Date de la brève : 13 août 2021
Le groupe de travail intergouvernemental, composé d’experts de toutes les parties du monde, vient de rendre son rapport d’évaluation sur les bases scientifiques des changements climatiques. Il est le sixième du genre, le précédent datant de 2013, régularité qui permet d’affiner les instruments de mesure et d’analyse tout en disposant de séries statistiques homogènes.
L’évaluation de 2021 repose ainsi sur des données plus larges et plus anciennes, des modèles de simulation améliorés pour mieux appréhender l’impact des activités humaines sur les différents aspects du climat, y compris les manifestations extrêmes.
Un constat sans appel
Les experts ne sont pas forcément d’accord entre eux sur tout et les travaux scientifiques ne sont pas toujours jugés suffisamment probants, l’occurrence de certains faits climatologiques et leurs explications semblent sujettes à caution mais, de ce rapport particulièrement fouillé, il en ressort sans conteste que, depuis 1750, début de la Révolution Industrielle, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté et que cela résulte des activités de l’homme.
De 1850 à nos jours, la température moyenne de la surface du globe s’est élevée d’un peu plus d’1% et, depuis le cinquième rapport, de 0,19%, donc une accélération du réchauffement. Cette hausse suscite des phénomènes naturels qui ne sont pas nouveaux mais dont la fréquence et l’intensité s’accentuent. Pluies et inondations, fonte des glaces, montée du niveau de la mer, qualité de l’air… en sont les principaux exemples.
La paléoclimatologie permet de comparer ces phénomènes sur des durées très longues, jusqu’à des centaines de milliers, voire des millions d’années. Pas de températures aussi fortes que celles d’aujourd’hui depuis 6500 ans ou 125 000 ans et il faudrait remonter à trois millions d’années pour trouver celles que nous connaîtrons en 2050, dans l’hypothèse optimiste où les engagements pris par les Accords de Paris de limitation du réchauffement de la planète seront tenus.
Le groupe d’experts esquisse cinq scénarios fondés sur les volumes d’émission de CO₂, de la neutralité carbone précoce à la neutralité tardive, de la relative maîtrise du réchauffement à court terme aux chaleurs dévastatrices d’ici la fin du siècle.
Les deux scénarios les plus volontaristes aboutissent à stabiliser la température du globe mais sans toutefois de point de retour pour certains phénomènes déjà enclenchés, irréversibles, qui vont s’étaler sur les siècles et les millénaires à venir, comme la montée du niveau de la mer : de deux à six mètres dans les deux prochains millénaires, deux tiers des côtes maritimes dans le monde seront concernées.
Pour asseoir ces hypothèses, les experts énoncent un théorème et le postulat d’un budget carbone qui serait alloué à la planète, aller au-delà de ce budget entraînera immanquablement des températures excessives.
Le théorème pose l’équivalence suivante : 1000 giga tonnes (mille milliards de tonnes) de CO₂ ajoutées entraîne un réchauffement moyen de la surface terrestre de 0.45°C. Le niveau actuel des émissions mondiales de CO₂ est de 40 gigatonnes par an, soit une augmentation de température de 0,09°C par décennie ou de 0, 27°C d’ici 2050 à taux d’émission constant.
La planète dispose d’un budget carbone, plus on tire sur ce budget, plus la température de la terre augmente. Depuis le début de la Révolution Industrielle, autour de 2390 gigatonnes de CO₂ ont été émises, ce qui a entraîné un réchauffement de la Terre d’environ 1,07°C. Limiter à 1,7°C le réchauffement supplémentaire pour s’en tenir à + 2,5/2,7°C implique – avec une probabilité statistique des deux tiers – que l’on n’émette pas plus de 700 gigatonnes de CO₂ à partir de maintenant, et, pour ne pas dépasser les 3%, pas plus de 1150 gigatonnes.
Bien sûr les membres du groupe de travail s’entourent de précautions pour avancer ces chiffres, avec des coefficients de probabilité et des fourchettes pour les estimations, mais, le constat est clair :
Un outil entre les mains des politiques
Le rapport se veut en quelque sorte un mode d’emploi de la santé de la planète, avec ses posologies, ses effets principaux et ses effets secondaires.
Il se veut plus affirmatif, plus précis et plus opérationnel que les précédents tant dans l’étendue des domaines couverts que dans l’annonce des conséquences à court (20 ans), long (80 ans) et très long terme (les siècles à venir) de ce qui va se dérouler d’ores et déjà ou de ce qui pourrait survenir si les températures franchissaient certains seuils. Certaines des conséquences sont présentées comme irréversibles mais d’autres peuvent encore être évitées.
Une analyse fine est faite pour chacune des 45 sous-régions du monde sur les effets déjà provoqués et ceux probables, selon les hypothèses retenues. Aucune sous-région n’échappe aux chaleurs extrêmes, et le doute de l’effet de l’action humaine n’est pas permis dans aucune d’entre elles.
Il reste trois mois avant la COP26 à Glasgow et donc aux responsables politiques pour s’entendre sur une trajectoire désirable des émissions de CO₂. Grâce aux travaux du GIEC, les décisions qui y seront prises – pour peu qu’elles soient bien exécutées – peuvent trouver leur traduction en termes d’élévation de la température de la surface du globe et des phénomènes climatiques qui en découlent.
Le rapport des experts du 9 août 2021 a été accueilli avec inquiétude par l’ensemble des observateurs et des cercles dirigeants. Cela sera-t-il suffisant pour que les décisions que la situation appelle soient adoptées à la mi-novembre ?
La récente réunion à Naples du G20 des ministres de l’environnement ne porte guère à l’optimisme. Les termes du débat ne peuvent se limiter à la seule écologie naturelle, mais sont surtout politiques.
Les pays du sud font valoir que, sur les 2390 gigatonnes de CO₂ émises depuis 270 ans, ils ne sont responsables que d’une faible partie, Europe et Etats-Unis étant de loin les plus gros émetteurs historiques.
Comment gérer ce solde du budget carbone qui reste aujourd’hui si l’on veut empêcher les catastrophes annoncées ? Comment se les répartir ? Faut-il tenir compte des émissions passées et donc du passif accumulé par les vieux pays industriels ? De leur niveau actuel ? Avec quel niveau réel de soutien à apporter aux pays du sud ?
Les préférences collectives différent. Les pays du sud peuvent estimer que leurs problèmes fondamentaux, immédiats, ceux du développement économique et social, sont leurs premières priorités, même s’ils sont durement impactés par les effets du réchauffement climatique.
La Chine veille à ce que son économie ne se ralentisse pas trop et pousse les feux sur les infrastructures. La construction de nouvelles aciéries au charbon seraient ainsi approuvées, avec des émissions subséquentes équivalant aux rejets de CO₂ des Pays-Bas.
Entre pays industrialisés, les opinions varient également, selon les structures économiques et les courants politiques. L’Europe entend montrer l’exemple avec le récent renforcement de ses objectifs de neutralité carbone et son Plan de relance à fort contenu environnemental. Mais, l’exécution sera difficile, compte tenu du coût de la transition pour l’Etat, les entreprises et les ménages.
L’attitude du Président Biden est révélatrice de cet inconfort politique car, dans le même temps, il prend des mesures fortes pour marquer son attachement au combat contre les dérèglements climatiques mais tout en demandant aux producteurs de l’OPEP d’accroître leur production pour faire baisser le prix du pétrole à la pompe et en annonçant aux Américains que le plan de verdissement de l’économie projeté se fera sans hausse du prix de l’essence…
La géopolitique n’arrange pas les choses, avec la tentation du « blame game » qui peut nuire à l’indispensable esprit de coopération.
Depuis Stockholm et sa conférence du climat en 1972, à lire les graphiques du groupe de travail du GIEC, le cours des choses environnementales ne s’est guère amélioré, en tout cas pas suffisamment. Le capital de CO₂ restant pour empêcher les chaleurs et incidents climatiques extrêmes s’amenuise au fil des ans et de façon accélérée. Les voix dissonantes, celles des négationnistes sur la réalité de la responsabilité de l’homme dans les dérèglements climatiques se font moins entendre mais, en revanche, celles des « catastrophistes », du « naufrage de la planète » sont bien audibles et peuvent porter à l’inaction par leurs excès.
Le rapport du GIEC, qui fournira la trame des travaux de la COP26 à Glasgow, témoigne d’une inquiétude grandissante sur les échéances qui se rapprochent mais il démontre également qu’il n’est pas encore trop tard pour agir, pour prévenir les phénomènes extrêmes. A la différence de la Covid-19, même avec les crues et vagues de chaleur de l’été, le sentiment d’urgence n’est pas pressant, sauf dans certaines couches de la population, et, au-delà de propos généraux, le prix à payer ne sera pas forcément accepté, comme on a pu le constater avec les gilets jaunes.C’est le défi de Glasgow que de concilier tous ces intérêts à la fois convergents et contradictoires. Le départ de Donald Trump de la Maison Blanche est bien sûr un élément positif pour avancer dans cette voie. Le ton des mises en garde du GIEC et la prise de conscience des entreprises de la nécessité de s’adapter, notamment par des innovations technologiques, sont également des facteurs favorables à une entente sur la vigueur et le partage des efforts à fournir. Il est aussi impératif que la solidarité intra-nationale comme internationale s’exerce à plein si l’on veut que les choses bougent. L’ampleur des sommes mobilisées au Nord, fer de lance du combat écologique, pour combattre les effets économiques du coronavirus, est là pour rappeler que les priorités peuvent trouver leurs moyens d’exécution quand la prise de conscience et la volonté politique sont au rendez-vous. Seront elles présentes dans la capitale écossaise dans trois mois ?
A en croire le rapport du groupe d’évaluation, tout atermoiement ne ferait qu’aggraver la situation et accroître le prix à payer ensuite pour ralentir la trajectoire. Question de leadership à l’échelle du monde et des pays. L’Europe peut remplir cette fonction par les engagements pris et sa capacité à les respecter en interne comme dans ses relations avec le sud, avec l’Afrique.
SD
< Retour à la liste