Depuis le 20 janvier 2025, jour de « l’inauguration » du 47ème président des Etats-Unis, le cyclone Trump se déchaîne sur le pays et les effets s’en font sentir sur la planète entière. Une caractéristique frappante du phénomène réside dans un féroce appétit de pouvoir. Déjà, l’attaque contre le Capitole, le 6 janvier 2021, avait donné la mesure de la détermination du président à conserver son poste à la tête de l’État le plus puissant du monde. Son acharnement à le reconquérir quatre ans après l’a confirmé. La manière dont il l’occupe depuis quelques semaines le consacre pleinement. Il nous prévient déjà que son idée, contraire à la constitution, de briguer un troisième mandat ne relève pas de la plaisanterie.
Cette quête d’un pouvoir aussi large que possible se manifeste de mille façons. Il y a d’abord l’effort pour neutraliser tout ce qui pourrait le borner. Non seulement Donald Trump bénéficie de la majorité dans les deux chambres mais surtout, dans un système politique peu habitué à la discipline de parti, il a su imposer aux Républicains une parfaite docilité. Les fortes têtes, notamment celles qui avaient osé constater la réalité de son échec aux précédentes élections comme Mike Pence ou Liz Cheney, ont été systématiquement écartés. Résultat pratique, le parlement ne joue plus son rôle de contrepoids de l’exécutif. Les nominations les plus saugrenues, notamment celles de responsables des grands ministères, sont ratifiées sans encombre. Les suppressions d’agences ou les réductions d’enveloppes budgétaires qui nécessitent normalement son feu vert sont décidées par-dessus sa tête sans qu’il trouve à y redire. Surenchérissant dans la flagornerie, tels élus républicains suggèrent de faire sculpter le portrait du chef sur le mont Rushmore et tels autres proposent de décréter fête fédérale chômée son jour de naissance. Quant aux élus démocrates, encore médusés par leur déroute et étourdis par le rythme des changements, leurs protestations, lorsqu’elle est articulée, tombe dans le vide. Tout se passe comme si le Capitole était neutralisé.
La mise au pas de la justice, sans être aussi avancée, est déjà en cours. La censure judiciaire opposée à bon nombre de décrets exécutifs pris par Donald Trump a déclenché l’indignation du côté de la Maison Blanche qui a menacé de destituer les juges les plus effrontés. Cette réaction a certes été qualifiée d’inappropriée par le président de la Cour suprême. Il n’empêche. Se faire traîner dans la boue par l’homme le plus puissant du monde, lui-même immunisé contre toutes poursuites pénales dès lors qu’il agit dans l’exercice de ses fonctions, ne peut pas ne pas intimider. Si cela ne suffisait pas, les juristes proches du pouvoir en sont maintenant à tester a possibilité de ne pas exécuter les décisions de justice qui déplaisent en haut lieu. Cette évolution donne à penser que, dans l’Amérique d’aujourd’hui, l’autorité du droit est débordée par celle de la communication.
Le quatrième pouvoir, celui de la presse et plus largement le pouvoir intellectuel, est lui aussi sur la sellette. Les contacts avec la Maison Blanche ne sont plus réservés qu’à des journalistes soigneusement sélectionnés. Le ministère fédéral de l’Education est en cours de démantèlement. Les plus grandes universités, taxée d’élitisme, de wokisme et de gauchisme, se voient privées de leurs subventions. Un bon nombre de programmes de recherche scientifique, en sciences sociales et en matière de santé notamment, sont purement et simplement interrompus. Même le comité chargé de la mise à jour des statistiques économiques (le FESAC), une tâche indispensable vu les incessantes transformations de l’économie mondiale, a été dissout il y a quelques jours.
Dans ce contexte, la vieille Europe (au sens le plus large : y compris le Canada, l’Australie, le Japon…) fait figure de citadelle où domine la pensée libérale donc l’opposition idéologique. Pire encore, elle est accusée d’avoir, en cultivant les valeurs des Lumières, enfermé les Etats-Unis dans le rôle prétendument ingrat et financièrement épuisant, de pompier de la planète en se réservant celui de prospérer à ses crochets dans une douillette insouciance. Pour les nouveaux idéologues de Washington, il est grand temps de dénoncer cette filouterie et de faire rendre gorge aux parasites qui l’ont organisé. Plus généralement, disent-ils, il faut dépouiller le monde de ces balivernes pour le faire apparaître tel qu’il est : une arène où chacun se défend tous azimuts avec ses moyens – et ceux de l’Amérique sont évidemment les plus grands – une arène où on peut aussi s’entendre avec des partenaires sur de très nombreux sujets d’intérêt mutuels, multiplier les affaires et concourir à la prospérité générale.
Pour imposer cette vision, il suffit simplement d’agir avec détermination et sans s’embarrasser des belles manières. Les gêneurs en tous genres, de l’intérieur comme de l’extérieur, – juges, anciens collaborateurs retournés, partenaires qui, dans le passé, ont refusé leur concours – sont portés sur la liste noire. Contre eux, sont brandis les outrances verbales les plus violentes, les mensonges les plus éhontés. Dans ce registre, les acolytes du grand chef font assaut empressé de surenchères. Un ton nouveau, impérieux, méprisant, vindicatif, se répand dans la manière dont ils s’adressent à leurs interlocuteurs. Un ministre des affaires étrangères polonais est interpellé sous l’appellation de « petit mec ». Les grands cabinets d’avocats qui ont plaidé dans le passé contre les intérêts de Donald Trump sont menacés de perdre leurs contrats, non seulement les contrats gouvernementaux mais aussi ceux qu’ils ont obtenus d’entreprises dépendantes elles-mêmes du gouvernement. Dans un autre genre, Volodymyr Zelensky n’en finit pas de payer très cher son refus de s’associer, jadis, à la campagne que cherchait à monter le 45ème président contre le fils de Jo Biden.
Inversement, l’impudence est frappante avec laquelle Vladimir Poutine manipule et fait tourner en bourrique l’infatué de la Maison Blanche. Mais pour lui, c’est sans importance si la reprise des relations avec la Russie permet d’ouvrir de juteuses opportunités aux entreprises américaines. De même l’Ukraine ou le Groenland recèlent des gisements de terres rares qui justifient pleinement de harceler ces pays. Elon Musk réduit le train de vie de l’État, le rejet des contraintes environnementales promet de faire des économies supplémentaires, la généralisation des droits de douane va renflouer les caisses et rapatrier l’activité industrielle en Amérique. La dette a beau avoir triplé depuis la crise des subprimes et menace de grimper à 118 % du PIB en 2035, l’ensemble de ces mesures va permettre de réduire drastiquement les impôts. C’est le retour en force du rêve américain, un nouvel Age d’Or pour l’Amérique qui s’annonce et que le monde extérieur va financer. Dans sa dernière adresse au congrès, Donald Trump n’a pas hésité à se proclamer le meilleur président que les Etats-Unis n’aient jamais eu à leur tête, tout juste devant Georges Washington, désigné n°2.
Ainsi va ce qui est aujourd’hui le discours officiel dans le pays de la liberté. Autant dire que ce qui menace le plus les Etats-Unis, aujourd’hui, c’est l’hubris, la démesure, ce que les anciens Grecs considéraient comme le péché capital, le péché qui aveugle et fait commettre de fatales erreurs de jugement…
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