LA CONCERTATION INTERNATIONALE DEMARRE ENFIN

 

Dans la guerre mondiale contre le COVID 19, la journée du 26 mars mérite d’être saluée : les chefs d’Etat et de gouvernement du G20 et ceux de l’Union européenne se sont successivement réunis, signe rassurant que la coopération internationale s’est décidément mise en marche.

La télé-réunion du G20 était un sommet extraordinaire, décidé dans l’urgence ces derniers jours, pour permettre aux participants de se concerter sur les mesures à prendre pour faire face aux conséquences de l’épidémie. Les mesures concrètes annoncées ne sont évidemment pas négligeables, notamment celle d’injecter 5.000 Mds $ dans l’économie mondiale et l’appel lancé au FMI et à la Banque Mondiale pour qu’ils soutiennent les efforts des PVD. Mais, dans l’ensemble, elles ont surtout consisté à bénir les décisions déjà prises nationalement par les Vingt ou internationalement par les organisations en question.

En fait, le plus important est l’atmosphère qui a présidé à cette rencontre virtuelle. Elle a montré une unité, une solidarité, un esprit de responsabilité qu’on n’osait plus espérer après les échanges d’amabilités de ces dernières semaines (ou mois…) entre Washington et Pékin, sans parler de la tension pétrolière entre l’Arabie Saoudite, la Russie et les Etats-Unis. Dans les conclusions de la réunion, on peut remarquer un coup de chapeau au multilatéralisme sous forme d’un engagement à coopérer avec l’OMS et autres institutions internationales ; on peut relever aussi le langage conciliant qui concerne le commerce international, en particulier l’engagement à ne pas perturber davantage les flux internationaux de marchandises, notamment médicales ; on peut se rassurer aussi en apprenant que les participants se sont promis de se tenir informés de leurs efforts respectifs dans la lutte contre la pandémie.

Evidemment, dira-t-on, tout cela ne va pas bien loin. Mais cette manière sérieuse de prendre les choses est essentielle. Une mobilisation plus intense sur des mesures plus concrètes reste à organiser : encore faut-il y être décidé. C’est ce préalable indispensable qui a été enregistré hier. Il faut s’en réjouir.

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Du côté des Vingt-Sept de l’Union européenne, en revanche, le bilan est moins positif. L’objectif, il est vrai, était beaucoup plus ambitieux : il s’agissait de déterminer comment se partager le fardeau de la dette supplémentaire découlant des dépenses faramineuses qui vont être nécessitées par la lutte contre la pandémie et ses suites. La Banque Centrale Européenne a déjà mis en place, le 18 mars dernier, un très ambitieux programme, permettant à tous les Etats membres de la Zone Euro d’accéder facilement à un refinancement à faible coût. Mais, précisément, il est si ambitieux que s’il est effectivement utilisé dans toutes ses potentialités, il pourrait bien taquiner les limites de la légalité. D’où l’idée de conforter cette facilité en lui ajoutant une ligne de crédit des pays de la Zone : soit sous une forme étroitement conditionnelle, celle du recours au Mécanisme Européen de Stabilité, soit sous une forme beaucoup plus libérale, qui serait à créer pour la circonstance, qu’on a appelé les « CoronaBonds ».

Le Conseil Européen n’est pas parvenu à surmonter une division du type de celle qui sépare les cigales et les fourmis. Le premier groupe, avec la France, l’Espagne et l’Italie en tête, a vigoureusement plaidé en faveur d’une solution imaginative, à la hauteur de ce qu’exigeaient les circonstances ; le second, avec les Pays-Bas en avant et l’Allemagne en sous-main, est resté intraitable, jugeant qu’il n’y avait pas d’urgence et donnant à entendre que si leurs partenaires avaient profité du « temps chaud » pour assainir leurs comptes, ils n’en seraient pas là une fois « la bise venue ». Après six heures de débats, les participants se sont donc séparés en reportant à quinzaine la solution du différend.

C’est évidemment une situation très décevante, d’autant plus que la ligne de fracture qui divise les Européens sur ce sujet se prolonge sur la question du budget communautaire, elle aussi en plan, au risque de paralyser l’Union au plus mauvais moment. Le fond des choses, c’est que l’Italie est entrée dans la crise avec une dette de 135% de son PIB, qu’elle risque d’en sortir avec 160% : et que son PIB, dix fois supérieur à celui de la Grèce, donne la mesure du problème si la Zone Euro venait à être menacée. Le fond des choses, c’est aussi que l’opinion italienne, à la majorité des deux tiers, regarde l’appartenance à la Zone Euro comme un handicap ; mais que les opinions allemande et néerlandaise se considèrent comme les « vaches à lait » constamment sollicitées par leurs partenaires dépensiers ; et que tout cela nourrit deux sortes de populismes à front renversé mais toujours d’accord pour fustiger la construction communautaire. Depuis dix ans et plus que ces différences de perceptions existent et minent l’Union, on s’étonne qu’elles n’aient pas été plus énergiquement combattues.

Mais ne dramatisons pas : heureusement, notre Union est aussi une machine à gagner du temps très performante. Gageons que dans quinze jours, lors de la prochaine réunion du Conseil Européen, une cote mal taillée pourra réunir le consensus. En marquant quelque ouverture à la solution du Mécanisme Européen de Stabilité, Angela MERKEL a montré le bout de l’oreille…

Philippe COSTE
Ancien Ambassadeur