3 CONVICTIONS, 3 CONFIRMATIONS

 

Depuis cinquante ans, j’observe la vie de la Chine. Je ne suis pas un sinologue mais un témoin attentif de la formidable transformation de ce grand pays. Plus de cent missions dans de très nombreuses villes m’ont permis de me forger quelques convictions. Je les ai exprimées dans un livre récent « Chine, le grand paradoxe ». Je ne cherche à être ni pour, ni contre mais devant. Dans l’avenir.

La pandémie mondiale qui nous frappe et nous endeuille ne change pas trois de mes principales convictions.

 

1 – LES FRANÇAIS CONNAISSENT TROP MAL LA CHINE

Certains de mes compatriotes, si prompts à commenter et à juger la politique chinoise, semblent découvrir en 2020 qu’elle est devenue la première économie mondiale… ce qui est vrai depuis… 2014, en parité de pouvoir d’achat. On s’étonne alors, légitimement, de notre dépendance à la Chine, sans toutefois, avoir vraiment réfléchi à la dépendance de la Chine à l’Europe ou par exemple à notre dépendance à l’Allemagne. Total et PSA ont éprouvé en Iran ce qu’est notre dépendance aux USA.

En réalité, nous sommes dans un monde aujourd’hui très interdépendant et la question est le contenu du concept de souveraineté, pour un pays comme la France. C’est vrai qu’une part importante de notre industrie a quitté la France. Que celui qui n’a jamais demandé des mesures financées par l’augmentation des charges sociales jette la première pierre.

Certains disent : pour l’industrie, c’est trop tard ; pas sûr, en tout cas, pour l’agriculture. Il n’est certainement pas trop tard pour protéger notre indépendance alimentaire. Le soutien à notre agriculture, à nos agriculteurs doit donc devenir prioritaire. La Chine en cette matière attend beaucoup de nous.

Au total on voit aujourd’hui qu’en Europe la connaissance de la Chine est très insuffisante. Une grande partie de nos leaders découvre la Chine quand ils entrent en fonction. On mésestime sa culture du long terme, on ne peut réduire le sens de la discipline du peuple chinois à l’autoritarisme du pouvoir, on ne doit pas sous-estimer les qualités de recherche et d’innovation de la science chinoise, n’oublions pas, non plus, que le courage du peuple chinois lui a permis de surmonter de terribles épreuves… Nos importantes et réelles divergences politiques ne justifient pas, à elles seules, un certain manque d’intérêt occidental pour la culture chinoise.

La pression de l’idéologie nous empêche d’auditer la Chine en bon expert-comptable, en partie double, avec le passif, bien sûr, mais aussi avec l’actif.

 

2- LA CHINE EST ET RESTERA PARADOXALE

Parce que c’est sa culture, mais aussi sa nature la Chine cherchera toujours à identifier les contraires pour mieux les rendre complémentaires. Le Yin et le Yang ont à la fois vocation à fixer les contraires mais aussi à les rapprocher dans la recherche de l’harmonie. La Chine préfère toujours le ET au OU.

Dans cette  » tempête virale  » , la Chine est à la fois le cœur de la crise au début ET le cœur de la relance, après. Elle demande ET offre des masques. Elle subit des critiques ET propose ses conseils. Son dispositif hospitalier est fragile ET elle construit un hôpital en trois jours. Elle tend la main aux pays qui souffrent ET règle ses comptes avec les États Unis. La Chine, c’est toujours « le grand paradoxe ».

Cela signifie qu’il faut être lucide avec la Chine.

Évidemment, la priorité chinoise est la promotion des intérêts chinois. Et, à nouveau, elle va chercher à faire de la crise une opportunité. C’est le cœur de sa philosophie.

Dans ce contexte, l’essentiel pour nous est de définir quels sont les secteurs qui doivent être protégés car essentiels à notre souveraineté. Ces domaines doivent être l’objet d’un protectionnisme concerté. La Chine raisonne ainsi, elle ferme certains marchés et elle en ouvre d’autres. Par un bilatéralisme concerté ou par un multilatéralisme négocié avec l’OMC, de telles discussions seront la règle dans l’avenir. Prenons la pensée chinoise à la lettre, choisissons plutôt le « ET  » que le « OU », plutôt que de choisir entre le protectionnisme OU la coopération, retenons le protectionnisme sur les secteurs de souveraineté ET la coopération pour le reste.

La Chine analyse toujours  » le potentiel de situation » pour chacun de ses partenaires, ce que, chez nous, nous appelons le rapport de forces. De ce point de vue, une stratégie s’impose : « le réveil européen « .

 

3 – NOTRE SOUVERAINETÉ PASSE PAR LE RÉVEIL DE L’EUROPE

La crise montrera que le continent européen aura été l’un des plus touché au total. A elle seule l’Italie a, au tout début de ce printemps, dépassé le nombre de décès de la Chine.

La question de la solidarité européenne et de l’efficacité de l’Union sera donc posée ; bien que la compétence de santé dans cette crise soit juridiquement mais aussi politiquement celle des États. De multiples divergences n’ont pas permis de faire de cette tempête une opportunité européenne.

C’est d’autant plus regrettable que les deux Grands, les USA et la Chine, ont fait de cette crise une occasion d’ajouter à leurs tensions commerciales et technologiques une violente querelle sur l’origine de la pandémie. Décidément, quoi qu’il arrive, la tension américano-chinoise structurera les relations internationales. Dans ce contexte, l’Europe est le seul continent à pouvoir jouer un rôle dans ce conflit et ainsi à se protéger du destin d’otage qui pourrait lui être imposé.

L’analyse des rapports de forces conduit à la nécessité européenne pour nous éviter de sortir de l’Histoire.

La pandémie nous oblige à réfléchir au périmètre de notre souveraineté. Nous avons découvert dans cette crise notre dépendance au paracétamol, entre autres dépendances. Se posera donc, au lendemain de la crise, deux questions majeures : qu’elles sont les composantes prioritaires de notre indépendance nationale et quelle doit être la part européenne de notre souveraineté française ?

Certaines évidences s’imposent, par exemple, notre réponse aux projets des routes de la soie ne peut être qu’européenne. Mais, nous devons veiller à ce que notre réponse soit plus pragmatique qu’idéologique. Nous devons nous mettre en position de négociation et pour cela les européens doivent être davantage rassemblés et l’Union, davantage pro-active.

Si, de cette crise, nous ne retenons que la nécessité des barrières nationales et les dérives isolationnistes, nous ne serons pas allés assez loin dans notre analyse. Les crises d’aujourd’hui ne sont pas arrêtées par les frontières, qu’il s’agisse des pollutions, du changement climatique, des pandémies ou des migrations…

Le défi est clair : comment le futur multilatéralisme peut-il protéger les intérêts nationaux ? Pour répondre à la question, il faudra renforcer la coopération internationale, notamment, mais pas seulement, avec la Chine.

 

Jean-Pierre RAFFARIN
Président de la Fondation Prospective et Innovation