Billet de Philippe LI, Avocat associé chez Kim & Chang
DES ELECTIONS EN COREE AU TEMPS DU VIRUS
Alors que les Etats -Unis sont devenus l’épicentre du virus, qu’en Europe la crise est loin d’être achevée et qu’en Afrique chacun retient son souffle, l’Asie orientale retrouve progressivement une vie normale, même si la crainte d’une rechute reste forte.
La Corée du Sud, avec un peu de plus de 10 000 cas et environ 200 morts, qui semblait devoir être le pays le plus affecté en raison de sa proximité et de ses liens avec la Chine, s’est avéré comme l’un des plus efficaces dans le traitement contre la pandémie, sans recourir au confinement. Vie économique mais aussi vie politique se poursuivent comme l’attestent les élections législatives récentes, qui appellent réflexions.
Ces élections se sont tenues le 16 avril à un moment où, avec seulement une vingtaine de nouveaux cas par jour, l’épidémie semble relativement maitrisée, même si les pouvoirs publics refusent de crier victoire et continuent de prôner prudence et vigilance. Tout a été mis en œuvre pour garantir la sécurité des électeurs : prises de température à l’entrée des bureaux de vote, port obligatoire de gants et de masques, respect de la distance sociale, dispositif particulier pour les 13 000 personnes mises en quarantaine (non souffrantes).
Le taux de participation de 66.2 %, été le plus élevé pour des élections de cette nature depuis 26 ans. Le vote a consacré une très large victoire du Parti Démocratique de Corée, le parti du Président Moon, qui détient maintenant la majorité absolue à l’Assemblée Nationale.
Personne n’aurait pu le prévoir il y a encore deux mois, le gouvernement était très critiqué pour sa politique économique, un scandale retentissant avait abouti à la démission du Ministre de la Justice, des défilés à répétition avaient rassemblé des centaines de milliers de personnes.
Il est clair que les électeurs ont souhaité manifester, à travers leur vote, leur reconnaissance à l’administration Moon pour l’efficacité de sa gestion de crise.
Le modèle coréen a été très abondamment louangé ces dernières semaines, mais dans le même temps, on a pu présenter la Corée comme un pays liberticide, où ses habitants auraient abdiqué certaines libertés individuelles parce qu’elle a eu recours au tracking des populations. En organisant ces élections avec le succès que l’on sait, c’est comme si les Coréens avaient voulu démontrer le contraire, même si aucun message d’autosatisfaction venant de Seoul n’a pu être entendu.
Pour ce qui est du droit en matière de traçage, les lois coréennes relatives à la protection des données ne sont pas moins strictes que le RGDP européen. Les textes qui permettent le traçage ont été adoptés par l’Assemblée Nationale suite à la crise émanant d’un autre virus, le Mers en 2015. De nombreuses voix s’étaient alors précisément exprimées pour réclamer le traçage. Des travaux publics en commission parlementaire avaient également été diligentés. Les lois prévoient également des garanties pour les administrés (anonymat des données, obligation pour les administrations de les détruire après utilisation…).
Une des leçons que l’on pourrait tirer de cette crise, c’est que, plutôt que de chercher à opposer et à hiérarchiser les valeurs et les systèmes, il faudrait davantage prôner le benchmarking, l’évaluation comparative. Le benchmarking permet de s’ouvrir à des schémas méconnus ou originaux, de prendre le pouls du monde. L’exercice nécessite de développer une capacité d’analyse précise, objective, d’accepter de se remettre en cause et de se débarrasser de poncifs commodes. C’est en recourant à un benchmarking extensif que de nombreux pays asiatiques ont su se développer en recherchant les bonnes pratiques, notamment, celles des pays européens. Rien n’interdit de penser qu’il pourrait être utile de faire l’inverse.
Philippe LI