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« L’Allemagne après Merkel, quelle place dans le monde ? »

Date de la conférence : 30 septembre 2021

Intervenants

  • Christian CAMBON, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, Sénateur du Val de Marne
  • Mathias FEKL, Ancien Ministre, Avocat Associé-Fondateur chez Audit Duprey Fekl
  • Jean Claude BEAUJOUR Avocat au Barreau de Paris/ Vice-président de France Amériques
  • Caroline PUEL, Ecrivain et enseignante en Economie et Géopolitique (intervention depuis Pékin)
  • Modérateur : Jean-Pierre Raffarin, Ancien Premier ministre, Président de la Fondation Prospective et Innovation

Le 26 septembre 2021 se déroulaient en Allemagne, les élections législatives mettant fin à l’ère d’Angela Merkel.

Après 16 ans au pouvoir, une stabilité et une politique étrangère s’est construite autour de la figure de la chancelière.

Le départ d’Angela Merkel de la vie politique pose la question de la formation de la future coalition, et de la nouvelle place de l’Allemagne dans le monde. A ce propos, les élections législatives ont été marquées par l’absence de la question européenne, et de toute question d’ordre international de manière générale. C’est donc un pragmatisme manifeste que l’on note, où la défense des intérêts domestiques est placée au premier plan.

L’enjeu des élections législatives est de taille du fait de la puissance du Bundestag par rapport à l’exécutif.

Deux principales questions préoccupent la communauté internationale : Quel avenir allemand sur le théâtre mondial ? Quel sort pour les relations franco-allemandes ?

La Fondation Prospective et Innovation s’est attachée à analyser le résultat des élections législatives allemandes, et à imaginer le futur positionnement de la politique étrangère de Berlin dans cette nouvelle donne politique. Le webinaire du 30 septembre 2021 « L’Allemagne après Merkel : quelle place dans le monde ? » animé par Jean-Pierre RAFFARIN a permis les échanges entre Mathias FEKL, Ancien Ministre, Avocat Associé-Fondateur chez Audit Duprey Fekl, Christian CAMBON, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, Sénateur du Val de Marne, Jean-Claude BEAUJOUR, Avocat au Barreau de Paris, Vice-président de France Amériques et depuis Pékin Caroline PUEL, Ecrivain et enseignante en Économie et Géopolitique.

 

Retour sur les résultats des élections législatives

Le résultat des urnes se solde par la victoire d’une courte-tête du parti Social-démocrate (SPD) d’Olaf SCHOLZ avec 206 sièges sur 735, suivi du centre droit (CDU) représenté par Armin LARSCHET décrochant 196 sièges au Bundestag, des Verts (Grüne) avec 118 sièges puis des libéraux (FDP) avec 83 sièges.

Cette remontée du SPD dans les sondages a une explication multifactorielle. Si la CDU sort affaiblie de la coalition, le SPD au contraire, a su tirer profit des réformes Schröder qui aviaent favorisé le redressement économique de l’Allemagne, malgré le creusement des inégalités. Conjugué à cela, on assiste à un affaiblissement des grands partis traditionnels allemands qui ont structuré le paysage politique depuis la seconde guerre mondiale, permettant au quadripartisme de s’installer. L’extrême droite, quant à elle, représentée par l’Afd, connaît un revers par rapport aux élections précédentes de 2017 où elle entrait au Parlement, une première en 60 ans d’histoire allemande.

 

Nouvelle coalition, bouleversement de la politique étrangère berlinoise ?

Voir l’Allemagne comme étant plongée dans une grande incertitude relève d’une mauvaise compréhension du système politique allemand qu’il ne faut pas lire avec nos grilles de lecture françaises. De fait, la décision d’un programme de coalition succédant à de longues discussions diffère de l’immédiateté des résultats des élections présidentielles françaises et de l’architecture partisane de l’Assemblée nationale qui en découle.

Mais, indépendamment de la coalition au pouvoir, certaines positions allemandes sur la scène internationale ne sont pas négociables : le débat transatlantique, la relation particulière qu’entretient Berlin avec Pékin et le couple franco-allemand.

Concernant l’alliance Etats-Unis-Allemagne, c’est Angela Merkel qui a su briser le froid causé par l’intervention américaine en Irak et a nourri cette relation en profitant de la reconstruction économique de l’Allemagne ainsi que de sa proximité avec l’Administration Obama.

Au-delà des bonnes relations que partageaient la RFA et la Chine, c’est à partir des années 90 que se développe réellement la relation bilatérale Allemagne-Chine par le biais d’importants échanges économiques où l’on peut voir arriver en Chine de grandes délégations d’hommes d’affaires allemands. De plus, Pékin apprécie particulièrement la continuité et stabilité de la politique allemande et cultive une fascination pour la figure d’Angela Merkel : femme, pragmatique, née sous un régime communiste et qui en comprend le fonctionnement.

 

Autonomie stratégique : les limites du pragmatisme allemand

L’Allemagne se place en leader sur les dossiers chinois et américain en étant le premier allié européen des deux pays, mais une telle position ne peut être qu’éphémère en raison des rivalités entre les deux pays. A l’avenir, Berlin pourra avoir à choisir son camp avec les répercussions néfastes sur ses entreprises que cela peut comporter.

Si l’extraterritorialité du droit européen existe, c’est la question de l’extraterritorialité du droit américain qui pose problème puisque les règles économiques et financières de Washington lèsent lourdement les exportations allemandes. Face à cette rigidité américaine, un dialogue pour réfléchir à une stratégie commune de lutte contre la corruption serait la meilleure des initiatives.

Les Etats-Unis s’éloignent de leur rôle de gendarme du monde, au profit du « leading from behind » connu sous l’administration Obama. A titre d’exemple, le retrait américain de Kaboul met à nu la stratégie américaine de l’« America first ». En se détachant du domaine sécuritaire, c’est vers une obsession économique que se tournent les Américains, comme en atteste l’incident des sous-marins où les intérêts économiques américains ont été privilégié à la cordialité entre alliés.

De plus, Joe Biden, tout comme Donald Trump, reviendra sur la question de l’OTAN en exigeant de plus importantes dépenses militaires allemandes. L’Allemagne commence alors à réfléchir à son autonomie stratégique de la même façon que la France, et àse détacher de l’influence américaine.

De la même manière, la dépendance berlinoise à Pékin poserait problème dans la perspective où la Chine connaîtrait un retournement de son cycle économique qui impacterait lourdement la puissance économique allemande. Lors de la crise de la COVID, les dépendances stratégiques liées notamment à l’importance des investissements menés en Chine mettent en avant les limites du pragmatisme allemand.

Le cavalier seul a dorénavant intérêt à faire équipe.

 

Quel avenir pour le couple franco-allemand ? Divorce ou ravivement de la flamme ?

La meilleure manière de faire face à ces multiples difficultés serait de renforcer le front franco-allemand, en développant une autonomie stratégique, pour arriver, ensemble, à un équilibre.

Même si l’Allemagne et la France divergent sur la question turque et celle de la défense, les deux pays partagent tout de même un système de valeurs allant de la question des minorités aux préoccupations environnementales. Paris et Berlin possèdent également des programmes communs importants notamment sur le plan spatial. Par ailleurs, les attributs de la puissance française, très attrayants pour l’Allemagne, qu’il s’agisse du riche réseau diplomatique, de la disposition de l’arme nucléaire ou encore du siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU.

L’alliance entre les deux pays est une évidence et aucune coalition au pouvoir ne viendra rompre le couple franco-allemand. D’ailleurs, à Pékin, il existe une réelle fascination pour cette coopération entre les deux pays, miroir inversé de la relation Chine-Japon.

Cette alliance est la voie permettant à l’Europe de concurrencer le leadership chinois et américain.

Néanmoins, les Etats-Unis ont tendance à regarder d’un air méfiant une autonomie stratégique de l’Europe en raison de ses implications sur l’influence américaine, contrairement à la Chine qui arbore une position opposée.

 

Lendemain des élections allemandes, fenêtre d’opportunité vers le leadership européen ?

L’une des questions soulevées était l’impact de la constitution d’une nouvelle coalition allemande sur la présidence française de l’Union européenne. La France peut-elle aller de l’avant et prendre des initiatives en profitant de l’absence de son voisin ?

La France ne profitera probablement pas de cette période de latence puisqu’elle correspond en fait, à la compagne électorale qui durera jusqu’au second tour et au-delà avec les élections législatives avec la suspension des travaux du Parlement français pour quatre mois.

 

En conclusion, cette période de lendemain d’élections n’entraînera à priori pas de gros changements dans la politique étrangère allemande et ce quel que soit le leader de la coalition. Dans cette période de guerre froide sino-américaine, l’autonomie stratégique de l’Europe est d’une importance absolue, autonomie qui ne peut être atteinte que par le biais de la coopération. La relation franco-allemande, couple inséparable, permet d’envisager qu’une position d’équilibre dans ce monde bouleversé soit recherchée par deux pays.

 

 

IJ

 

 

 

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