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BILLET DU JOUR : La résilience à l’épreuve de notre temps

13 avril 2020

Billet d’Olivier CAZENAVE, Vice-Président délégué de la Fondation Prospective et Innovation

 

LA RESILIENCE A L’EPREUVE DE NOTRE TEMPS

 

Mais qu’est-ce que la « résilience » ? L’édition 1929 du Larousse du XXe siècle la définit ainsi : « Chiffre caractérisant la résistance au choc d’un matériau. (…) On mesure le travail absorbé pour causer la rupture, et l’on en déduit la résilience. (…) Plus la résilience est grande, moins le métal est fragile ». Transposé dans les champs de la psychologie et de la psychanalyse, le terme définit aussi le périmètre de sa pertinence. Ainsi tout individu aurait la capacité psychique, psychologique, sociale d’apprendre à vivre avec ce qu’a provoqué en lui un choc ou une pression continue, et cela sans l’intervention immédiate des pouvoirs publics. Le conditionnel est important en l’occurrence car chacun est singulier, tout le monde n’étant pas égal devant l’épreuve surtout lorsque la mort est convoquée. La capacité de résilience d’un être humain dépend de son histoire, de sa culture, de son éducation et de son environnement.

Si Boris Cyrulnick en 1999 lorsqu’il publia Un merveilleux malheur avait pu penser que son travail sur la résilience deviendrait la référence du moment, il n’en aurait pas été étonné. En effet, appliqué au comportement humain, le terme qu’il extirpait du domaine de la physique prend tout son sens aujourd’hui que le monde entier est confronté à une pandémie due à un nouveau virus qui affaiblit aussi bien les humains que leurs systèmes politiques, économiques et sociaux.

Certes, Montaigne nous rappelle que « nous recommençons toujours à vivre » quel que soit le choc ou la pression. Stefan Zweig n’écrivait-il pas que cet humanisme était « celui qui rest(ait) debout dans le chaos du monde » ? Et le chaos, nous devons l’éviter à tout prix, pendant et après l’épreuve ! Le peuple italien nous aurait-il montré le chemin, en se retrouvant spontanément sur les balcons et en s’improvisant en orchestres multiples. Tâtonnements, essais, échanges…chacun y trouve sa place, joue sa partition avec son instrument favori. Humblement, régulièrement, il se projette sur l’après avec des idées et ressources nouvelles qu’il offre à la communauté. Gestes en apparence gratuits mais qui, avant tout, fédèrent, proposent, réunissent…et devraient anticiper sur la suite…

Evitons cependant de sombrer dans un sentimentalisme voire une sensiblerie qui, salutaire sur le moment, décevrait après coup. L’enthousiasme que l’on lit dans de nombreux médias doit être pris en compte certes mais tempéré. La semaine dernière par exemple, dans son article intitulé « Le traumatisme de l’épidémie provoque une adaptation », Le Nouvel Observateur éclairait ainsi son propos : « La résilience, cette faculté humaine à se développer malgré l’adversité ne peut qu’aboutir à l’émergence de nouvelles manières de penser l’existence ». Soit !

L’état de nos connaissances scientifiques ou psychosociales nous invite cependant à nous poser deux questions dont les réponses restent difficiles aujourd’hui :

  • La résilience pourrait-elle être et individuelle et collective ?
  • Comporterait-elle deux phases, l’une dans le temps du confinement, l’autre après cette période tragique pour notre pays et pour l’humanité ?

Si l’on analyse la situation, nul doute que la situation actuelle nécessite une adaptation de nos modes de vie et a des répercussions multiples.

Sur le plan individuel en premier lieu, face au choc terrible d’une mortalité exceptionnelle, on a pu constater de nombreux élans de solidarité lesquels témoignent du désir de participer au mieux-être de chacun dans un contexte difficile pour tous. Certes, les applaudissements vespéraux pour les soignants, les concerts improvisés dans les lieux de vie, la solidarité envers les plus fragiles, participent d’un retour du vivre-ensemble qui rassure, qui tente d’exorciser la peur malgré l’impuissance collective des confinés. La créativité éclate partout sur les balcons, sur la toile, dans les familles. On se dépasse, on s’accroche, on ne baisse jamais les bras.

Ces louables attitudes qui reflètent les émotions partagées survivront-elles à un confinement très long et à la fin de la crise ? N’ont-elles pas leur limite en ce qu’elles ne concernent pas tout le monde, il faut bien le constater ? Certains profitent de la situation pour voler en ligne les plus crédules, jouer leur jeu privé sans vergogne ; d’autres dévoilent les arcanes les plus sombres de la médiocrité en excluant ceux ou celles qui sont trop près des malades, d’autres encore baissent les bras et se détournent de l’effort commun par peur de la mort, etc. La résilience, ce n’est pas pour tout le monde. Et puis, assisterons-nous bientôt au retour généralisé de l’égoïsme triomphant, nourri de satisfecit d’avoir suffisamment bien agi durant le chaos général ?

Les catastrophes humaines et financières que l’humanité a traversées récemment ont-elles rendu plus sage l’individu ? Le sens de l’essentiel qu’il a touché du doigt, à savoir la santé de ceux qu’il aime et la solidarité intergénérationnelle, subsistera-t-il aux sirènes des plaisirs anciens ?

Sur le plan collectif en second lieu, la population fait face, pour l’instant dans sa grande majorité – exception faite de ces irréductibles imbéciles de la désobéissance -, et retrouve elle-aussi l’importance de la proximité, tant humaine que matérielle. Elle répond aux demandes de renforts humains pour les hôpitaux, supporte le chômage partiel dû aux fermetures d’entreprises. Elle semble même accepter par fatalisme les pertes de liberté qu’impliquent les décisions gouvernementales sans que les cotes de popularité du Président de la République et du Premier ministre s’écroulent, bien au contraire. Le danger ne serait-il pas là pour le pays ? Plus grande est l’acceptation et l’adaptation de la population à une situation de crise, plus intenses seront ses demandes, une fois la pandémie dépassée, plus acerbes seront les critiques si les résultats ne sont pas à la hauteur des sacrifices. La résilience a en effet son revers et ne garantit pas un avenir forcément radieux.

Chacun en est conscient : il y aura un avant et un après à cette crise qui rebat les cartes au niveau mondial et dans tous les secteurs. L’individu et la collectivité seront-ils capables de changer vraiment ?

On peut en douter et cela pour deux raisons : la première est qu’après une catastrophe, les gens n’ont de cesse d’oublier ce qu’ils ont vécu et les engagements de solidarité, dictés par la peur de la mort ; la seconde est qu’une fois l’orage passé, on essaie de refaire l’histoire et de retrouver des responsables voire des boucs-émissaires. On ne manquera pas d’attaquer nos gouvernants sur une gestion de crise tardive, insuffisante et hasardeuse, sur une impréparation en amont de catastrophes potentielles, sur une incompétence décisionnelle au plus haut niveau de l’Etat, sur une comparaison désavantageuse avec les choix d’autres pays. Et puis, à un niveau plus large, certains discours mettront au pilori la mondialisation, prôneront le retour exclusif au national à une sorte d’autarcie rêvée qui résoudrait tout. A une fermeture au monde, à l’Europe, qui, comme dans un bocal aseptisé, nous préserverait de tout. Les mythes ont la peau dure !

Et pourtant ! Quels champs de créativité autres que les discours guerriers et les dissensions internes – politiques ou autres – nous ouvrent cette pandémie ; quelles expériences y auront été tentées comme dans ces start-up pour qui l’essai, même manqué, est primordial et précède les plus belles découvertes ! Ne faisons pas comme si l’épreuve vécue n’avait jamais existé ! Et si le négatif servait à alimenter la réflexion vers le positif ! C’est un rêve qui pourrait devenir réalité si les hommes voulaient bien se donner enfin la main… ! Une utopie morale certes mais qui serait salutaire…

La situation mondiale, à la fin de cette pandémie, obligera à repenser nos modes de fonctionnement dont les limites sont désormais atteintes, à définir de nouvelles manières de penser l’existant et l’existence, d’être ensemble. Et peut-être plutôt que de se préoccuper de l’ « homme  augmenté » du transhumanisme, appelé de tous leurs vœux par les fervents de Google qui, comme Gilgamesh en son temps mais à coup de milliards de dollars, recherchent l’immortalité alors qu’un simple virus fait chavirer l’humanité et raccourcit la vie des hommes, puissions-nous nous concentrer sur notre présent et un avenir proche.

Il y aura en effet fort à faire car, demain, sur le plan collectif, nos dirigeants seront en première ligne et, en tout état de cause, demanderont encore des efforts supplémentaires à la communauté pour que redémarrent les activités économiques et sociales. Il leur faudra des trésors d’intelligence, de communication et d’audace pour qu’elle les accepte, elle qui ne souhaitera sans doute rien tant que des compensations à ce qu’elle a été contrainte de supporter pendant au moins deux mois.

Echec programmé ? Peut-être pas car ces exigences seront mondiales, et c’est peut-être là où réside l’espoir. Comme nous le disions en introduction : « Plus la résilience est grande, moins le métal est fragile ».

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Olivier CAZENAVE

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