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La face cachée des cryptomonnaies

Date de la brève : 02 avril 2021

La presse financière comme générale suit quotidiennement l’actualité des cryptomonnaies, avec ce mélange de craintes contradictoires :  ne pas passer à côté d’une innovation fondamentale mais éviter aussi d’encourager un phénomène digne du génie de John Law et de ses actions de la Compagnie du Mississipi, qui ruinèrent les spéculateurs-rentiers de l’époque.

Ces monnaies numériques gagnent en crédibilité avec de grandes banques qui les commercent, des sociétés qui les acceptent en paiement et l’AMF qui en enregistrent certaines en instituant un contrôle des passages (achat/vente) à des « vraies » monnaies, celles qui ont un cours légal.

L’innovation est certaine et ne manquera pas de moderniser les circuits de règlements, de transferts, de compensations.

La bancarisation des milliards de personnes qui sont dépourvues de tout compte bancaire, la marche vers la création de devises ad hoc palliant la trop grande volatilité de monnaies nationales fiévreuses, sont aussi des avantages attendus de cette innovation.

John Law a imaginé le système des actions et des stocks options qui ont contribué à entretenir une spéculation effrénée mais il a aussi introduit en France le papier monnaie et s’était attaqué à réduire une dette publique dont le service excédait de loin les recettes fiscales de l’Etat.

La face riante de ce Janus monétaire comporte aussi une face cachée dont il ne faut pas minorer les dangers.

 

Une sécurité qui n’est pas à l’abri de toute épreuve.

Les techniques de fabrication des cryptomonnaies laissaient penser que le vol à grand échelle est impossible car il faudrait du temps, de l’énergie électrique et une capacité de traitement informatique à une échelle phénoménale. L’infraction ne peut pas passer inaperçue.

Mais, les failles du système sont réelles.

D’abord, il faut relever que les « mineurs », ceux qui permettent la création de la cryptomonnaie par la résolution de problèmes mathématiques complexes et perçoivent les monnaies cryptées, sont très majoritairement chinois, appartenant, dit-on, à la mafia chinoise. Ils ont la puissance électronique et les ordinateurs requis. La dernière secousse du prix du bitcoin coïncide d’ailleurs avec le Nouvel An chinois car il fallait des liquidités aux consommateurs chinois. Ce n’est pas très rassurant en soi, même si des garde-fous existent.

Les arnaqueurs utilisent toutes les faiblesses des systèmes informatiques des détenteurs de cryptomonnaies ou des plateformes spécialisées.

Modernisant le commerce des alcools détaxés et le piratage des banques centrales ou commerciales, la Corée du Nord s’est lancée dans les cyberattaques contre les places de marché de cryptomonnaie. On estime qu’en trois ans, ce sont 1,75 milliard de dollars qui ont pu être récupérés par Pyongyang.

Les manipulations de cours sont également un moyen de donner une nouvelle jeunesse à de classiques manipulations de cours boursiers.

Après avoir discrètement acheté 1,5 milliard de dollars de bitcoin, Elon Musk a claironné son acquisition, ce qui a fait monter aussitôt le cours du bitcoin (pas de Tesla).

Les monnaies servent aussi au blanchiment d’argent sale comme à contourner les règlementations des changes.

 

La spéculation, moteur de l’appréciation.

La spéculation est un moteur puissant des acteurs des cryptomonnaies.

Ce n’est pas le cas de tout le monde car la méfiance vis-à-vis de l’euro, la peur des dévaluations ou des interdictions de transfert, la croyance plus ou moins fondée que l’avenir réside dans la technologie mise au service de la monnaie, poussent bon nombre de particuliers à s’intéresser à ce type de placement.

Sans être un placement de père de famille et, si l’on a le cœur bien accroché, le bitcoin, par exemple, peut figurer dans le fond d’un portefeuille. Actuellement, près de 40% des bitcoins sont détenus depuis plus de deux ans.

A côté de ces motivations de placement à moyen et long terme, celles qui touchent à l’esprit de lucre sont particulièrement présentes. Les cours du bitcoin ont été multipliés par quatre en 2020 et le sentiment domine que la rareté de l’offre ne peut que provoquer la hausse des prix dans la durée.

La première vente aux enchères de bitcoins, sur saisie judiciaire, a été réalisée à la mi-mars avec des enchérisseurs qui ont accepté d’acheter à un prix supérieur aux cours pratiqués au même moment sur le marché.

De grandes banques d’affaires se prêtent maintenant – pour leurs clients – à des opérations et des investissements en cryptomonnaies.

Une œuvre numérique, payable en Ethereum (un avatar du bitcoin) s’est vendue le 11 mars près de 70 millions de dollars, cinq fois plus que le Van Gogh cédé au même moment, malgré sa rareté.

 

Des autorités monétaires et gouvernementales sur le qui vive

Les autorités ne peuvent se désintéresser de l’essor des cryptomonnaies car celles-ci permettent de s’affranchir des contraintes légales et des contrôles qui vont avec.

L’anonymat des opérations peut conduire à contourner les contrôles de changes, à ne pas fiscaliser les transactions commerciales, à blanchir l’argent sale…

Les banques centrales voient également leurs fonctions régaliennes menacées (taux d’intérêt, encadrement et orientations de la création monétaire), à côté des banques commerciales dont les dépôts peuvent fuir et leurs crédits affectés.

Loin d’être atomisé, le marché du bitcoin est dominé par des baleines (équivalents marins des licornes terrestres), au nombre d’un peu moins de 2500, et qui possèdent au moins un millier de bitcoins (soit environ 60 millions au cours d’hier), qui, selon leurs mouvements, rendent les eaux calmes ou agitées.

La semaine dernière les eaux furent tumultueuses avec des prises de bénéfices avec la vente lundi de 149 000 bitcoins, provoquant une baisse de 22% du cours du bitcoin et des pertes de 4,4 milliards de dollars pour les opérateurs.

Ces données exploitées par le quotidien « Les Échos » confirment bien que les cryptomonnaies sont plus proches des montagnes russes que des placements helvétiques.

Sous l’égide de la Banque des Règlements Internationaux, les banquiers centraux viennent de tenir un séminaire ces derniers jours pour concilier nouveauté et stabilité financières. La riposte va s’accélérer.

 

Une horreur écologique 

Créer du bitcoin, c’est résoudre des problèmes mathématiques complexes qui exigent de mobiliser d’immenses capacités informatiques, des milliers d’ordinateurs branchés sur le secteur.

La consommation électrique, au début de 2021, nécessaire pour la production et l’échange de bitcoins est estimée à l’équivalent de 10 mois de consommation électrique de la France, plus que celle de la Thaïlande ou de l’Argentine ! Une seule transaction peut en exiger 300Kwh, soit la consommation mensuelle d’un studio parisien.

Bien sûr, les cryptomonnaies, même à des sommets, peuvent prendre encore de la hauteur mais elles peuvent tout autant baisser.

Selon l’adage boursier, il faut acheter au bruit des canons et vendre au son du clairon.

Mais, quand s’arrêtera la canonnade et démarrera le son du clairon ?

 

SD

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