc, forcément, altérer sensiblement la tonalité générale des prises de position de l’aréopage.

À Rio de Janeiro, les effets de cette évolution n’ont pas manqué de se faire sentir. Déjà, la participation au sommet a été particulièrement décevante. Six des onze chefs d’État attendus ne s’y sont pas montrés. Parmi ceux-ci, pour la première fois depuis l’origine, Vladimir Poutine et Xi Jinping ont brillé par leur absence. On peut le comprendre de la part du premier, toujours sous la menace d’une arrestation pour le compte de la Cour pénale internationale. C’est plus extraordinaire de la part du second, lui qui a probablement été jusqu’à présent l’acteur le plus actif et le plus influent du groupe, et qui n’a même pas jugé utile de faire connaître à Lula les raisons de sa défection. Autre signe de désaffection : les deux pays candidats restés jusqu’à présent sur le seuil, l’Arabie saoudite et l’Argentine, ne se sont pas décidés à le franchir. Riyad a jusqu’à présent négligé de finaliser les formalités d’adhésion, tandis que Javier Milei a carrément indiqué qu’il retirait définitivement la candidature de Buenos Aires. À la place, la salle de réunion accueillait dix nouvelles « nations partenaires », catégorie créée l’an dernier pour éviter les élargissements trop rapides. Garnissaient notamment ces strapontins, outre le Vietnam, la Thaïlande et la Malaisie, des pays comme la Bélarus, Cuba et la Bolivie.

Sur le fond, la déclaration finale de Rio balaye en 31 pages toute une série de sujets, de l’espace à l’intelligence artificielle, en passant par le retour des objets culturels à leurs pays d’origine. Dans l’ensemble, elle est franchement décevante.

Même sur des sujets aussi brûlants que la défense du multilatéralisme ou le combat contre le protectionnisme, les prises de position des BRICS sonnent creux tant elles sont décalées par rapport à l’actualité. Car, en s’engageant, chacun pour son compte, dans des pourparlers bilatéraux avec Washington (et même en concluant des accords, comme tout récemment le Vietnam et l’Indonésie), ses membres se comportent comme s’ils avaient de facto accepté l’unilatéralisme américain. Autant dire que le groupe est encore loin du stade où il pourrait représenter une force positive de contre-proposition.

Et que dire de ses lamentations sur l’extension des conflits mondiaux et sur la forte hausse des dépenses militaires, comme si la Russie et la Chine n’y étaient pour rien ? Et lorsqu’on lit la condamnation, « dans les termes les plus fermes », des attaques ukrainiennes contre les ponts et les infrastructures ferroviaires russes « ciblant délibérément des civils », on ne peut qu’être frappé par la dérive orwellienne à laquelle se laissent aller tous ces pays qui se prétendaient les promoteurs d’un monde plus juste.

À ce compte-là, il faut s’attendre à ce que les BRICS perdent rapidement de leur influence.

 

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