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Billet d’Ahmed BALADI, Avocat à la cour, Partner chez Gibson Dunn
DE LA SOUVERAINETE SANITAIRE VERS LA SOUVERAINETE NUMERIQUE
L’épidémie de Covid-19 nous a permis de découvrir l’état de forte dépendance de notre système sanitaire à l’égard du reste du monde. Cette situation a conduit un grand nombre de dirigeants européens à appeler de leurs vœux une souveraineté sanitaire. Un autre domaine devrait faire l’objet de cet indispensable rééquilibrage car la période de confinement a contribué à révéler et à aggraver notre dépendance dans le domaine des technologies numériques.
La transformation digitale à marche forcée
Le changement brutal qu’ont connu tous les secteurs de l’activité économique depuis la date de début du confinement a conduit certains d’entre eux à assurer une continuité d’activité en recourant à diverses solutions technologiques telles que celles permettant d’assurer le télétravail, des réunions virtuelles ou encore de conclure des transactions à distance. Certes, le recours à de telles technologies ne constitue pas une nouveauté en soi, la transformation digitale ayant débuté depuis de nombreuses années en Europe et dans le monde à des rythmes et avec des succès variés.
Le caractère sans précédent de cette transformation digitale forcée tient, d’une part, au nombre de personnes impactées (selon diverses études, adoption par 40% du personnel du télétravail, 100 à 300% d’augmentation de l’usage des outils de visioconférence dans le monde) et, d’autre part, à la vitesse à laquelle cette dernière transformation s’est réalisée.
L’urgence de la situation a conduit les opérateurs économiques à se retourner vers des solutions disponibles qui ont pour point commun, dans leur grande majorité, d’être contrôlées par un petit nombre de fournisseurs non-européens dominant le secteur.
Anticiper les risques associés
En raison de l’absence de visibilité quant à la fin de l’épidémie, il est fort probable que cette récente transformation digitale devienne pérenne alors même que ses fondations auront été établies sous la contrainte sanitaire.
Cette nouvelle normalité numérique n’est pas sans risque. Le télétravail démultiplie les points d’entrée aux systèmes d’information des entreprises en raison du nombre de personnes connectées à distance, facilitant ainsi les intrusions frauduleuses. Or, les cyber-attaques se poursuivent visant même des centres hospitaliers, ce qui devrait conduire les entreprises à observer la plus grande prudence. La crise actuelle nous amène en effet à imaginer le pire et à anticiper un scénario dans lequel un trop grand nombre de sociétés déjà vulnérables en raison de la crise sanitaire se verraient privées de l’accès à leurs ressources informatiques à la suite d’une cyberattaque les visant directement ou visant les fournisseurs dont elles dépendent.
Les visioconférences peuvent également rendre vulnérable la confidentialité d’informations échangées si les conditions de sécurité ne sont pas renforcées.
Notons enfin la dépendance à l’égard de fournisseurs de solutions technologiques imposant leurs standards, n’offrant par les garanties de sécurité requises, ou encore soumis à des autorités les contraignant à divulguer les informations appartenant à leurs clients.
Assurer une souveraineté numérique
Il ressort des risques identifiés que la souveraineté numérique nécessite tout d’abord de garantir la sécurité des opérateurs économiques. Cette étape requiert l’intervention des autorités de contrôle et des pouvoirs publics qui ont pour mission de définir le niveau de sécurité requis et leur respect. Les entreprises ont également un rôle primordial à jouer en auditant leurs propres infrastructures et outils informatiques, en les mettant à jour si besoin et en diversifiant leurs ressources technologiques. La sensibilisation de leurs collaborateurs aux risques cyber est toute aussi importante.
Il serait réducteur et irréaliste de penser que la souveraineté numérique passe nécessairement par la constitution d’un champion français ou européen du numérique capable de se substituer à l’ensemble des acteurs américains ou chinois dans le domaine. Le retard pris par l’Europe est malheureusement assez important pour diverses raisons et il serait d’autant plus difficile de le combler dans les conditions actuelles.
D’autres pistes mériteraient d’être explorées telles que la constitution de partenariats entre acteurs européens, d’une part, et américains et chinois, d’autre part, la mise en place d’une gouvernance numérique à l’échelle mondiale, et enfin un renforcement de l’investissement dans le domaine digital en finançant l’émergence d’un véritable écosystème européen.
La crise sanitaire a révélé une trop grande dépendance dans le domaine de la santé, tentons par conséquent de trouver un équilibre réaliste dans le secteur numérique.
Ahmed BALADI