Date de la conférence : 28 avril 2021
Intervenants
Les sols et sous-sols du continent africain abondent en matières premières, et contribuent indéniablement à approvisionner le reste du monde. L’Afrique est en tête du marché international de fèves de cacao, le Nigéria comme l’Angola approvisionnent une bonne partie de la demande internationale en pétrole, la République Démocratique du Congo se place parmi les principaux fournisseurs de cobalt, dans la culture du café, l’Ethiopie et la Tanzanie se démarquent…
Ce constat, qui ne manque pas de susciter espoirs et attraits, n’entraîne pas pour autant le développement, la résilience, et la croissance attendus. En effet, bon nombre de pays africains dotés de ces richesses se trouveraient victimes d’une « malédiction des matières premières », sans parvenir à réduire leurs dépendances. Il va de soi que chaque région, chaque pays, chaque produit a ses spécificités. Néanmoins, le constat suivant peut être porté à l’échelle continentale : l’Afrique rencontre toujours des difficultés à diversifier ses économies, à valoriser ses rentes, à engendrer une dynamique d’industrialisation et, plus largement, à s’insérer dans les chaînes de valeur internationales.
Dans la perspective du Sommet sur le financement des économies africaines organisé par le Président MACRON le 18 mai 2021 à Paris, la Fondation Prospective et Innovation a organisé le mercredi 28 avril un webinaire sur la thématique « Matières premières et décollage de l’Afrique : contraintes et opportunités » (voir le replay).
L’invité d’honneur, Dr. Ibrahima Kassory FOFANA, Premier ministre de Guinée, a fait part des défis actuels auxquels la Guinée est confrontée et de la contribution des recettes du secteur minier – gage de l’essor économique du pays – pour y faire face. Aux côtés de Jean-Pierre RAFFARIN, Ancien Premier ministre et Président de la Fondation Prospective et Innovation, Philippe CHALMIN, Président-Fondateur de CyclOpe, Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine et Yves JEGOUREL, Président de l’association Commodities for Nations, Professeur des Universités à l’Université de Bordeaux, ont également partagé leurs analyses sur cette thématique et les enjeux qui s’y rattachent.
La Guinée et ses ambitions de transformation industrielle
Si la Guinée se place parmi les premiers producteurs mondiaux de bauxite, pour autant, ce minerai est encore trop majoritairement exporté à l’état brut, sans passer par la « case transformation » en alumine puis en aluminium, laissant le bénéfice de cette valeur ajoutée aux acteurs extérieurs.
Dans l’optique de générer une croissance de son économie à hauteur des enjeux sociaux, l’action gouvernementale porte désormais ses efforts sur un développement inclusif et durable par la valorisation des richesses naturelles.
Cette volonté de transformation industrielle – à travers la promotion générale du secteur secondaire – permettrait d’exploiter la rente de la bauxite, mais également du fer et de l’or, en témoignent les efforts déployés dans les programmes d’industrialisation et les projets de raffineries. L’accent est également mis sur le secteur de l’agriculture dont dispose en abondance la Guinée, avec ses 10 millions de terres exploitables.
Ces initiatives sont créatrices d’emplois directs et indirects pour la population guinéenne, qui continue de croitre à hauteur de 3 %. Pour aboutir à des résultats concrets, cette volonté gouvernementale mise sur l’industrie locale. Le mot d’ordre est le suivant : il faut que cette initiative soit portée par et pour les guinéens avant tout.
Outre les avantages économiques et la création de richesses, une valorisation en amont et en aval des ressources contribuerait à remonter l’économie guinéenne dans la chaîne de valeur et augmenter sa résilience face aux chocs internes comme externes.
Néanmoins, si certains produits présentent de réels avantages comparatifs à être transformés, ce n’est pas le cas de tous. Les intervenants ont souligné que, stratégiquement, certains produits ne gagnent pas nécessairement à être transformés, le cas de la tomate au Maroc a été évoqué, celui de l’ananas également. La qualité et une commercialisation active sont des atouts valorisants.
Comment déjouer la « malédiction des matières premières »
La majeure partie des pays africains qui dépendent des matières premières sont exposés aux aléas des cours : tantôt, ils subissent des chutes vertigineuses des prix et des productions, tantôt se manifeste le « super cycle des matières premières » avec une demande plus forte que l’offre qui génère l’augmentation des prix. La demande chinoise y contribue de manière prédominante et, de ce point de vue, la Chine ne peut être mise à l’écart.
A ce jour, il semble que les pays producteurs aient le vent en poupe, mais pour combien de temps ? Jamais les prix du minerai de fer n’ont été aussi élevé, le marché de l’aluminium voit ses prix monter et il en va de même pour l’or qui a atteint 2000 dollars l’once en 2020.
Là où les politiques publiques nécessitent de se projeter à 3 voire 4 ans dans le futur, la fluctuation des cours constitue une marge d’incertitude handicapante, empêchant toute planification. Dans ce contexte, une faible ou une mauvaise gestion des ressources naturelles conduit à des maux chroniques connus de tous : corruption, surendettement, dégradation des services publics…
Finalement, toute la difficulté réside dans le constat suivant : le pari de construire un développement économique avec les matières premières semble porteur, celui d’un développement économique uniquement sur les matières premières bien plus risqué…
Pour autant, cette « malédiction des matières premières » n’est éminemment pas propre à l’Afrique, ni même à cette décennie ; en témoigne le cas de l’Espagne qui au 16ème siècle tentait de dominer l’Europe avec l’or et l’argent. Plus récent, le syndrome hollandais (surévaluation de la monnaie) est là également pour démontrer les méfaits que peut provoquer une dépendance trop forte à l’égard d’un produit (ici le gaz naturel). Les cas inverses existent mais sont plus rares, le Chili avec le cuivre ou encore la Malaisie avec l’étain et le caoutchouc qui ont surmonté leur dépendance.
Cette « malédiction des matières premières » ne pourrait-elle en réalité n’être qu’un concept nébuleux, déterministe, mêlant considérations politiques et économiques, parfois même sociales qui dans le cas présent nécessitent d’être isolées pour davantage de clarté ? La question reste ouverte.
Enjeux inhérents aux matières premières
Promouvoir une industrie de transformation implique pour les pays africains bien d’autres défis à relever ; parmi eux, le déficit d’infrastructures adéquates indispensables à l’industrie.
Les intervenants se sont rejoints sur le point suivant : il n’y a pas de développement industriel sans développement énergétique, investir dans les réseaux électriques est primordial. A ce titre, depuis une dizaine d’années, la Guinée, château d’eau de l’Afrique de l’ouest, s’engage à soutenir avec ferveur son potentiel hydraulique (estimé à 10 000 MW). Les défis des pays africains résident également dans les infrastructures de transports – routières et ferroviaires notamment – capables d’assurer l’acheminement des ressources. Des mécanismes de réduction des risques, d’assurance et de garantie sont à promouvoir pour faciliter leur financement.
Ensuite, en complément de politiques industrielles décisives, une amélioration du climat des affaires est fondamentale. Il s’agit par-là d’offrir aux investisseurs étrangers un cadre juridique et fiscal optimal et rassurant (harmonisation des cadastres, actualisation régulière des législations, transparence publique…). En concentrant ses efforts sur l’amélioration de son environnement des affaires, la Guinée a permis des investissements à la hauteur de 6 milliards de dollars sur la décennie.
Enfin, le manque de personnels qualifiés nécessite d’investir dans le capital humain, la formation, et l’acquisition de compétences.
Chaque pays africain a ses particularités et ses spécificités qu’il convient de prendre en compte. Il n’y pas une mais des stratégies à adopter. Ces défis soulèvent tous la question des financements, de la mobilisation des moyens, des investissements privés et publics. Sur ce point la Chine semble répondre présente en offrant des financements et un engagement à long terme qui fait largement défaut ou, en tout cas, ne sont pas suffisants pour le reste du monde. Le Sommet du 18 mai 2021 sur le financement des économies d’Afrique subsaharienne devrait répondre à ce déséquilibre que l’Afrique aimerait voir corrigé.
OH
Replay de la conférence