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« Intégration économique et financière en Afrique à l’heure du virus »

Date de la conférence : 02 octobre 2020

Intervenants

  •  Kako NUBUKPO, Ancien ministre de la Prospective et de l’Evaluation des politiques publiques du Togo, auteur de l’ouvrage L’Urgence africaine : changeons le modèle de croissance.
  • Jean-Pierre RAFFARIN, ancien Premier ministre, Président de la Fondation Prospective et Innovation
  • Etienne GIROS, Président délégué du CIAN
  • Jean-Michel SEVERINO, Président d’Investisseurs et Partenaires

CYCLE : AFRIQUE – EUROPE – CHINE

 

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La crise sanitaire de la COVID-19 a mis un peu plus en valeur l’importance de l’intégration économique et financière du continent africain.

A un moment où les Etats-Unis et la Chine, investisseurs en Afrique pour 100 et 120 milliards de dollars respectivement en 2019 se replient sur eux-mêmes, où le terrorisme continue de menacer et où la démographie ne faiblit pas, que peut-on faire pour aider le continent ? C’est une question qui doit mobiliser les Européens tant il est vrai qu’il ne peut y avoir de prospérité et de sécurité en Europe sans un minimum de prospérité et de sécurité en Afrique.

Dans le cadre de son cycle annuel consacré à la relation triangulaire « Afrique – Europe/France – Chine », la Fondation Prospective et Innovation a organisé une rencontre audiovisuelle le mardi 29 septembre sur le thème de « L’intégration économique et financière de l’Afrique à l’heure du virus ».

Aux côtés de Jean-Pierre RAFFARIN, Ancien Premier ministre et Président de la Fondation Prospective et Innovation, Kako NUBUKPO, Ancien ministre de l’Évaluation et des politiques publiques au Togo, auteur de l’ouvrage L’urgence africaine : changeons le modèle de croissance, Jean-Michel SEVERINO, Président d’Investisseurs et Partenaires, Ancien Vice-président à la Banque Mondiale, Ancien Directeur Général de l’AFD et Etienne GIROS, Président Délégué du Conseil français des Investisseurs en Afrique (CIAN) nous ont fait part de leurs visions de l’intégration régionale de l’Afrique.

Des 90 minutes d’échanges, il ressort ce qui suit :

 

  1. Incertitudes grandissantes face à la crise sanitaire 

 

Alors que les autorités prévoyaient un véritable « raz-de-marée » de la COVID-19 en Afrique, le continent parait relativement épargné. Une bonne chose au vu de la faiblesse des systèmes de santé africains ; à titre d’exemple, le Togo, avec 1736 cas révélés au 28 septembre, ne dispose que de 4 respirateurs pour l’ensemble du pays.

Pour autant, l’impact de la pandémie sur les économies africaines est quant à lui sévère : en 2019, la croissance du PIB africain était de 3,2 % et les estimations pour 2020, de 3,8 %.  A l’heure actuelle, on craint une contraction du PIB de 12 % (soit 300 milliards de dollars). Certains pays, tels que le Nigéria, l’Algérie ou l’Angola, sont profondément atteints par la chute du prix du pétrole, d’autres, comme le Sénégal, le sont par l’effondrement du tourisme et tous par la baisse des transferts privés traditionnellement effectués par les Africains travaillant en Europe. La dette africaine , qui avait déjà doublé  cette dernière décennie,  s’aggrave avec  un niveau d’apparence modéré (de 30 à 60%), mais suffisant pour amputer les faibles marges de manœuvre existantes aux plans budgétaires comme de la balance paiements.

A cela s’ajoute le fait que les capacités de financement de la Chine, grand contributeur à l’équipement de l’Afrique ces dernières années, se sont sensiblement réduites. Les investisseurs de l’Empire du Milieu sont devenus beaucoup plus regardants aujourd’hui et la Chine devient un peu plus auto-centrée en matière de financements.

 

  1. Des chaînes de valeurs en transition

 

On a longtemps vécu sur l’idée que le décollage accéléré de la Chine, avec les hausses de salaires et la montée en gamme de l’industrie qui en étaient la conséquence, allait se traduire par un glissement de « l’atelier du monde » vers l’Asie du Sud et vers l’Afrique. Il fallait donc que le continent organise son développement en fonction de cette perspective. Même si ce mouvement s’est  esquissé, les choses apparaissent beaucoup moins simples aujourd’hui.

C’est le résultat du regain de nationalisme économique qui se répand , mais plus encore de la robotisation qui permet de rapatrier la production au plus près des marchés sans autre surcoût que celui de l’investissement initial, très vite amorti. Les transferts d’activité tendent à se réduire au secteur des services que les robots ont nettement plus de peine à coloniser.

L’intégration régionale n’en est donc que plus nécessaire car c’est la fragmentation des marchés qui bloque le  développement des entreprises, les retient de grossir et d’investir. Les projets d’intégration ne manquent  pas mais c’est leur mise en place concrète qui n’en finit pas de traîner.

 

  1. Une intégration régionale freinée par plusieurs obstacles 

 

La difficulté du dépassement des nationalismes est un premier frein à l’intégration régionale. Le traité de la Zone de Libre Échange Continentale prévoit la suppression des droits de douanes et des barrières non tarifaires entre tous les pays africains sur 90% des biens et services. Cette mesure suppose des transferts de souveraineté économique difficiles à concevoir au vu des antagonismes nationaux… De la même manière, certains pays comme le Nigéria se montrent prudents quant au passage  à l’Éco et  l’intégration financière qu’il implique pour son économie.

La question est celle aussi de l’hétérogénéité économique des pays africains : l’Angola, l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Egypte, le Maroc, et le Nigéria représentent à eux six, 65 % du PIB de l’Afrique et sont ainsi plus susceptibles d’adopter des mesures protectionnistes.

Enfin, la ZLEC implique nécessairement la simplification des procédures, des paperasses inutiles et une (ré)adaptation des infrastructures de transport. Il faut par exemple 70 jours pour transporter de la marchandise entre Douala et Bangui (1300 km) : rédhibitoire pour les périssables. De la même manière, il est bien moins cher de transporter un conteneur de Shanghai à Douala que de Douala à N’Djamena…

Dans cette optique, on peut se demander s’il n’est pas plus pertinent de renforcer les politiques d’action en comités restreints telles que les Communautés Économiques Régionales (CER) qui ont d’ores et déjà prouvé leur efficacité…

 

  1. Les mouvements profonds de la société africaine

 

Que manque-t-il donc pour réaliser concrètement la ZLEC ? Pourquoi, sur ce terrain essentiel, les progrès sont-ils si lents ?

Kako NUBUKPO met en avant  « la dictature de l’urgence ; pour les gouvernements, le long terme, c’est la semaine prochaine ». Pourtant, il ne faut pas désespérer. A côté des élites occidentalisées, il y a les peuples. Pendant que les premiers sont attentifs aux cadres juridiques, à la manière correcte de bien organiser les choses, les seconds pratiquent de facto l’intégration régionale sans le savoir. Les peuples sont plus intégrés que la superstructure. C’est surtout par le secteur privé que s’effectue le processus d’intégration. Ainsi, voit-on de plus en plus d’entrepreneurs africains développer d’emblée des stratégies régionales voire continentales sans se limiter au seul pays où ils démarrent leurs affaires. Et ceci vaut même pour les TPE-PME.

A quelque chose, malheur est bon : la faiblesse de l’État en Afrique est une force pour l’intégration.

OH

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