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La COP26 de Glasgow a donné lieu à un constat en demi-teinte. Avec certes des engagements de réduction de gaz à effet de serre renouvelés et précisés mais aussi le constat de la promesse non tenue de la mobilisation par les pays développés de 100 milliards de dollars annuels pour appuyer la transition écologique au Sud. Dans un contexte profondément différent de celui de Glasgow (inflation, crise énergétique, guerre en Ukraine, rivalité aggravée entre Chine et États-Unis), la COP27 du 7 au 18 novembre 2022 à Charm-el-Cheikh entretient l’espoir des pays africains que cet événement « africain » débouchera sur des avancées concrètes en matière de financements ; ce Sommet devant être celui de la mise en œuvre des engagements et non de réitérations des objectifs de décarbonation.

Dans ce contexte, la Fondation Prospective et Innovation s’est attachée à mener des travaux sur les changements climatiques. Son almanach annuel SHERIF a été consacré en 2021 au thème « De la mondialisation à la planétisation ». La planète est devenue un objet politique avec la planétisation des consciences. Humanisant la mondialisation et illustrant une prise de conscience, cette notion assujettie la protection de l’humanité à la protection de la planète, bien commun de tous.

Partant de ce rendez-vous en Afrique, continent en première ligne des menaces liées au changement climatique (plus de 100 millions d’africains impactés), la Fondation a rassemblé le 27 octobre 2022 des responsables africains, européens et d’institutions multilatérales, à côté de financiers et d’entrepreneurs du secteur du développement durable, pour brosser un tableau des attentes (nombreuses) de l’Afrique pour la COP de Charm-el-Cheikh et des moyens susceptibles d’y répondre de manière efficace.

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L’allocation des ressources : question de justice et d’équité

À côté d’avancées remarquables, la mondialisation a accentué les inégalités et les injustices entre les populations les plus vulnérables et les pays développés, et au sein de ceux-ci, les effets du dérèglement climatique n’échappent pas à ce constat. Alors que les pays du G7 sont responsables de près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre, l’Afrique ne dépasse pas les 4% d’émissions alors qu’elle abrite 15% de la population mondiale. Inégalités aussi sur le continent africain : six pays contribuent à eux-seuls à 80% de ces émissions dont deux, l’Afrique du Sud et l’Égypte, à hauteur de 50%. Alors que 60% de la population africaine dépend de l’agriculture pour survivre, l’impact du changement climatique sur la sécurité alimentaire, la disponibilité de l’eau, les périodes de sécheresse ou encore la concurrence sur les ressources qui se raréfient, ont été démontrés, et sont autant de conséquences directes touchant les populations les plus vulnérables, provoquant des migrations aussi bien intra qu’extra-continentales.

Pour mesurer la sensibilité des pays africains et leur vulnérabilité aux effets du climat, la FERDI a élaboré un outil, l’indice de vulnérabilité « PVCCI ». Identifiant les pays les plus concernés l’indice a vocation à permettre une allocation des ressources plus juste. Il calcule les risques liés à l’intensification des risques récurrents (chocs de température, de précipitations, montée des eaux, cyclones et leur intensité) et reflète les facteurs exogènes et physiques subis par les pays. Évitant de se baser sur des arguments politiques, cet indice doit s’articuler dans une formule comprenant aussi des critères traditionnels (revenus par tête et capital humain).

 

Mettre fin à l’hypocrisie collective

Alors que les pays développés se présentent comme les fers de lance de la lutte contre le changement climatique, il suffit d’un bouleversement géopolitique pour que les efforts des pays occidentaux soient mis à mal et que les intérêts nationaux ressurgissent. Illustrant ce phénomène, la guerre en Ukraine a créé un vent de panique sur le marché de l’énergie amenant les pays à réouvrir des centrales à charbon, bien plus émettrices en gaz à effet de serre.

Face aux exemples récents de synergies collectives manifestées par les pays occidentaux pendant la crise sanitaire, ou en réaction à la guerre en Ukraine, le continent africain ne peut que constater la duplicité quand il s’agit d’honorer les promesses d’assistance au sud pour lutter contre les dégâts environnementaux. Pourquoi, alors que certains annoncent la fin du monde d’ici la fin du siècle, cette incapacité à un effort collectif similaire pour la lutte contre le dérèglement climatique.

À cette hypocrisie, s’en ajoute une autre quand les pays occidentaux veulent désormais imposer aux pays africains des normes identiques en matière d’environnement. Certains pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire se voient freinés dans l’exploitation de nouvelles ressources découvertes (hydrocarbures).

Des solutions existent tant pour l’atténuation (efficacité énergétique et énergies renouvelables) que pour l’adaptation climatique (mobilité propre, coûts de transactions faibles) mais la question reste de savoir si la communauté internationale et les États sont prêts à mettre en place des actions concrètes.

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L’adaptation climatique par l’innovation stratégique

Aujourd’hui, 66% des financements internationaux sont destinés à l’atténuation mais les climatologues alertent sur la dégradation de notre écosystème et l’augmentation de la température de la planète qui pourrait atteindre 2.7 degrés de plus qu’avant la révolution industrielle. L’heure n’est plus à l’atténuation mais à l’adaptation.

De nouveaux défis vont se poser avec un contexte de mutation radicale, l’ensemble des paysages actuels va changer, la répartition de la richesse, la biodiversité, la morphologie côtière, tous ces facteurs vont nécessiter une adaptation voire une délocalisation radicale des populations, des activités et des environnement bâtis. L’exemple de la zone WAKA sur la côte ouest-africaine entre la Mauritanie et le Golfe de Guinée avec une concentration d’infrastructures très importante (ports) pour le transit et le commerce, ne pourra pas faire face à ces défis climatiques.

Dès lors, l’adaptation des infrastructures s’impose comme une nécessité et la construction devient un atout pour répondre au besoin de réorganisation des territoires. Pour impulser un développement socio-économique, il faut un cadre structuré avec des infrastructures adaptés au changement climatique. Sans cet effort, un échec à moyen terme est assuré. Guidé par des projets innovants, il faut miser sur un développement soutenable car construire pour déconstruire sera nécessairement bien plus coûteux qu’une adaptation immédiate, basée sur une vision prospective.

L’adaptation revêt l’image d’un chantier immense, qui englobe l’ensemble des enjeux liés au développement de l’Afrique, au niveau économique, écologique, démographique et de la résilience. Si ce travail d’adaptation est considérable, la solidarité et la coopération, entre Nord et Sud mais aussi Sud-Sud ont récemment fait leurs preuves et doivent aujourd’hui primer.

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Financer les grands projets d’adaptation par le secteur privé

Le secteur privé a un rôle considérable à jouer dans le financement des grands projets d’adaptation climatique. Pour favoriser le développement des pays africains tout en s’adaptant au changement climatique, la confiance, encore difficilement accordée, doit être établie entre investisseurs et États africains. Il appartient alors aux fonds verts et aux institutions internationales, notamment les banques africaines, de créer des outils de garanties et des assurances suffisantes pour attirer les investisseurs sur le continent.

Pour ce faire, il faut appréhender les grands défis de l’adaptation en considérant les financements non pas comme un coût mais comme un investissement pour l’avenir. Les clauses d’adaptation dans le cadre des partenariats entre secteur public et secteur privé doivent permettre une obligation de conformité aux nouveaux contextes climatiques.

A ce titre, pour accompagner ces innovations, la blinding finance, divisée en trois phases, constitue l’un des pivots d’attractivité des investisseurs dans la finance climat. La première phase comprenant l’étude du projet, étant la plus à risque, doit impliquer le rôle des institutions internationales et européennes pour aider les investisseurs à limiter ce risque. La deuxième phase, le project finance, permet d’apporter une deuxième strate de financements avec un risque existant mais minimisé, tandis que la dernière phase permet avec des fonds de long terme, de reprendre les projets et de les mener à terme.

La question de la prise du risque (multiple) doit être approfondie afin de faciliter le financement privé. Les couvertures de risque par des fonds de solidarité contre les catastrophes climatiques peuvent constituer une solution, comme l’ont fait la Banque mondiale et le Maroc en co-financement. Revoir les modalités de financements, concevoir des systèmes pour accroitre l’attractivité des territoires et se montrer résilient, sont finalement les clés pour minimiser les risques.

Le secteur de l’assurance a aussi un rôle à jouer, partant du fait qu’un investissement doit être rentable et que la rentabilité peut être endommagée par le dérèglement climatique, il faut repenser la notion et faire en sorte que le risque climatique ne constitue plus une barrière à l’investissement.

En outre, la détermination de la responsabilité relative aux pertes et dommages en cas de catastrophe naturelle doit être précisée, c’est l’un des objectifs de cette COP.

Finalement, le secteur privé a un rôle à jouer à trois niveaux : générer une ressource financière, accorder un crédit de biodiversité et imposer un input d’ESG, environnement social et gouvernemental. L’objectif étant d’insérer l’ESG dans les projets des sociétés en imposant un engagement au profit des communités locales.

Innover des modèles de financement et de partenariats publics-privés, en intégrant des trajectoires parfois incertaines sur des prédictions du changement climatique, est indispensable à l’intégration d’une vision prospective dans un développement soutenable en conformité avec les objectifs du développement durable.

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Prioriser l’innovation au profit du financement

Entre les 100 milliards d’euros espérés pour le continent africain et la réalité des projets entrepris, un net écart est à constater. Il semblerait finalement que le réel enjeu réside dans l’innovation et la proposition de projets solides.

Mener des projets appuyés sur les nécessités des populations locales devient une priorité. Exemple des conséquences négatives de la mondialisation, le financement des énergies fossiles et l’extraction minière en Afrique n’ont eu que très peu de retombées financières pour les populations locales. L’exemple du crédit carbone consistant en une ressource qui est évaluée, comptabilisée puis sécurisée permet que les investissements en Afrique puissent servir au développement des populations locales. Il s’agit aujourd’hui de proposer un schéma dans lequel les sociétés qui investissent dans les crédits carbones et émettent des gaz à effet de serre utilisent une partie de ces retombées pour financer des projets à caractère local. Le développement économique, rural et social des populations doit alors être directement intégré à l’investissement, répondant à cette question de justice climatique. La rentabilité ne doit plus primer au détriment de la biodiversité, de l’économie rurale et des populations.

Ainsi, les terrains d’amélioration et les marches de manœuvre sont considérables pour allier développement et transition écologique. Finalement, le financement n’est pas un problème aujourd’hui mais c’est bien un manque d’innovation et d’anticipation qui empêche l’émergence de projets. Pour exemple, sur les deux dernières semaines, entre 300 et 500 millions d’euros de fonds climat ont été lancés pour investir. Constituant l’un des objectifs de la COP égyptienne, la gouvernance doit alors être accrue dans la conception de projets de grande ampleur, c’est une condition indispensable à l’investissement rentable.

Par ailleurs, la société civile directement concernée, est pleinement intégrée dans ce processus et a une responsabilité dans la proposition de projets. L’initiative de la muraille verte par exemple, de Dakar à Djibouti, permettra de drainer des fonds vers l’Afrique par des sommes importantes et doit pousser les populations locales à développer des projets.

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Le défi à Charm-el-Cheikh sera alors de définir et de dessiner les contours de projets innovants, adaptés au contexte climatique et anticipant les changements à venir. Pour cela, le secteur privé tant au niveau des investisseurs que des porteurs de projet, doit permettre une cohérence entre l’offre et la demande, facilitée par un cadre institutionnel renforcé et une volonté politique accentuée.

Ce que l’on peut retenir de ce webinaire, ce sont trois grands chantiers pour les années à venir :

1- Combattre l’hypocrisie. Il faut lever ce voile de l’hypocrisie et considérer autrement le changement climatique, non pas comme une préoccupation périphérique mais bien comme une préoccupation centrale. La gestion et la mobilisation collective lors de la crise sanitaire prouve que cela est possible aujourd’hui. La société civile, plus convaincue que les politiques eux-mêmes de la nécessité de changer les choses, doit faire entendre sa voix. « La planète est un objet politique dans les mains de tout le monde. »

2- Nourrir le pipeline au service de projets. Le déficit de projets est bien la première raison nuisant à la lutte contre le changement climatique et non le manque de financement. Il appartient alors aux États, aux institutions publiques, et aux sociétés civiles de se mobiliser pour favoriser une coopération et un terreau favorable à l’innovation.

3- Mettre l’innovation au service des financements. Les financements innovants iront de pair avec des projets de qualité. Il s’agit alors de hiérarchiser les enjeux, les projets doivent l’emporter et les financements s’adapter.

Chacun des participants au webinaire est convaincu que la COP27 de Charm el-Cheikh doit être la COP de l’action. Les moyens existent et peuvent être mobilisés. Il faut être en mesure de mettre au point des investissements s’inscrivant dans le long terme et prenant véritablement en compte l’urgence de l’adaptation.

MG

 

Pour aller plus loin :

Replay – « Quels jugements du monde sur la COP26 ? »

Brève – « Les énergies renouvelables depuis 2012 : un développement encourageant mais encore insuffisant« 

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