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BILLET DU JOUR : Les priorités de l’après

12 avril 2020

Billet de Jean-Pierre RAFFARIN, Président de la Fondation Prospective et Innovation

 

LES PRIORITÉS DE L’APRÈS

 

La réflexion pour l’après est engagée. Déjà, plusieurs thèses se confrontent. Certains pensent le changement de notre modèle. D’autres, comme Luc Ferry, rappellent avec sagesse que certaines des raisons des choix précédents persisteront et que par, exemple il ne sera pas si simple de relocaliser notre industrie. Cependant, les secousses vont être fortes et nous serons, sur bien des sujets, bouleversés.

 

Sur le plan politique d’abord. Les décisions à prendre seront impopulaires : restrictions de nos libertés, appauvrissement général, fiscalité, restructurations des entreprises, financement des services publics, fragilisation des structures de loisirs (vacances, culture, sports) …

Le pouvoir devra avoir recours à des initiatives permettant d’une part de relégitimer l’action publique (la Vème République a beaucoup de ressources) et, d’autre part, de fixer un terme à la période de « Renaissance ». Ce qui fait revenir des idées comme le conseil de la résistance (CNR) ou le gouvernement de salut public (pour une durée déterminée). Jean-Pierre Chevènement a ouvert la voie.

Sur le fond des choses quatre bouleversements seront en tout état de cause nécessaires :

– la nouvelle donne environnementale et la protection de la planète

– le nouvel équilibre villes-campagne et la nouvelle décentralisation

– la révolution digitale et notre nouvelle mobilité

– le nouveau partage entre souveraineté et coopération internationale

Sur ce dernier point, il faudra trouver les moyens de protéger notre « secteur industriel sauvegardé » et de rendre compatible protection et ouverture.

 

Sur le plan social, l’essentiel sera d’échapper à la spirale pauvreté-violence. L’augmentation de la pauvreté dans le monde amènera des troubles difficiles à gérer au-delà même des seuls effets migratoires. Les amortisseurs sociaux devront fonctionner à fond. Cela doit être notre première priorité. Santé, École et PME seront les structures de la stabilisation. Le dialogue social devra se rapprocher du terrain, notamment par un rôle renforcé des territoires et des branches professionnelles. La gestion et la responsabilité de l’emploi pourront être décentralisées.

L’accélération des pratiques digitales pendant le confinement changera nos comportements sociaux. Il faudra veiller à ce que la déshumanisation du lien ne soit pas une cause supplémentaire de pauvreté et, pour cela, nous devrons être très attentifs au monde associatif et caritatif. Les progrès de l’intégration des femmes et des jeunes dans la décision économique et sociale seront essentiels.

 

Sur le plan économique, la question de la dette sera dominante tant que l’Europe hésitera à créer ses Eurobonds ou à neutraliser l’effet explosif du surendettement. La querelle des pays riches face aux endettés n’a guère de sens. Les riches auront, comme les autres, des dépenses à assumer qui dépasseront largement leurs richesses tandis que la césure de l’Europe ne peut que conduire au populisme et à la dislocation de l’Europe. C’est être perdant/perdant. Les investissements étrangers en Europe seront sans doute davantage les bienvenus, mais dans le respect de certaines règles.

Toutefois, l’essentiel durant la nécessaire période d’efforts et de mobilisation devrait être de trouver dans la nouvelle donne des sources d’économies face à la prévisible explosion des dépenses dues aux « promesses de la crise ». On peut penser au télé travail, à l’enseignement à distance, à la vidéo surveillance, aux économies d’énergie, à la télé médecine, au ralentissement de la mobilité, à la sobriété événementielle (JO), à la digitalisation des formalités administratives, à la gestion des parcs immobiliers. Les exigences de la dépense imposent une culture des économies partout où cela est possible.

 

Sur le plan international. Trois priorités vont s’imposer : la renaissance de l’Europe, le développement de l’Afrique et la promotion d’un nouveau multilatéralisme.

Le projet européen devra être repensé, un nouvel accord politique sera nécessaire pour fonder une nouvelle ambition. Un nouveau leadership devra se lever, en attendant c’est l’alliance franco-allemande qui doit se sentir en charge du nouvel élan et le faire partager. La France et l’Allemagne devront mettre en commun, de manière fédérale, certains de leurs atouts (la recherche ?). Il faudra élargir la stratégie Airbus. La question reste comment éviter de sortir de l’Histoire face à la tension durable et structurante qui caractérisera, les prochaines années, la relation sino-américaine. La seule réponse c’est le réveil européen.

L’Europe ne sera pas heureuse si l’Afrique est malheureuse. Pour cela il faut stopper la spirale dépressive qui va s’emparer de l’Afrique, crise sanitaire, crise économique, crise alimentaire et crise sécuritaire. Un accord avec la Chine et, si possible avec les États Unis, devrait permettre à l’Europe de participer à la stabilisation du continent.

Enfin, un nouveau multilatéralisme est à inventer. L’unilatéralisme n’est évidemment pas la solution pour nous conduire à la Paix. Ce nouveau multilatéralisme disposera d’une meilleure représentativité, il sera plus préventif et plus décentralisé, il s’ouvrira aussi davantage aux sociétés civiles. De nombreuses organisations travaillent sur ce sujet, c’est notamment le cas des « Leaders pour la Paix » qui publieront prochainement leur rapport annuel sur ce sujet.

 

Aujourd’hui le combat contre le virus bat son plein et encore pour un temps long, mais les secousses qui nous attendent méritent que la réflexion collective assume pour l’avenir ce qui n’a pas bien fonctionné pour le passé immédiat : la prévention.

 

Jean-Pierre RAFFARIN

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