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BILLET DU JOUR : Pendant le coronavirus, le Brexit continue

22 avril 2020

Billet de Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

 

PENDANT LE CORONAVIRUS, LE BREXIT CONTINUE

 

On le sait, dans le Brexit, il ne suffit pas de sortir de l’Union, chose acquise depuis le 31 janvier dernier ; il faut encore s’entendre sur la manière d’organiser les relations futures entre ladite Union et le sortant : c’est à ce stade que nous en sommes. Les négociations à cet effet se sont ouvertes le 2 mars et doivent, en principe, se conclure avant la fin de l’année.

A la même date ou à peu près, le Covid 19 a fait irruption dans le ciel européen et, comme tout le reste, le Brexit n’a pas manqué d’en être affecté. D’abord parce que la maladie lui a volé la vedette à la « une » des journaux. Ensuite, et plus encore, parce qu’elle lui a porté un coup direct en ce sens que les principaux responsables, Michel Barnier et David Frost, les deux négociateurs en chef, et Boris Johnson, l’inspirateur en chef, ont tous été mis temporairement sur la touche, précisément par le virus. Pas moins de deux séances de négociations en face-à-face ont dû être décommandées. Il faut dire que chacune d’elles supposait le déploiement d’un éventail de réunions par petits groupes, le tout impliquant une centaine de participants de chaque côté : impensable en ces temps de confinement.

Après un mois d’interruption néanmoins, le contact a pu être rétabli – par vidéo – grâce au retour à la santé des trois protagonistes. Il a permis de fixer un nouveau calendrier de négociations supposé rattraper le temps perdu : trois séances de téléconférences sont programmées, commençant respectivement le 20 avril, le 11 mai et le 1er juin et s’étalant chacune sur toute la semaine. L’objectif est de faire des progrès aussi substantiels que possible d’ici au début du mois de juin. Pourquoi cette date ? Parce que juin est le dernier moment où le Royaume Uni et les 27 peuvent, si nécessaire, convenir de prolonger la négociation au-delà du 31 décembre. Il s’agit donc de tirer tout le parti possible des sept prochaines semaines pour voir si on arrive à boucler assez de dossier pour pouvoir espérer terminer à temps. En fonction de quoi les chefs d’Etat et de gouvernement concernés pourront trancher sur la prolongation en connaissance de cause.

Depuis le début, l’Union ne fait pas mystère de son opinion. Pour elle, les questions à régler sont trop nombreuses, trop épineuses ou trop passionnelles pour qu’on puisse espérer en finir en si peu de temps : le régime spécifique de l’Irlande du nord, celui de la pêche, des services financiers, la circulation des personnes, les questions de sécurité intérieure et extérieure, les affaires nucléaires, le transport aérien… Surtout, le Royaume-Uni entend à la fois maintenir l’ouverture la plus large possible du marché européen et, en même temps, reprendre sa liberté pour adopter ses règles propres, affranchies des disciplines communautaires : c’est le spectre de « Singapour sur la Tamise » qui se profile. Pour obvier au risque de voir la concurrence dangereusement faussée, Bruxelles entend donc encadrer tout cela très soigneusement, dans le détail : opération ô combien chronophage.

De l’autre côté de la Manche, le Royaume Uni supporte très mal la situation actuelle, cette période de transition où il lui faut appliquer un droit communautaire à l’élaboration duquel il ne participe plus. Au surplus, s’il n’est pas sorti de cette position fausse le 31 décembre, il lui faudra contribuer au budget communautaire, élaboré sans lui évidemment : vision d’horreur. A cela s’ajoute l’impatience de retrouver le bon air du grand large : ouvrir des négociations commerciales de remplacement avec les Etats-Unis, l’Anglosphère, le Commonwealth. Bref, pour Londres, il urge de briser les chaînes européennes. Boris Johnson a encore écarté la semaine dernière toute idée de prolonger les négociations au-delà de la Saint Sylvestre. De toute façon, dit-on à Londres, l’Union est une habituée des compromis arrachés nuitamment. Et si l’accord s’avère décidément impossible à conclure dans les délais, eh bien, à Dieu va ! On sautera de la falaise : la liberté vaut bien quelques sacrifices.

Bluff ou non, on en est là. Suite du feuilleton en juin.

 

Philippe COSTE

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