Date de la conférence : 24 février 2021
L‘intelligence artificielle, et les technologies qui lui sont associées, se développent à grande vitesse. Leur importance grandissante et protéiforme dans nos sociétés entraîne de nombreuses interrogations, tant sur la liberté des pays, que sur la liberté des individus.
C’est à ces interrogations que la Fondation Prospective et Innovation a voulu répondre en organisant en 2019 un cycle sur le thème : « Intelligence numérique ». Plusieurs événements, notamment avec Luc FERRY et Eric ENDERLIN, et une centaine de hauts dirigeants français, chinois et américains avaient éclairé la Fondation d’analyses, de points de vue et de propositions de coopération internationale. De ces échanges, la Fondation Prospective et Innovation en a tiré un livre sur l’Intelligence Artificielle, publié le 26 janvier 2021.
A l’occasion du lancement de cet ouvrage, aux côtés de Jean-Pierre RAFFARIN, Ancien Premier ministre et Président de la Fondation Prospective et Innovation, Gérard ROUCAIROL, Président honoraire de l’Académie des Technologies et Président du pôle numérique de l’Académie des Technologies et Jean-Hervé LORENZI, Président du Cercle des Economistes, ont partagé leurs réflexions sur cette thématique lors du webinaire du 27 janvier 2021. De ces fructueux échanges, quelques points sont particulièrement ressortis :
Les réalités de la transformation numérique et le rôle de l’IA : doit-on avoir peur ?
Pour comprendre les enjeux de l’intelligence artificielle, faut-il encore en saisir le fonctionnement. Notre univers est composé de trois mondes : le monde réel, qui nous est familier, le monde de la connectivité et le nouveau monde des intermédiaires caractérisé par des concentrations de moyens de calculs et d’archivage des données. Les transformations numériques permettent d’augmenter notre monde réel en ajoutant des capacités aux entités qui le composent, notamment avec le téléphone, ou encore avec les capteurs ou des robots ajoutés aux chaînes de production. Tous ces calculs numériques, utiles à la communication, font appel aux services du nouveau monde des intermédiaires. Nous assistons à l’émergence d’une nouvelle société, radicalement tournée vers les services, et particulièrement vers les services en ligne, facilités par la plateformisation. A travers l’exemple de la santé, les enjeux du numérique apparaissent clairement. La médecine préventive, personnalisée, prédictive et participative -née de l’utilisation des données grâce aux nouvelles technologies – permet d’une part, l’amélioration de la qualité de vie de chacun, et d’autre part de maîtriser les dépenses de santé.
Néanmoins, les enjeux de l’intelligence artificielle sont à nuancer. En effet, les économistes sont particulièrement préoccupés par les effets de ces nouvelles technologies sur l’emploi. De la catapulte, avec les soldats romains, au conflit entre la machine et les Ludistes, les technologies de l’intelligence artificielle ne dérogent pas à l’idée que les innovations ont toujours terrorisé les êtres humains. Ainsi, face à la transformation numérique que nous vivons, deux manières de penser émergent et s’opposent. La première, plutôt pessimiste, représentée par Kai-Fu Lee et les économistes d’Oxford, Carl BENEDIKT FREY et Michael A. OSBORNE, estime que 40 à 47% des emplois seraient transformés voire supprimés à l’avenir. A l’inverse, les utopistes, tels qu’Alfred SAUVY et plus encore Jeremy RIFKIN, voient dans l’intelligence artificielle et les transformations numériques qui l’accompagnent, une innovation, qui, à terme, mènera à une hausse du pouvoir d’achat des consommateurs.
Cependant, il est nécessaire de rappeler que depuis vingt ans, le monde est confronté à une baisse des gains de productivité liée à l’utilisation de l’informatique, malgré les avancées technologiques. Cette faiblesse des gains de productivité conduit à la bipolarisation du monde du travail et à la fin de la classe moyenne, avec d’un côté les employés qualifiés, et de l’autre, les employés disqualifiés. D’autre part, les économistes Larry SUMMERS et Robert J. GORDON emploient le terme de « stagnation séculaire » pour désigner l’essoufflement de la croissance économique face au vieillissement de la population et à la faiblesse des gains de productivité.
Dès lors, il s’agit moins de freiner la progression de l’intelligence artificielle que de placer en priorité la formation des individus frappés par les avancées technologiques.
Face aux hyperscalers : quelle réponse en tant qu’Européens ?
Sur le marché des plateformes liées à l’intelligence artificielle et aux transformations numériques, seuls quelques acteurs se démarquent et dominent le marché. Ce sont les hyperscalers, verticalement intégrés, ils sont les nouveaux « mainframes » (ordinateur central) et possèdent des data centers considérables permettant d’accueillir plusieurs services simultanément. S’ils sont en tête dans les valorisations boursières, c’est parce qu’ils ont réussi à reconstituer une verticalisation informatique en créant des chaînes de production contrôlées par un groupe seulement, quand avant, plusieurs entreprises produisaient pour un client final.
Bien qu’aucune entreprise européenne ne soit classée parmi les entreprises qui dominent le marché, l’Europe est bien décidée à rattraper les Etats-Unis et la Chine, notamment en se dotant de supercalculateurs, en essayant d’amoindrir l’hégémonie des GAFA dans le continent européen ou en soutenant des opérations comme GAIA-X qui visent à développer une infrastructure de données compétitive. Par ailleurs, si une négociation avec l’administration américaine est envisageable, un partenariat avec les Chinois – qui éprouvent des difficultés pour exporter leurs productions informatiques – est tout aussi profitable. L’Europe ne manque pas de compétences, mais de capacités pour les réunir.
Face à l’importance grandissante de l’intelligence artificielle dans nos sociétés, plusieurs voix émergent, dont celle de l’Académie des Technologies représentée par Gérard ROUCAIROL, pour encourager la plateformisation des services publics et la mise en place d’une circulation européenne et vertueuse des données, pour s’appuyer davantage sur l’initiative franco-allemande GAIA-X qui assure le partage et l’échange des données autonomes et indépendants
Entre développement et consommation, quels sont les enjeux de l’intelligence artificielle en Afrique ?
Reste-t-il de la place pour le reste du monde, et notamment l’Afrique dans cet écosystème de créations d’une économie d’une société numérique ?
L’Afrique, du fait de ses infrastructures et de son évolution technologique, peut trouver dans l’intelligence artificielle des perspectives de développement futurs. En effet, les mutations sont tellement profondes, qu’il est toujours possible pour le continent africain de s’intégrer au moment où se développent de nouvelles générations. Aussi, l’une des vertus des plateformes est celle d’organiser des circuits courts dont l’efficacité a été prouvée à bien des égards lors de la gestion de la crise sanitaire dans les pays africains.
Ainsi, plus qu’un facteur d’intégration, l’intelligence artificielle est probablement l’alliée du développement numérique africain.
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