FPI
Publications

#Non classé

BILLET DU JOUR : Quatre points cardinaux pour se repérer dans ce confinement

10 mai 2020

Billet de Jean-Pierre RAFFARIN, Président de la Fondation Prospective et Innovation

 

QUATRE POINTS CARDINAUX POUR SE REPERER DANS CE CONFINEMENT

 

55 jours, 110 repas de suite à la maison, 194.4 km de promenade, 247 heures d’écran… Il y a beaucoup à dire sur cette aventure singulière et universelle, faisons le tri :

 

LE CAP, LE NORD, LE DECONFINEMENT

C’est l’épreuve la plus compliquée pour le gouvernement. La réussite du confinement était au total sur les épaules des soignants. Il fallait qu’ils tiennent le coup et en restant chez nous on les aidait. Mais ce sont eux qui furent les héros.

De mon point de vue, nos hôpitaux ont montré la force exceptionnelle de leur capital humain et la sous-évaluation de leurs besoins. En doublant leur capacité d’action, les soignants ont montré que notre système était fort mais sous financé et sous équipé. Ils ont aussi montré que l’énergie, exemplaire, de la première ligne souffrait beaucoup de la bureaucratie, du back office. De bonnes figures sont apparus sur la scène : des professeurs qui par leurs divergences ajoutées à leurs compétences ont construit leur notoriété… et un ministre de la santé nommé remplaçant et s’affirmant rapidement titulaire ! Nous sommes maintenant accoutumés à la météo sanitaire quotidienne.

Le déconfinement est une tout autre affaire. C’est le gouvernement qui est en première ligne, et cela va être très difficile de piloter les Français, à la fois, en freinant (la progression du virus) et en accélérant (la reprise économique). D’une manière générale, je ne fais pas partie de ceux qui, au cœur de la guerre, critiquent les combattants et je crains à nouveau de faire partie de la minorité tant les aspirations des Français sont diverses durant cette période Printemps-Été, saison que chacun a mis six mois à espérer… Les sondages posent la bonne question : qui ferait mieux ?

Durant ce confinement, j’ai mesuré que les plus malins parlaient surtout du passé et ils étaient souvent proches de la vérité… ceux qui ont choisi de faire des pronostics se sont parfois largement étalés. Le problème est que la politique n’est pas un pari et que l’essentiel, le plus souvent, est de ne pas faire de faute et donc la précaution s’impose à la précipitation.

 

LA CONVIVIALITE, LE SUD, LE DIGITAL

Je ne le croyais pas, mais, au bout d’un mois, trinquer grâce à Zoom donne presque autant de bonheur… à moins qu’on finisse par s’y faire, pourvu que le rosé soit bon et que chacun ait le sien. Il y a de bonnes personnes avec lesquelles on échange plus dans ce type de période qu’en temps ordinaires. Mon premier webinaire était à la fois hésitant et magique, mon dixième « webinar » m’a permis de débattre avec des Américains, des Russes et des Chinois, en trois langues, le tout très librement. Si le pays a fait autant de progrès que moi en 55 jours, Thierry (Breton) ne va pas en revenir. Le 18 mai, pour la conférence annuelle de Leaders pour la Paix, je vais réunir 40 personnalités, de 40 nationalités qui vont débattre du rapport de l’Ambassadeur Vimont sur le multilatéralisme et proposer des amendements… cela promet quelques joutes numériques. De même, la Fondation Prospective et Innovation intègrera pleinement, dans ses méthodes et son programme, la dimension numérique et s’affranchira ainsi du temps et de l’espace.

Le temps gagné, les budgets économisés, la qualité technique des échanges y compris des images, le stockage et la diffusion des informations… Les atouts du numérique s’imposeront, surtout que je vois trois atouts de la communication traditionnelle qui ne semblent pas fragilisés par le digital, la pédagogie, l’humour et la sensibilité. Naturellement les vrais orateurs préfèreront toujours parler à une salle plutôt qu’à un écran mais les vrais sauront vite s’adapter.

 

L’INTERNATIONAL, L’OUEST, LES ÉTATS UNIS

Pour le confiné, la télévision est la pause entre l’IPhone et l’IPad. Pour échapper à « l’Hyperprésence » des chaînes françaises en continu, un passage le soir sur CNN est rafraîchissant. Vers 18 heures, chaque soir, le Gouverneur de New York, Andrew Cuomo fait un briefing talentueux. C’est une communication politique exceptionnelle, riche en sincérité, simplicité, pédagogie, et compassion. La malice n’est pas absente quand il s’agit de répondre à Washington, c’est à dire au Président Trump : « Je ne peux pas croire qu’un jour, j’aurais ceci à vous dire : ne buvez pas d’eau de Javel ». Plusieurs de ses messages seraient aussi bien adaptés à la situation de la France : « Tenons nous en aux « Faits » et tenons la politique à l’écart » ou « le déconfinement n’est pas affaire de politique mais de sciences ». Dans cette période, le Président Trump est particulièrement offensif, faisant de la Chine son thème électoral majeur pour novembre. Les relais donnés à sa parole par certains médias montrent que l’objectif est de lever une partie de son peuple contre un autre peuple. Une fois lancée, une haine populaire est difficile à maîtriser. Ceci déçoit beaucoup de l’Amérique, heureusement dans ce grand Pays des initiatives opposées se révèlent superbes et ainsi sur CNN on peut voir un sujet sur le racisme antichinois ou des commentaires très libres sur les composantes de la politique américaine. Les Chinois qui ont le goût du paradoxe noteront qu’ils sont défendus aux Etats-Unis par le pluralisme de la presse.

 

L’ACTUALITE, L’EST, LA CHINE

Il ne se passe pas une journée où il n’y a pas dans l’actualité un titre sur la Chine. La curiosité des médias est légitime et elle est aussi prolongée par la nouvelle guerre froide que commencent à se livrer les États Unis et la Chine. Les machines à propagande tournent à plein et ceux qui ont quelque expérience retrouvent des techniques déjà utilisées dans le passé. Il n’y a plus de place pour la complexité, il faut être simple : pour ou contre ! Le temps, de plus en plus rapide, apportera la transparence qui est attendue dans de nombreux pays.

En ce qui me concerne, je trouve que les thèses de mon livre « Chine, Le Grand Paradoxe » se trouvent confirmées par les événements. D’abord la guerre froide entre la Chine et les Etats-Unis s’affirme bien comme la relation structurante de la gouvernance mondiale pour les quinze ans qui viennent. Le piège de Thucydide se ferme, le numéro 1 n’accepte pas l’émergence d’un numéro 2, et le numéro 2 se verrait bien à la place du numéro 1. Le Covid-19 a plutôt accéléré le processus.

La brutalité de la confrontation révèle que la tension débordera largement l’échéance de la présidentielle américaine.

Ensuite, la diplomatie française, dans la lignée de la vision gaullienne de notre indépendance nationale veillera à garder des relations avec les deux parties. Les marchés chinois et américains sont « des marchés impératifs » pour toutes les entreprises mondiales françaises. Elles n’ont pas les moyens de choisir l’un ou l’autre. Enfin, cette situation appelle d’évidence le réveil de l’Europe. Dans ce monde de rapport de forces, la déconstruction de l’Europe ne conduit qu’à « notre sortie de l’Histoire ». Le sursaut européen est la première mission du couple franco- allemand.

Si la Chine réveille l’Europe, elle aura fait un travail utile.

 

Jean-Pierre RAFFARIN

X