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Le financement des économies, Clé du développement africain

Date de la brève : 10 mai 2021

Près d’un an après le début de la pandémie de la Covid-19 qui a ébranlé les économies africaines et internationales, la question du financement du développement n’a pas perdu de son acuité. Publique ou privée, l’aide au développement concerne aussi bien l’ensemble des investissement privés, les transferts d’argent des citoyens expatriés à leur famille ou encore l’aide publique au développement, définie par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE comme une aide gouvernementale qui favorise et cible spécifiquement le développement économique et le bien-être des pays en développement.

 

1. L’Aide Publique au Développement (APD) : l’Afrique prioritaire, le secteur économique minoritaire

En 2020, l’aide publique au développement (APD) des pays membres du Comité d’aide au développement (CAD) s’était élevée à 161,2 milliards USD dont 158.0 milliards USD furent consacrés à des dons, à des prêts à des entités souveraines, à des allègements de la dette et à des contributions à des institutions multilatérales.

Par ailleurs, cette aide se concentre particulièrement vers les pays africains. En 2019 (dernière année pour laquelle des données définitives d’APD de l’OCDE sont disponibles), l’Afrique subsaharienne recevait près de 23% du total de l’aide publique au développement, soit près du double de n’importe quelle autre région. Certains pays africains se classent même parmi les 10 premiers pays destinataires de l’aide publique au développement, notamment l’Ethiopie, le Kenya et le Nigeria, respectivement à la 7ème, 9ème et 10ème place en 2019.

Ces fonds viennent le plus souvent de pays développés. Les pays les plus importants en termes de nombre de projets en Afrique sont respectivement les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. Le rapport de l’OCDE indique que les flux financiers traditionnels d’aide publique au développement sont en partie motivés par de fortes relations historiques. La France, par exemple, est un investisseur clé en Afrique francophone. Les partenaires émergents, comme la Chine, les Émirats arabes unis (EAU) et l’Inde, jouent un rôle de plus en plus important en Afrique, représentant 34 % du total des projets et plus de 50 % des emplois créés et des investissements en capital en 2019. Bien que la Chine ait été le plus grand investisseur en termes de capital total, investissant plus de deux fois le montant en dollars de la France ou des États-Unis, il convient de rappeler que l’aide publique chinoise, contrairement à l’aide fournie par la plupart des pays développés, n’est pas régie par les catégories du Comité d’aide au développement de l’OCDE et n’est pas comptabilisée dans les statistiques internationales en tant qu’aide publique au développement (APD).  Toutefois, selon les estimations de l’OCDE, la valeur de l’aide chinoise assimilable à de l’APD en 2018 était de 4,4 milliards de dollars. Si elle avait été comptabilisée comme telle, cette somme aurait placé la Chine au dixième rang des États donateurs cette année-là, entre la Norvège et le Canada.

S’il est vrai que la France est le 5ème bailleur du Comité d’aide au développement, en ayant dépassé le seuil des 10 milliards d’euros d’aide publique en 2017, il semble que le poids croissant de la Chine dans l’aide internationale ait motivé une réforme de l’aide bilatérale de la France caractérisée par la préférence des dons aux prêts pour éviter le surendettement des économies africaines.

Toutefois, la pertinence de l’aide publique au développement classique fait débat et a été ébranlée par l’entrée de la Chine dans le jeu international. Bien que l’aide publique au développement soutienne des secteurs délaissés comme la santé, l’éducation ou le développement durable en comblant le manque de financement dans ces secteurs délaissés grâce à des dons, ou des prêts, elle utilise peu le financement de la production comme levier du développement. En 2019, sur les 127 milliards de dollars investis par les pays membres du Comité d’aide au développement (CAD), près de 47 milliards étaient alloués aux infrastructures sociales et aux services (comme l’éducation et la santé), 18 milliards à l’aide humanitaire, et 2 milliards à l’assistance générale aux programmes. En somme, plus de 50% des ressources de l’aide publique au développement sont consacrés aux secteurs sociaux. Pour les pays les moins avancés, le constat est beaucoup moins équilibré. Le secteur social reçoit environ 70% de l’aide publique au développement, contre 20 à 25% pour le secteur productif.

Concernant l’aide publique multilatérale, effectuée par des organisations internationales financées par les Etats, ce constat en faveur du secteur social est similaire. La Banque mondiale articule ses missions autour de quatre objectifs : sauver des vies, protéger les populations pauvres, préserver et créer des emplois, ainsi que reconstruire sur de meilleures bases. Pour ce faire, elle a débloqué près de 25 milliards de dollars depuis mars 2020. La priorité est à la lutte contre la pandémie, et donc au financement du secteur sanitaire, notamment les vaccins.

Si ces aides sont nécessaires, d’autant plus en période de pandémie, elles restent loin d’être suffisantes pour assurer le développement des économies productives africaines. Selon Paul Akiwumi, directeur de la division Afrique, PMA et programmes spéciaux de la CNUCED, « sans un secteur productif solide, tous les investissements dans le secteur social – santé, éducation, etc. – les personnes qui sortent des universités n’auront pas d’emploi. Investir dans le secteur productif signifie diversifier l’économie, en s’assurant que la valeur est ajoutée à ce qui est produit ».

Contrairement aux pays historiques de l’aide au développement, les pays émergents, comme la Chine ou l’Inde ont saisi plus rapidement le poids du secteur productif dans le développement économique.  Les principaux secteurs de la coopération au développement de l’Inde sont le développement des infrastructures, l’énergie, l’agriculture, le renforcement des capacités et le développement communautaire. La majeure partie de l’aide au développement chinoise est représentée par des prêts subventionnés accordés par les banques politiques du pays. Ces prêts destinés au développement des infrastructures – par exemple, les transports, les communications et l’énergie -, semblent être une priorité principale de la politique d’aide chinoise, représentant un peu plus de la moitié de l’aide totale disponible, accordée par les banques politiques du pays. La Chine est actuellement un acteur clé dans la fourniture de fonds pour le développement des infrastructures des pays africains. Le dernier rapport de l’Infrastructure Consortium for Africa de 2020 révèle que la Chine a été le principal bailleur de fonds des infrastructures africaines ces dernières années avec près de 25 milliards de dollars, notamment pour le développement des transports, de l’énergie et des télécommunications.

 

2. Les Investissements Directs Etrangers (IDE), moteurs de l’industrialisation africaine

Dans l’optique de générer une croissance soutenue de l’économie, l’aide publique au développement se doit d’être conjuguée avec les investissements directs étrangers (IDE), d’ordre privé. Ces derniers désignent les flux internationaux de capitaux alloués à la création, le développement ou la maintenance d’une filiale à l’étranger, ou encore l’exercice d’une influence sur la gestion d’une entreprise étrangère.

En 2019, le volume des investissements directs étrangers s’établissait à 45.4 milliards de dollars pour les pays d’Afrique. L’Egypte culmine en tête du classement des pays africains destinataires d’IDE avec 9 milliards de dollars reçus en 2019, l’Afrique du Sud est loin derrière avec 4.6 milliards de dollars d’IDE reçus, suivie de près par le Nigeria (3.3 milliards), le Congo (3.4 milliards) et l’Ethiopie (2.5 milliards). La France, les Etats-Unis et la Chine comptent parmi les économies les plus généreuses.

Sur le plan empirique, les IDE participent à l’industrialisation à travers la création d’emplois dans le secteur industriel, la valeur ajoutée manufacturière au PIB et le transfert de technologie engagé par les firmes multinationales dont bénéficient les entreprises locales. La contribution des IDE à l’industrialisation s’explique par le fait que, selon les données de l’OCDE, les IDE s’orientent davantage vers le secteur industriel. En 2019, la valeur annoncée des investissements à destination de l’Afrique s’élevait à environ 32 milliards de dollars pour l’industrie manufacturière, dont 4 milliards étaient consacrés à l’industrie automobile, à 5 milliards pour le secteur du transport et à 20 milliards pour la construction et l’industrie électrique. Ces chiffres démontrent l’intérêt croissant des investisseurs envers le secteur productif. En 2016, la valeur annoncée des investissements directs étrangers à destination de l’Afrique s’élevait seulement à 19.4 milliards de dollars pour le secteur de l’industrie manufacturière. Par ailleurs, si en 2016 le secteur des services commerciaux captait 22.7 milliards de dollars d’investissements directs étrangers annoncés, ce chiffre tombe à un peu moins de 9 milliards de dollars pour 2019. Ces manifestations d’intérêt reflètent bien l’intérêt croissant porté à l’industrie en Afrique, mais elles restent à se traduire en projets concrets.

Selon les conclusions des travaux menés par des chercheurs de l’Université de Buéa au Cameroun sur la corrélation entre industrialisation et IDE, les effets des investissements directs étrangers sont loin d’être négligeables. Le taux marginal de valeur ajoutée manufacturière pour une augmentation d’1% d’IDE est de 9,64%. En d’autres termes, pour une augmentation de 1% d’investissement direct étranger à destination des pays africains, la valeur ajoutée manufacturière de la région augmente de près de 10%. Outre à la croissance de la valeur ajoutée et à la part plus importante de l’emploi du secteur industriel dans l’emploi total, les IDE contribuent également à la diversification des économies africaines. Ainsi, faut-il, pour que l’Afrique accélère sa dynamique de développement et de transformation structurelle, favoriser l’investissement privé et encourager la construction d’infrastructures.

Pour autant, les perspectives d’IDE pour l’Afrique en 2020 restent négatives dans le contexte de la pandémie. La CNUCED prévoit une baisse de 25 à 40 %, établie selon les projections de croissance du PIB ainsi que sur une série de facteurs spécifiques à l’investissement.  En avril 2020, le nombre de fusions-acquisitions transfrontalières ciblant l’Afrique avait diminué de 72 % par rapport à la même période en 2019. En 2020, les flux d’IDE vers l’Afrique du Nord ont diminué de 11 % pour atteindre 14 milliards de dollars. Malgré une hausse des IDE en 2018, on constate une baisse des flux vers l’Afrique subsaharienne de l’ordre de 10% en 2019. Entre incertitude économique généralisée et difficultés de circulation, de nombreux projets d’investissement annoncés et planifiés risquent d’être ralentis, voire abandonnés.

 

3. Entre résilience et croissance : les levées de fonds au service du secteur économique africain, et le rôle effacé des transferts de fonds de la diaspora africaine

Malgré les perspectives négatives immédiates pour les IDE en Afrique qui suivent la pandémie, certains facteurs semblent limiter l’ampleur du déclin des investissements et contribuent à stimuler une reprise, parmi eux, les levées de fonds.

En pleine pandémie de la Covid-19, la tech africaine est parvenue à organiser 359 levées de fonds, réalisant une croissance de 44% par rapport à 2019 d’après les résultats de l’enquête annuelle Partech Africa sur le financement en capital-risque des start-up africaines. Malgré le sévère ralentissement qu’a connu la croissance économique en 2020, le rebond de la tech africaine s’accompagne d’un certain optimisme affiché par Cyricol Collon, General Partner du fonds Partech Africa. Quatre pays se distinguent. Il s’agit du Kenya, de l’Egypte, du Nigeria et de l’Afrique du Sud. Ce sont les entreprises du secteur de la fintech qui attirent le plus d’investisseurs avec une hausse de 49.3% en 2020.

La diaspora africaine s’impose comme l’une des principales sources de financement, si bien qu’en 2017, les transferts de fond de la diaspora africaine ont atteint 65 milliards de dollars, plus du double de l’aide publique au développement des bailleurs de l’Afrique. Pour autant, ces fonds répondent moins aux dynamiques de financement des économies africaines qu’aux besoins de sécurité financière des populations concernées. Malgré certaines initiatives étatiques comme l’émission de « bons de la diaspora » (« diaspora bonds ») pensée pour éviter aux Etats africains de souscrire à des prêts sur le marché international, les ressources de la diaspora n’irriguent que très peu le tissu productif des économies africaines, et peinent à créer de la valeur ajoutée.

En somme, si l’aide publique au développement est indispensable pour assurer le développement économique de l’Afrique, celui-ci ne peut se réaliser sans la prise en compte du secteur productif. C’est à ces fins qu’entrent en scène les pays émergents, comme la Chine ou l’Indonésie, avertis de l’atout de l’investissement dans le secteur productif pour assurer le développement économique africain. Le financement du développement s’articule également autour des levées de fonds et des investissements directs étrangers, moteurs de l’industrialisation du continent.

SE

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