Le rapport TRENDS, publication de référence dans l’univers de la tech portée par Mary Meeker et Bond Capital, fait son grand retour en 2025 avec une édition entièrement dédiée à l’intelligence artificielle et montre que :
- L’IA est désormais omniprésente dans tous les secteurs – santé, industrie, éducation, services.
- Les États-Unis creusent l’écart : portés par un écosystème agile et massif, ils imposent normes, outils et modèles mais la Chine les talonne.
- L’Europe doit accélérer sur tous les fronts : investir, réguler, former, diversifier pour ne pas subir cette révolution.
Le rapport TRENDS, AI 2025 : une plongée dans l’ère de l’intelligence automatisée
Le rapport TRENDS – Artificial Intelligence (lien), publié par Bond Capital après une pause depuis 2019, consacre ses 340 diapositives à une cartographie dense, chiffrée et visuelle de l’écosystème IA américain. Il décrit un moment de bascule : l’IA n’est plus une technologie émergente, mais une infrastructure du présent, qui redéfinit à grande vitesse les chaînes de valeur, les compétences, la compétitivité et les équilibres géopolitiques.
Au fil des pages, se dessine la suprématie américaine dans l’économie de l’IA, portée par une capacité unique à agréger :
- Le capital : financements massifs des fonds VC ;
- Les talents : écoles, mobilité, attractivité ;
- Les données : réseaux, plateformes, cloud ;
- La capacité de calcul : puces de calcul spécialisées (GPU), géants du cloud (hyperscalers).
À cela s’ajoute une architecture souple et redoutablement efficace où les géants du cloud, communautés open source, start-ups et centres de recherche interagissent en écosystème.
L’IA, une accélération fulgurante, chiffres clés à l’appui
- 800 millions d’utilisateurs hebdomadaires pour ChatGPT (x8 en un an) ;
- 365 milliards de requêtes annuelles, soit 5,5 fois plus que Google à son apogée ;
- Coûts d’inférence (coûts pour chaque requête) divisés par 30 en 18 mois ;
- Généralisation rapide des usages dans tous les secteurs : industrie, santé, finance, marketing, éducation, droit, etc.
L’IA devient omniprésente : embarquée, assistante, prédictive, créative. Elle transforme la relation au travail, à l’expertise et à la décision, tout en appelant à une nouvelle gouvernance humaine et éthique.
Une géopolitique de l’IA encore dominée par les États-Unis mais sous tension
La domination américaine reste marquée, mais elle n’est plus incontestée. La Chine fait émerger un écosystème technologique robuste, nationalisé, ambitieux et soutenu politiquement avec l’émergence de géants (BATX_Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi + ByteDance, DeepSeek, Huawei, iFlytek, Megvii, SenseTime, …)
La compétition sino-américaine est bien réelle et repose sur 4 leviers clés :
- La maîtrise de la puissance de calcul, encore dominée par les États-Unis mais la Chine accélère avec ses propres GPU et centres de données ;
- L’accès massif à des données multi-domaines, avec un avantage pour la Chine qui dispose d’un marché intérieur intégré, riche en données mobiles et multiservices ;
- Les investissements à long terme dans les modèles de fondation, désormais engagés par les deux pays avec une accélération notable de l’open source chinois ;
- L’essor rapide de champions nationaux portés par le capital-risque et les Big Tech aux États-Unis et par un pilotage étatique puissant en Chine.
Face à cette recomposition mondiale, l’Europe ne peut plus se contenter de la régulation : elle doit investir, produire, fédérer et ouvrir un nouveau cycle stratégique autour de l’IA.
Un sursaut nécessaire en Europe
Pour les États, il s’agit de bâtir une souveraineté technologique fondée sur trois piliers :
- Renforcer les capacités stratégiques, en accélérant les partenariats public-privé sur le calcul intensif, la formation de haut niveau et les cas d’usage à fort impact ;
- Structurer un écosystème IA européen cohérent et visible, en mobilisant la commande publique, en facilitant l’accès aux données de confiance, et en soutenant un cloud européen sécurisé ;
- Défendre une gouvernance internationale de l’IA, en promouvant la transparence des modèles, des standards éthiques robustes et une régulation multilatérale crédible.
Pour les entreprises, l’enjeu est d’intégrer l’IA de manière responsable, ambitieuse et au service de leur compétitivité :
- Identifier les processus à fort potentiel IA et lancer des projets pilotes sécurisés et mesurables ;
- Mettre en place une gouvernance responsable, fondée sur la supervision humaine, la qualité des données, et l’intégration des principes éthiques dès la conception ;
- Former massivement les équipes, y compris dans les fonctions non techniques (RH, finance, marketing, juridique) ;
- Limiter la dépendance technologique, en diversifiant les fournisseurs, les modèles et les infrastructures ;
- Aligner IA et stratégie RSE, en veillant à l’égalité d’accès, à la sobriété énergétique des modèles, et à la traçabilité des algorithmes déployés.
Quelques exemples d’usage concrets d’une IA déjà à l’œuvre
- Santé : Google Health détecte certains cancers du sein avec une précision supérieure à celle des radiologues. Hippocratic AI développe des agents médicaux vocaux pour la télémédecine.
- Éducation : Khan Academy intègre GPT-4 comme tuteur personnalisé, adaptatif selon le niveau de l’élève. Mindjoy développe des parcours pédagogiques gamifiés et personnalisés.
- Droit : GPT-4 permet de résumer des contrats complexes en quelques minutes, là où un juriste junior aurait besoin de plusieurs heures.
- Marketing : 75% des directeurs marketing utilisent l’IA pour créer des contenus : HubSpot intègre l’IA générative pour créer en temps réel des campagnes multi-supports. Jasper et Writer se spécialisent dans la génération de contenus personnalisés par secteur.
- Recherche : AlphaFold a prédit la structure de plus de 200 millions de protéines, marquant une avancée majeure en biologie. Profluent utilise l’IA pour concevoir de nouvelles enzymes à visée thérapeutique.
- Création : Runway, Midjourney ou Sora transforment des scripts en vidéos illustrées en quelques clics.
- Développement : GitHub Copilot permet un gain de 30 à 50% sur les tâches de codage répétitives.
- Audit : les cabinets d’audit utilisent l’IA pour détecter des fraudes dans des milliers de factures.
- Relation client : des IA comme Watson ou Erica assurent un service client 24h/24, 7j/7, avec un taux de satisfaction supérieur à 80%.
- Transition verte : ClimateAi fournit des prévisions micro-climatiques ultra-locales pour l’agriculture, la logistique et les industries. AMP Robotics déploie des robots IA pour le tri des déchets.
A horizon 2035-2040, le rapport anticipe une nouvelle génération d’IA avec l’émergence de deux grandes figures : les agents autonomes et les copilotes universels.
- Les agents autonomes sont capables d’atteindre un objectif complexe par eux-mêmes, en se répartissant les tâches, en interagissant entre eux, et en apprenant de leurs actions. Ce ne sont plus de simples assistants, mais des entités logicielles proactives et coopératives. Ils fonctionneront comme des équipes numériques capables de gérer des projets entiers en s’auto-organisant et en se répartissant les rôles aussi bien pour le lancement d’un produit, une campagne marketing, une étude scientifique ou même la gestion quotidienne d’une PME, etc.
- Les copilotes intelligents vont être omniprésents dans notre vie quotidienne : santé, finance, éducation. Ils seront associés à nos différents outils et seront capables d’anticiper nos besoins, de proposer des scénarios d’action, d’exécuter des tâches complexes, et même de négocier entre eux pour optimiser nos agendas, nos finances ou nos projets professionnels. Dans la santé, ces copilotes analyseront en continu nos données biologiques et suggéreront des ajustements personnalisés. Dans l’éducation, ils construiront des parcours sur mesure, adaptant le contenu, le rythme et les formats pédagogiques à chaque apprenant dans des environnements dynamiques.
L’IA n’est plus un outil parmi d’autres : elle devient la clé de voûte des transformations économiques, sociales et politiques à venir : du travail à la souveraineté, de la compétitivité à la démocratie.
L’enjeu désormais n’est pas de savoir si l’IA pense mieux que nous, mais de faire en sorte qu’elle pense POUR NOUS – dans un cadre que nous aurons choisi collectivement. Cela suppose une gouvernance mondiale lucide, rapide et alignée avec les valeurs que nous voulons défendre pour ne pas subir des règles écrites par d’autres.
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