Comme les malheureuses élections françaises du 7 juillet dernier, les trois scrutins qui se déroulent ce mois-ci dans trois länder de l’ex-RDA invitent à nous interroger sur ce que va devenir le rôle des deux nations dans la conduite de l’Union Européenne.
Les prochaines cinq années du mandat de la nouvelle Commission en cours de constitution vont se dérouler dans des conditions particulièrement tendues. Le collège va devoir gérer, c’est à dire faire évoluer dans le bon sens, tout une série de problèmes complexes et épineux. En toile de fond, le changement climatique, avec son vaste cortège de mesures d’adaptation qu’il va falloir continuer de définir et de mettre en œuvre. Ajouté à cela, essayer d’enrayer enfin le décalage inquiétant qui se creuse entre l’économie européenne et le reste du monde, Etats-Unis et émergents en tête. Et puis, faire face aux défis auxquels l’agression de l’Ukraine a donné une urgence et une acuité nouvelles : à la fois organiser une défense européenne plus autonome et plus responsable et préparer le nouvel élargissement de l’Union à l’Est… et tout cela dans un contexte marqué par la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine et la montée du protectionnisme dont l’Europe est menacée de devenir une victime de choix. En vérité, depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, le continent ne s’est probablement jamais trouvé face à d’aussi redoutables défis.
Or le ressort de l’Union, ce qui lui a permis jusqu’à présent de trouver le moyen de progresser, le ressort franco-allemand, est sinon définitivement cassé, du moins passablement grippé.
En Allemagne, le chancelier Scholz, à la tête d’une coalition hétéroclite et dysfonctionnelle s’est trouvée dès le départ confronté à la remise en cause des confortables piliers sur lesquels reposait l’insolente prospérité de l’ère Merkel : l’énergie russe à bon marché, l’inépuisable débouché chinois et la garantie de sécurité américaine. Tout à ses efforts pour s’adapter à cette nouvelle donne, il n’a guère cherché à formuler de nouvelles initiatives européennes. Dans ces circonstances, la montée spectaculaire du populisme, – à droite sous la forme de l’AfD, quasiment néo-nazie, et à gauche sous la forme de l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), quasiment pro-Poutine – qu’ont révélé les scrutins de dimanche dernier en Saxe et en Thuringe, vient de porter un coup supplémentaire à son autorité. Dans les deux länder, le score combiné des deux partis atteint 42,4 % et 48,6 % respectivement. En face, la coalition au pouvoir à Berlin est durement malmenée : Verts et Libéraux sont carrément sortis des deux assemblées régionales faute d’atteindre le seuil de 5 % des voix, seuil que le SPD dépasse tout juste. C’est dire que la voix de l’Allemagne en Europe risque fort d’être inaudible jusqu’aux prochaines élections générales de l’automne 2025.
La France, elle, n’est certes jamais à court d’idées sur ce que l’Union européenne devrait faire. Mais l’autorité de son abondant verbe, déjà sérieusement entamée par son incapacité à tenir ses finances publiques, achève maintenant de s’épuiser du fait des péripéties de sa politique intérieure. Les élections malencontreuses du 7 juillet dernier, en réduisant encore l’étroite majorité relative qui soutenait le Président Macron, n’en finissent pas de produire leurs effets délétères. Il est fort à craindre que cette situation incertaine aille durer jusqu’aux prochaines échéances présidentielles de 2027. Au-delà, en fonction du résultat de celles-ci, elle peut soit se rétablir soit empirer encore davantage. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que, dans les prochaines années, face aux multiples problèmes qui l’assaillent, l’Union pourra compter moins que jamais sur le moteur franco-allemand.
Que lui reste-t-il alors ?
L’appareil massif du droit communautaire, dont le Brexit a montré à qui pouvait en douter la considérable force d’inertie, jouera toujours son rôle d’utile garde-fou. Plus d’une fois dans le passé, il a permis de faire rentrer dans le rang tel ou tel pays qui cherchaient à s’affranchir au-delà du raisonnable de telle ou telle de ses règles. La manière dont la Hongrie persiste à se comporter en free rider illustre davantage la tranquille maitrise avec laquelle le droit communautaire contient les débordements sur le long terme qu’il ne démontrerait son caractère inopérant.
Mais c’est là une qualité purement négative. Elle sert à limiter les comportements erratiques mais ne permet pas d’impulser des solidarités nouvelles. Les qualités très spécifiques de la France et de l’Allemagne – deux membres fondateurs, rivaux millénaires, aux antipodes l’un de l’autre par leur mentalité et l’organisation de leurs Etats – donnent à leur entente, quand elle se réalise, une exceptionnelle capacité d’entrainement. Elle est si exceptionnelle qu’il est exclu que l’on puisse trouver au sein de l’Union d’autres groupements d’Etats membres susceptibles de prendre le relai.
Dans cette situation de grande déréliction, on verra si la Commission, pressée par la nécessité, pourra trouver en elle-même l’autorité et la force de prendre les initiatives hardies que vont réclamer les circonstances.
Pour aller plus loin :
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