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Le voyage en Chine du chancelier Olaf SCHOLZ début novembre 2022 n’a pas manqué de susciter commentaires, interrogations et critiques. Il était question d’un voyage entre le Chancelier et le Président MACRON à l’occasion de la cinquième exposition de l’importation de Shanghai, première semaine de novembre. Mais, cette idée a fait long feu. Le Chancelier allemand ne voulait pas se voir attribuer un second rôle, derrière un Président français qui entend porter haut les couleurs de l’Europe. Le Président MACRON avait déjà convié Angela MERKEL à l’Elysée pour accueillir XI Jinping et associer les entreprises allemandes aux côtés des sociétés françaises lors d’une précédente manifestation en Chine. Il s’agissait de démontrer la réalité de l’Europe.

Olaf SCHOLZ n’était pas dans cette disposition d’esprit. L’Allemagne représente économiquement en Chine le triple du poids de la France et elle n’a pas renoncé à y conserver une place à la hauteur de sa puissance industrielle et de son néomercantilisme. Surtout, à l’heure où elle sent ses positions s’effriter. Cette visite a naturellement exposé le Chancelier à de multiples critiques, y comprises de son propre camp avec les Verts et les libéraux qui poussent aux enchères de la prise de distance vis-à-vis de la Chine. L’accord donné juste avant le voyage aux chinois CISCO pour une prise de participation au port de Hambourg, même minoritaires et pour une partie seulement des installations portuaires, n’avait pas arrangé les choses.

Ces déplacements et les polémiques se déroulent à un moment où fleurissent les projets de « policy papers » allemands (verts, libéraux, gouvernements) mais aussi européens qui entendent revoir ou réaffirmer la position définie par Bruxelles il y a peu d’années : la Chine est à la fois un partenaire, un concurrent et un rival.

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C’est dans ce contexte de tension exacerbée, qu’en novembre dernier, un rapport interne rédigé à l’initiative du Ministre de l’Economie allemand, Robert HABECK, sur une stratégie confidentielle vis-à-vis de la Chine, a fuité dans la presse. Ce rapport officieux apparaît à contre-courant de la ligne politique allemande traditionnelle favorable à un partenariat commercial étroit avec la Chine. Il expose des vues critiques sur les ambitions chinoises au moment même où le Chancelier allemand Olaf SCHOLZ est le premier dirigeant de l’UE et du G7 à se rendre en Chine pour rencontrer Xi Jinping depuis trois ans. Ce rapport bouscule les certitudes et rappelle les difficultés de l’Allemagne et de l’Union toute entière, à se positionner face à la puissance chinoise.

Ce document reflète l’inquiétude d’une partie des politiques allemands, dont le Ministre de l’Economie, vis-à-vis d’une forte dépendance de l’Allemagne à la Chine et entend démontrer l’urgence de s’en détacher. Caractérisé de « document de méfiance », voire de plan antichinois, ce document expose l’ampleur des risques auxquels l’Allemagne et l’Union européenne se trouveraient confrontées, par ce lien « vassalique », qui est jugé de plus en plus irréversible.

La Chine joue de l’instrumentalisation politique des relations économiques et ses objectifs sur le long terme sont clairs avec une action offensive à la hauteur de ses ambitions. La politique chinoise « mènerait aussi la danse » d’une guerre économique affirmée : discriminations, restrictions, prises de participations dans les entreprises étrangères et évictions de ces dernières sur le marché chinois, sont autant d’armes dont se pare la deuxième puissance mondiale pour imposer son hégémonie dans tous les domaines.

Le Ministre HABECK veut se montrer conscient du basculement de la relation de partenaires économiques à une situation de dangereuse rivalité. Il met l’accent sur la nécessité de diversifier les relations commerciales et le besoin de restaurer une véritable « souveraineté technologique ».

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S’installant fermement mais sans éclats, la Chine serait aussi parvenue à créer la dépendance dans une multitude de secteurs stratégiques, resserrant l’étau autour du Vieux continent et de l’ensemble du Monde occidental.

L’interdépendance de la Chine avec les pays européens lui serait largement profitable. L’Allemagne exporte pour 142 milliards d’euros en Chine, soit en augmentation de 21% par rapport à 2020, soit 2.7% de sa valeur ajoutée totale vers la Chine, à l’inverse la Chine ne reçoit « que » 0.8% de sa valeur ajoutée en produits et marchandises d’Allemagne. En outre, la Chine a investi plus de 30 milliards d’euros dans l’Union européenne, dont la plus grande part revient à l’Allemagne.

Les secteurs industriels sont particulièrement concernés par ce risque de dépendance, et des secteurs tels que l’industrie automobile, dans lesquels l’UE et l’Allemagne ont longtemps été les leaders, ne sont pas épargnés. Aujourd’hui, la Chine a aussi une longueur d’avance dans les secteurs stratégiques de la transition écologique et numérique. Pour bénéficier des dernières innovations dans l’hydrogène, la mobilité électrique, la séquestration du carbone ou encore les énergies renouvelables, c’est en Chine qu’il faut investir : 70% des panneaux solaires dans le monde et environ la moitié des éoliennes et des voitures électriques sont produits en Chine. A son succès dans l’innovation, s’ajoute l’importante concentration de matières premières indispensables à la transition numérique et écologique sur le territoire chinois.

L’influence est économique mais s’inscrit aussi dans un cadre géopolitique : la Chine jouit de sa position dominante pour accentuer la vulnérabilité des pays dépendants aux technologies, présentes à Taïwan, et de tirer profit de la situation pour annexer la péninsule.

Outre les flux commerciaux, la stratégie chinoise avec les « Nouvelles routes de la soie » dépeint la considérable présence chinoise dans les investissements dédiés aux infrastructures. 10% des ports et des terminaux à conteneurs européens sont aujourd’hui contrôlés par la Chine, selon le rapport officieux.

Porte d’entrée à l’Europe occidentale, le format du 17+1 créé en 2012 et basé sur les relations bilatérales avec les pays d’Europe centrale et de l’Est, crée un terrain favorable à la coopération sino-européenne, mais le projet divise : enthousiasme les uns, inquiète les autres. Entre coopération et ingérence dans les affaires européennes, la stratégie d’influence politique chinoise n’est pas perçue d’un bon œil par l’Union européenne.

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Afin de briser cette dépendance, le rapport présente une série de propositions, dont la concentration de la politique sur des « marchés d’avenir alternatifs » tels que l’Asie – Pacifique, l’Amérique latine et l’Afrique et la révision de l’accompagnement politique des projets économiques sino-allemands. Soumettre des entreprises allemandes très exposées en Chine à une obligation de notification concernant leurs activités en Chine (Volkswagen, BASF), mener des tests de résistance à la Chine dans lesquels la disparation de l’activité d’une entreprise est simulée ou encore exclure les fournisseurs chinois pour les produits intermédiaires et de base, pourraient contribuer à retrouver une forme de souveraineté.

Surveiller les investissements allemands « outbound » dans les entreprises chinoises, n’accepter les projets bilatéraux qu’en cas de contributions financières chinoises adéquates (50% minimum), ne plus octroyer de crédits de développement à la Chine à partir de 2023 et faire pression sur la Chine pour qu’elle abandonne le statut de pays en développement, font partie des propositions visant à rétablir des conditions commerciales équitables à l’échelle mondiale.

Enfin, au niveau européen, la conclusion d’accords de libre-échange avec l’Asie-Pacifique, le développement de capacité de transformation et de valorisation des matières premières stratégiques en Europe et l’instauration d’une position commune vis-à-vis de la Chine lors de sommets internationaux contribueraient à replacer l’Europe au cœur des échanges commerciaux, et à retrouver une souveraineté de plus en plus érodée ces dernières décennies.

De leur côté, les Verts ont élaboré un rapport de la même veine qui circule dans les milieux parlementaires tandis que le gouvernement prépare un rapport sur les relations sur la Chine, repoussé à 2023.

Ces rapports déjà en circulation ou à venir ne manqueront pas de prôner le rééquilibrage d’une politique pro-commerce qui a profité à l’Allemagne mais s’est révélée source de fragilités et de dépendances.

La difficulté de l’exercice est naturellement de corriger ces fragilités, de réduire ces dépendances sans méconnaître le fait que la Chine reste un moteur économique essentiel et que les Etats-Unis, de leur côté, peuvent être aussi cause de fragilités et de dépendances, avec leur néoprotectionnisme et leur lutte de pouvoir avec la Chine.

Les partenaires de l’Europe ont souvent été forts de ses faiblesses conceptuelles et économiques. Il lui appartient maintenant de se ressaisir et d’être en mesure de faire valoir ses intérêts sans s’affaiblir d’une autre manière.

Les réflexions en cours à Berlin ou Bruxelles sur l’attitude vis-à-vis de la Chine doivent participer de cette recherche d’équilibres nouveaux dans un monde multipolaire. Il faut naturellement être partie prenante à ces réflexions et les alimenter.

 

Merci à la Chambre Franco-allemande de Commerce et d’Industrie pour le signalement et la traduction de l’article de presse « La rupture avec la Chine – La nouvelle stratégie Chine de Robert Habeck », de Michel BROCKER, publié en allemand dans The Pioneer, le 30 novembre 2022.

 

Serge DEGALLAIX, Directeur général, Fondation Prospective et Innovation

Marie GUILLOTIN, Chargée de mission, Fondation Prospective et Innovation

 

Pour aller plus loin :

VIDEO – Quelle « boussole stratégique » pour l’Union européenne ?

COMPTE RENDU – « L’Allemagne après Merkel, quelle place dans le monde ? »

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