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BILLET DU JOUR : Comment se présente le sommet européen du 19 juin ?

15 juin 2020

Billet de Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

COMMENT SE PRÉSENTE LE SOMMET EUROPÉEN DU 19 JUIN ?

 

Au moment où le Covid-19 a fait son apparition sur les rivages de notre continent, l’Union Européenne n’a guère fait preuve de réactivité ni de leadership. Ce qu’on a vu surtout, c’est le spectacle des États membres se livrant à une concurrence éhontée au nom de leurs 27 intérêts nationaux les plus sacrés. Dans ce contexte très malsain, le Conseil Européen, réuni le 23 avril, avait bien enregistré quelques résultats encourageants mais sur le principal enjeu de solidarité en débat, en l’espèce le cadre financier pluriannuel couvrant les sept prochaines années, l’opposition frontale entre « frugaux » et « dépensiers », n’avait pu être apaisée. Les chefs d’Etat et de gouvernement en avaient été réduits à demander à la Commission de lui soumettre de nouvelles propositions pour sa prochaine réunion. C’est l’examen de ces propositions qui va constituer la pièce de résistance du prochain Conseil Européen du 19 juin.

En deux mois, l’atmosphère s’est complètement retournée. A vrai dire, le Coronavirus, frappant beaucoup plus durement les pays du sud et de l’ouest européen que ceux du nord et de l’est, il est devenu évident qu’il menaçait d’ouvrir un écart béant entre les performances économiques des deux parties, donc de miner la cohésion du marché intérieur et les fondements de la zone euro, c’est à dire de menacer toute la construction européenne. Circonstance aggravante, les pays prospères se sont mis à utiliser à plein la liberté rendue aux Etats membres de renflouer leurs entreprises en difficulté, faculté pratiquement inaccessible à ceux qui manquaient de marge de manœuvre budgétaire. Les populismes de tout bord et quelques puissances étrangères intéressées aux malheurs de l’Europe, se donnaient la main pour monter en épingle l’inconsistance de l’Union. Cerise sur le gâteau, le 5 mai, la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe est venue frapper de précarité les interventions de sauvetage les plus crédibles, celles de la BCE. Il était donc grand temps de frapper un grand coup pour conjurer tous ces périls : ce fut l’initiative franco-allemande du 18 mai, en fait le ralliement de l’Allemagne aux thèses défendues de longue date par la France. Elle proposait carrément la création d’un fonds de relance de 500 milliards d’euros alimenté par l’emprunt et destiné à subvenir, sous forme de dons, aux besoins des pays les plus touchés par la pandémie.

La Commission a donc pu calibrer ses propositions en conséquence. Le 27 mai, elle présentait un paquet qui consistait à conserver, à peu de chose près, le montant global du projet de cadre budgétaire qui restait fixé aux alentours de 1 100 milliards d’euros mais à lui ajouter un fonds de relance de 750 milliards (équivalent à augmenter le cadre de 68%), dont 500 sous forme de dons comme dans l’initiative franco-allemande et 250 sous forme de prêts. Au total, en mettant bout à bout les financements budgétaires et le Fonds de relance, l’ensemble représente un montant voisin de ce qu’aligne par ailleurs la BCE, soit une force de frappe totale supérieure à 3 500 milliards €.

Disons-le d’emblée : il ne faut pas s’attendre à une décision le 19 juin. C’est la première fois que les grands chefs sont saisis collectivement et la nouvelle proposition est trop complexe et bouscule trop de dogmes pour passer du premier coup. En fait, elle remet en cause trois verrous. Premièrement, le plafond fixé à la taille du budget : il était jusqu’à présent consciencieusement raboté à chaque échéance, passant en 20 ans de 1,2% à 1% du PIB communautaire ; avec le plan de relance, il va exploser. Deuxièmement, l’interdiction de financer les dépenses par l’emprunt vole elle aussi en éclat ; et c’est d’autant plus remarquable qu’il s’agit de concentrer les financements sur les Etats les plus touchés par la pandémie, c’est-à-dire d’opérer de véritables transferts budgétaires. Enfin, le refus, vieux d’au moins quatre décennies, d’augmenter les « ressources propres » de l‘Union ne peut plus tenir puisqu’il faudra bien rembourser l’emprunt et que ce ne pourra être fait par les budgets nationaux.

Le 19 juin, il n’y aura pas de décision mais un tour de table sur les différents aspects de la proposition. On escompte que les « frugaux », clairement lâchés par les Allemands, ne pourront plus s’opposer à l’économie générale de la proposition mais qu’ils vont se rabattre sur les détails où, comme chacun sait, le diable trouve ses meilleurs refuges. Ainsi, on peut parier que les débats vont largement porter sur les nouvelles ressources propres de l’Union qu’il est question de créer : taxe GAFA ? Taxe sur les plastiques non réutilisables ? Taxe carbone sur les produits importés qui ne respectent pas les normes européennes ? Partie du produit des droits d’émission de CO2 ? Ou de l’impôt sur les sociétés ? On peut aussi être sûr qu’ils vont faire rage sur les critères de répartition des 500 Milliards d’euros et sur les conditions que devront respecter les bénéficiaires, notamment l’obligation d’investir les sommes allouées conformément aux orientations du Pacte Vert et de la priorité reconnue à l’économie numérique (5G, Intelligence Artificielle etc.).

En tous cas, tout est en place pour que la construction européenne progresse significativement. Que l’Union emprunte solidairement sur les marchés pour financer les besoins de quelques-uns de ses membres a beau être strictement limité dans son objet (le Covid) et sa durée (les sept prochaines années), le précédent est créé et ne manquera pas d’être invoqué à la première occasion. Ce n’est pas tout à fait une révolution Hamiltonienne de mutualisation des dettes nationales mais c’est un grand pas dans cette direction.

Autre commentaire : les négociations sur le Brexit n’avançant pas, Londres a essayé de faire remonter la question au Conseil Européen mais sans y parvenir. La réunion du 19 juin a été considérée comme trop importante pour être perturbée par un sujet certes majeur mais qui relève malgré tout de l’irritant. The Economist faisait récemment remarquer – à juste raison – que si le Royaume Uni était toujours membre de l’Union, la proposition de la Commission du 27 mai eût été morte-née… Façon de reconnaitre que c’est en jetant par-dessus bord le paquet de lest britannique que la montgolfière de l’Union peut enfin reprendre son envol.

 

Philippe COSTE

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