QUELQUES REFLEXIONS SUR LE FINANCEMENT DES ECONOMIES AFRICAINES

Depuis maintenant trente-cinq ans, la Fondation Prospective et Innovation mène une réflexion sur les changements à venir qui vont bouleverser notre présent. Au fil des ans, l’émergence sur la scène politique et économique mondiale de nouvelles puissances, pays ou continents, s’est imposée comme un facteur majeur de mutation.

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Émergence de l’Asie d’abord et, bien sûr, de la Chine. Développement tourné vers soi mais capable de mobiliser les apports extérieurs, par l’ouverture et la réforme. Malgré le jugement porté sur son régime intérieur et sa singularité, la Chine apparaît souvent pour le monde en développement comme un modèle alternatif à celui résultant du « consensus de Washington ». L’Afrique n’échappe pas à cet intérêt manifeste pour le modèle chinois, mélange de dirigisme et de libéralisme économique. D’autant que la Chine fournit un effort financier extrêmement important pour la mise en place d’infrastructures, de zones industrielles mais aussi dans les domaines de l’agriculture ou de la formation professionnelle. Avec l’Initiative des Routes de la Soie (BRI), la Chine a conféré une ampleur, une durée, une vision stratégique à ses actions avec lesquelles il est difficile de rivaliser. Le fait qu’elle soit le premier importateur de matières premières et, bientôt, le premier marché au monde ne peut être ignoré. La majorité du commerce avec la Chine s’effectue avec les pays hors OCDE. La montée des coûts en Chine l’amène à implanter ses usines à l’étranger, aujourd’hui en Asie du Sud-Est, demain, peut-être, en Afrique. L’Ethiopie est un échelon précurseur de ces délocalisations.

La Chine est devenue aussi la première terre d’accueil pour les étudiants africains et, demain, essaimera ses établissements sur le Continent, après les centres Confucius.

Face à cette disponibilité – intéressée bien évidemment, mais réelle – l’Afrique ne peut se passer de la Chine mais elle est désireuse de maintenir avec elle une relation aussi équilibrée que possible et seule l’Europe peut et doit le lui permettre. Mais l’Afrique exprime ouvertement le sentiment que ce n’est pas le cas, ni pour l’Europe ni même pour l’OCDE.

A se fier aux statistiques de l’OCDE et de la CNUCED, les flux financiers des pays industrialisés vers l’Afrique se sont contractés ces dernières années. L’Aide Publique au Développement y a régressé en 2020, après plusieurs années de croissance molle. L’Aide se polarise de plus en plus autour des secteurs sociaux et environnementaux, délaissant le secteur productif (moins de 50% de l’aide dispensée, 25 % seulement dans les pays les plus pauvres). Comme le constate Paul Akiwuni, directeur à la CNUCED : « Sans un secteur productif solide, tous les investissements dans le secteur social – santé, éducation, etc. – les personnes qui sortent des universités n’auront pas d’emploi. Investir dans le secteur productif signifie diversifier l’économie, en s’assurant que la valeur est ajoutée à ce qui est produit. »

Les Investissements Directs Étrangers en Afrique se tassent, les investissements chinois freinant la baisse. Ces investissements demeurent largement dirigés vers le secteur énergétique, même si une certaine diversification se manifeste (télécommunications, transports, commerce).

Le financement est majoritairement apporté (hors envois de fonds des émigrés) par les banques et les fonds d’investissement, à la recherche de rendements plus élevés qu’ailleurs. Les taux pratiqués traduisent les besoins de financement des pays africains et les risques pris par les prêteurs. Hors Institutions Internationales de financement, les prêts publics bilatéraux sont devenus des peaux de chagrin, limités dans leur montant comme dans le très petit nombre de prêteurs (Japon, France et Allemagne).

Ce constat est fait, de façon plus ou moins voilée par les Africains, qui attendent de l’Europe et de leurs partenaires occidentaux, qu’ils se hissent à la hauteur des enjeux que représentent le Continent voisin, qui doit créer 30 millions d’emplois chaque année, sortir de la misère des centaines de millions de personnes, réduire progressivement le poids de l’informel pour apporter productivité et compétitivité, stabilité de l’emploi, ressources fiscales domestiques…

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La crise de la Covid-19 a démontré que l’on pouvait trouver les ressources pour parer au plus pressé, éviter l’affaissement ou l’effondrement en préservant les ressorts de la croissance et de la vie en société.

Une telle mobilisation est nécessaire aujourd’hui face à une Afrique inquiète, qui doit compter d’abord sur elle-même mais s’attend aussi au soutien de tous.

Le Sommet de Paris du 18 mai 2021 sur le financement des économies africaines fournit l’occasion, doit donner le coup d’envoi à un travail en commun en faveur de l’Afrique. La compétition entre les nations est un aiguillon utile pour accroître notre soutien à l’Afrique, mais elle ne doit pas pour autant être incompatible avec la coopération avec les autres partenaires de l’Afrique, si l’on veut être efficace. Coopération entre les Nations et les Institutions de financement du développement mais aussi acteurs de développement, privés et publics. Il faut donc trouver des formules d’entente triangulaire entre l’Afrique, la Chine et les autres intervenants asiatiques, l’Europe et l’Amérique. Terre de collaboration plus que terrain de manœuvres des puissances, sans que cet aspect puisse être évacué.

Le financement des infrastructures doit constituer un point d’application d’une telle compétition-coopération. Les besoins sont chiffrés, ils sont importants et il est admis qu’ils ne sont couverts qu’à moitié. Le calcul économique est nécessaire mais le rendement ne peut pas qu’être économique, il doit être aussi social.

L’Afrique est riche en ressources hydrauliques qu’il faut exploiter pour produire de l’énergie verte afin de répondre aux besoins de la population mais aussi à ceux des industries. A l’échelle mondiale, cela contribue au respect des objectifs de décarbonation et doit recevoir un soutien particulier à ce titre. Il s’agit d’un champ de coopération majeur où l’Europe pourrait se placer avantageusement, conciliant intérêts économiques et objectifs écologiques.

De même, les risques et la nature de tels investissements doivent conduire à promouvoir des formules innovantes de financement, tout comme pour le secteur productif, formules fondées sur le partage du risque, la garantie et l’assurance.

A côté des prêts privés, qui témoignent d’une certaine maturité financière de l’Afrique, les prêts publics doivent retrouver leur légitimité car ils servent à la croissance en mobilisant par des effets de levier des volumes de financement que les dons ne peuvent apporter. Faute de financements suffisants auxquels participent les prêts, des investissements productifs ne seront pas réalisés et la croissance en pâtira.

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La reconfiguration des chaines de valeur, déjà amorcée durant la seconde décennie du siècle, s’est trouvée accélérée par la Covid-19. Elle doit aussi être mise à profit pour renforcer l’industrialisation de l’Afrique avec tout ce que cela signifie en termes de formation, de recherche, de compétences à réunir.

Les entreprises européennes pourraient être encouragées – à l’instar de ce que font le Japon et les États-Unis – à s’implanter davantage en Afrique, en couvrant, par exemple, certains de leurs coûts additionnels.

Des formules facilitant la circulation des élites africaines entre l’Afrique et l’Europe devraient également être mises en place pour que le « brain drain » devienne un « brain gain », selon la formule indienne.

Toutes ces initiatives, anciennes comme récentes ou à prendre, ne produiront leurs pleins effets que si un minimum de concertation, de coordination existe. Le découplage des programmes de financement et d’assistance est à proscrire. Il faut certainement imaginer un plan d’action mettant de la logique, de la cohérence, de la complémentarité dans les interventions des uns et des autres, poser un corps de règles acceptées et respectées par tous.

L’Afrique est diversité, mais quel continent ne l’est pas ? Elle entend mener de plus en plus des politiques de développement à l’échelle du continent et la Covid-19 lui en a fourni l’occasion. Elle s’en est sortie pas moins bien que d’autres, malgré la modestie des moyens.

L’Afrique est désireuse de vision stratégique comme celle de l’Union Africaine avec Horizon 2063. Elle est soucieuse de partenariats multiples et convergents. La Conférence de Paris en fournit l’occasion à point nommé.

 

Jean-Pierre RAFFARIN, 
Ancien Premier ministre,
Président de la Fondation Prospective et Innovation