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CR du webinaire : « Quelle coopération triangulaire Chine/Afrique/France-Europe ? »

Date de la conférence : 19 juin 2020

Par Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

 

Pour le développement de l’Afrique, ces quinze dernières années ont représenté une période relativement faste. Le continent a connu une croissance moyenne de 5% pour la décennie 2005-2015 puis, après la pause de 2016-2017, il a connu un rebond en 2018-2019. On pouvait raisonnablement escompter que les quelques pays de la région qui affichaient des performances tout à fait remarquables allaient entrainer de proche en proche les autres vers l’émergence. Pourtant, depuis le début de cette année, les nuages se sont accumulés : à la pandémie de COVID-19 s’ajoute la panne économique exceptionnelle qui frappe l’ensemble de la planète, tout cela sans parler de la crise alimentaire qui menace une partie du continent. Or, dans cet ensemble africain où la démographie reste extrêmement dynamique, la poursuite d’un développement soutenu est cruciale et l’Europe, qui est attachée à l’Afrique par des liens multiformes, est particulièrement sensible à cet enjeu.

C’est dans ce contexte que la Fondation pour la Prospective et l’Innovation toujours très attentive à l’évolution du continent africain et soucieuse de contribuer à son développement, s’attache à explorer les opportunités de coopération triangulaire entre celui-ci, la Chine et, bien sûr, la France et, au-delà, l’Europe. Elle organisait dans ce cadre, le 17 juin 2020, un wébinaire autour de SE Mr El Hadji Magatte SEYE, ambassadeur du Sénégal à Paris. Les réflexions qui ont été présentées à ce sujet ont donné lieu à un riche débat.

Entre la France et le Sénégal, les relations sont si anciennes et si étroites que, des deux côtés, on a le sentiment de bien se connaitre alors que notre familiarité même peut nous conduire à ne pas être suffisamment attentifs à telle ou telle évolution. La situation de crise qui prévaut actuellement rend plus indispensable que jamais de consentir un effort massif sur les investissements en Afrique : dans le secteur de l’agriculture, de l’énergie, des infrastructures de transport et de télécommunication, de l’éducation et de la formation, dans la création d’un écosystème juridique et financier favorable aux affaires… : l’Afrique en a un besoin urgent. Or, ce sont des investissements lourds pour lesquels il faut de bons partenaires. Bien sûr, la France et l’Europe, interlocuteurs traditionnels du continent en constituent d’excellents. Mais la Chine présente aussi un grand intérêt. Elle a l’avantage d’être neutre vis-à-vis des affaires intérieures des pays où elle intervient et elle est très rapide dans la mobilisation des fonds. Avec elle, pas de longs débats sur les droits de l’Homme ni d’enveloppes qui peinent à se consommer : la coopération est expéditive. Autrement dit, l’Europe et la Chine, chacune avec ses caractéristiques propres, sont, d’une certaine façon, complémentaires et c’est tout l’intérêt d’une coopération triangulaire. Dans un précédent poste, l’ambassadeur s’en est occupé sur la base d’une idée avancée par le premier ministre français de l’époque, Manuel VALLS. Il n’y aurait que des avantages à reprendre la réflexion sur un sujet qui est très riche d’opportunités et sur lequel les Chinois sont eux aussi demandeurs.

Du côté des entreprises françaises, on s’interroge sur la possibilité de sauver le secteur du tourisme qui est actuellement sinistré en raison des effets de la pandémie de COVID-19. Ne serait-il pas temps de lancer une grande campagne de promotion ? D’autre part, en ce qui concerne la coopération triangulaire, le secteur privé français n’a pas de problème avec l’idée mais il est préoccupé par les conditions de concurrence qui s’appliquent aux entreprises chinoises. Beaucoup d’entre elles bénéficient de subventions de la part de l’Etat chinois ou des collectivités territoriales qui leur permettent de proposer des produits ou des services à des prix imbattables : c’est un avantage indu au détriment des entreprises françaises ou européennes. D’autre part, ces mêmes entreprises doivent respecter des règles de compliance fixés par l’OCDE que leurs concurrents chinois peuvent se permettre d’ignorer. Là aussi, la concurrence est faussée. Ne serait-il pas possible d’introduire dans les appels d’offre lancés par les autorités publiques africaines, notamment sénégalaises, des critères à respecter en matière de compliance ? Ce serait évidemment l’intérêt des entreprises européennes mais aussi l’intérêt des Africains qui bénéficieraient ainsi d’une qualité de service sensiblement accrue.

En fait, le Sénégal travaille à ce sujet avec l’Union Européenne, plus précisément sur la définition de standards environnementaux et sociaux que, de toute façon, les populations africaines sont de plus en plus nombreuses à réclamer elles-mêmes. Les introduire parmi les conditions à respecter dans les appels d’offre serait en effet tout à fait justifié. En revanche en ce qui concerne les subventions, il est très difficile d’avoir la preuve de leur existence.

Sur le point de savoir comment les Africains réagissent à la mode du « China bashing » qui semble s’être emparée de la planète, il faut relativiser. Il est vrai que, dans certains secteurs, l’arrivée des Chinois a été perçue comme intrusive mais ils ne suscitent pas de sentiment d’exploitation ni de réaction de rejet. Quant à la dégradation des relations sino-américaines, elle a surtout l’inconvénient de rendre plus difficile les échanges internationaux. On a besoin de stabilité pour développer le commerce et les investissements : ces querelles n’y aident pas. En ce qui concerne la dette, la décision du G20 de suspendre le paiement des échéances jusqu’à la fin de l’année a certes donné un répit appréciable aux gouvernements africains mais elle reste en deçà des attentes. La dette africaine envers la Chine se monte aux environs de 150 Mds de $ : si Xi Jinping annonçait l’annulation de tout ou partie de cette somme, il s’acquerrait une reconnaissance éternelle.

Les intervenants se sont accordés enfin pour reconnaître l’importance de la solidarité eurafricaine. A l’heure où les questions de souveraineté refont surface, où l’on prend conscience qu’il faut reprendre la main sur certaines activités ou sur certains produits, on se demande comment faire pratiquement. Tout n’est pas rapatriable dans un seul pays. La France peut songer à distribuer les rôles entre partenaires européens mais la solidarité eurafricaine donne encore plus d’espace à l’exercice de cette souveraineté à retrouver. Dans ce domaine aussi, les deux continents peuvent avoir un destin commun.

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