FPI
Publications

#Non classé

BILLET DU JOUR : Communication et Propagande

20 avril 2020

Billet de Jean-Pierre RAFFARIN, Président de la Fondation Prospective et Innovation

 

COMMUNICATION ET PROPAGANDE

 

En période de crise tout se crispe y compris la communication. La peur, l’inquiétude, la nervosité, l’isolement, développent la brutalité sous des formes multiples, c’est aussi vrai pour la communication d’en bas, celle du public, que pour celle d’en haut, celle des dirigeants. Cette brutalité n’est pas un bon indicateur social car nous savons que la violence et la guerre sont des sœurs jumelles.

Les réseaux sociaux nous montrent la capacité de violence d’un grand nombre de citoyens. Les attaques personnelles dans les médias fleurissent encore plus vite que les fleurs des platanes sur nos avenues. Chacun a des avis sur tout. Les débats sur la recherche de la meilleure thérapie contre le Covid-19 sont aussi vifs dans l’opinion publique que dans les cercles scientifiques. L’esprit « Gilets jaunes », c’est à dire la protestation jusqu’à la violence, semble s’être en partie installé.

La communication d’en haut, c’est à dire celle des leaders, a aussi été contaminée. L’attaque personnelle, l’offense diplomatique, l’injure publique, voire la vulgarité lexicale ont envahi le champ démocratique, y compris à l’Assemblée nationale française. Il faut regarder tous les soirs le dialogue, par CNN interposée, entre le Président Trump et le Gouverneur Cuomo (NY) pour mesurer la violence sous-jacente de la politique américaine. L’émotion et la raison s’affrontent brutalement. Là-bas, le tweet est davantage une rupture qu’un lien.

 

Cette violence prend une autre dimension avec l’antagonisme américano-chinois qui s’aggrave. D’abord quasiment spontanée, la violence devient instrumentalisée. La rivalité commerciale et technologique entre les USA et la Chine, qui marquait la fin de l’année 2019, a pris des formes nouvelles, puissantes, en 2020 avec la pandémie du Covid-19. La compétition entre les deux puissances fait rage et tout est prétexte au dénigrement, aux grandes manœuvres, et à la communication de guerre.

Les États Unis s’interrogent à haute voix sur l’origine du virus, sur la vérité des statistiques chinoises, sur la relation entre la Chine et l’OMS, etc. La Chine feint de s’étonner de la relative impuissance des Américains, et de l’Ouest en général, face au virus. Elle accuse les USA d’avoir exporté le virus à l’occasion des jeux militaires de Wuhan, au début de l’hiver, et elle promeut « la publicité comparative » … Les polémiques s’en prennent même aux civilisations.

Certains pensaient que la crise mondiale rapprocherait, par nécessité, les deux grandes puissances ; il n’en est rien et, au contraire, le fossé s’agrandit et affecte, négativement, la coopération internationale, pourtant nécessaire dans cette pandémie mondiale.

Au cœur de cette bataille, la communication s’efface pour laisser se déployer la propagande. Les services de renseignements américains disent mener une enquête sur l’origine du virus en Chine, et diffusent régulièrement des communiqués offensifs. Les ambassades chinoises entrent dans la mêlée pour défendre la ligne de leurs autorités face aux critiques de la presse internationale, en recourant parfois à des arguments qui nuisent à la démonstration recherchée. Fake news, rumeurs, intox vont dans ce contexte se développer et cela risque d’être long, car la guerre commerciale est devenue une guerre systémique. Le piège de Thucydide se referme sur nous : la rivalité entre le numéro 1 et le numéro 2 va structurer durablement les relations internationales.

 

Dans ce contexte, que peut-on attendre d’une communication de crise utile, c’est à dire qui serve en priorité la sortie de crise :

  • D’abord, l’essentiel est la sobriété de la communication institutionnelle. Cette crise est inédite, les incertitudes sont multiples, les enjeux restent tragiques, la précaution et la pédagogie s’imposent. Toute arrogance est condamnable, le temps disqualifiera les manipulateurs. En ce qui concerne la France notre sagesse gaullienne nous recommande de communiquer avec tous, avec dignité et respect.
  • Ensuite, le pluralisme est la seule réponse possible à la complexité de la situation. A l’Ouest la vérité est une synthèse. Ainsi, pour cette partie du Monde, le manque de pluralisme porte atteinte à la crédibilité de la communication. Pluralisme et transparence sont liés. La propagande sera toujours suspecte. La verticalité des tweets n’est pas davantage crédible.
  • Enfin, comme le dit CNN, « Facts first». Il nous arrive parfois d’effacer les faits au profit des commentaires, c’est une erreur. Sur ce plan, les sociétés idéologiques sont plus fragiles que les sociétés pragmatiques. Encore faut-il dans cette logique faire de la vérification des faits une valeur de la communication.

 

Pour vivre, l’information se nourrit de faits mais aussi de témoignages c’est à dire d’opinions, souvent diverses. On rejoint ici la distinction que Max Weber a ancrée dans notre culture, éthique de conviction et éthique de responsabilité. L’éthique de responsabilité n’exclut pas la passion, la morale mais elle implique d’être responsable de ses actes, des résultats obtenus et d’agir, de façon réfléchie, en conséquence. Le leader de conviction ne partage pas les mêmes qualités. Peu importe le résultat, ce qui compte c’est de respecter, de s’aligner sur ce qu’il croît être la vérité indiscutable. La conviction extrême peut même devenir la non-éthique.

Aujourd’hui, dans cette crise la responsabilité s’efface trop souvent devant la conviction franchissant les frontières de la post-vérité ou de la post-morale. Ceux qui gouvernent, quand ils privilégient la conviction sur la responsabilité, font en fait le lit des populistes qui nient, au fond, l’éthique de responsabilité. Là aussi la sagesse est équilibre.

Espérons que les leaders mondiaux comprendront qu’ils doivent rendre compatibles leur conviction (la réussite de leurs idées) avec leur responsabilité (assurer la paix du monde) et que, dans ce but, ils choisiront davantage la communication que la propagande. C’est leur intérêt. Souhaitons aussi que l’esprit critique des opinions publiques les protègera des excès de crédulité ou de manipulation…

 

Jean-Pierre RAFFARIN

X