Dans le cadre du cycle « Afrique, France/Europe, Chine » organisé par la Fondation Prospective et Innovation, Jean-Pierre RAFFARIN, ancien Premier Ministre, Président de la FPI, s’est entretenu le 25 novembre 2020 avec S.E.M. LU Shaye, Ambassadeur de Chine en France, autour de la thématique « La Chine et l’Afrique : quel triangle possible avec l’Europe ? ».
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La percée chinoise en Afrique illustre une nouvelle étape de la mondialisation et la rencontre des deux cultures les plus éloignées que la terre puisse porter. Au sein de l’opinion publique, cette coopération fait encore l’objet de scepticisme alors que celle-ci peut se révéler source d’opportunités pour ce continent aux multiples défis.
Parallèlement, nul ne peut ignorer les relations privilégiées qu’entretiennent l’Afrique et l’Europe. A ce jour, on ne peut envisager une Europe heureuse avec une Afrique malheureuse et inversement. C’est en ce sens qu’il convient de considérer l’axe vertical Afrique-Méditerranée-Europe en incluant la Chine en tant que partenaire et non rivale. Cette nouvelle coopération amène à une réflexion collective dans un souci de préservation des intérêts respectifs.
Dans le cadre de son cycle 2020 consacré à la relation « Afrique – Europe/France – Chine », la Fondation Prospective et Innovation a organisé le mercredi 25 novembre un webinaire restreint sur la thématique « La Chine et l’Afrique : quel triangle possible avec l’Europe ? ».
L’invité d’honneur, S.E.M. LU Shaye, Ambassadeur de Chine en France, se distingue par la singularité de son parcours en Afrique et ses profondes attaches au continent. Aux côtés de Jean-Pierre RAFFARIN, Ancien Premier ministre et Président de la Fondation Prospective et Innovation, Etienne GIROS, Président Délégué du Conseil français des Investisseurs en Afrique (CIAN) et Patrick GUILLAUMONT, Président de la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI) ont partagé leurs visions et interrogations sur la thématique.
L’Ambassadeur LU Shaye a dressé un tableau complet de la présence chinoise avant de se livrer au jeu des questions/réponses :
Solidarité diplomatique entre la Chine et l’Afrique
L’ancienneté des relations sino-africaines combinée à une proximité des valeurs a été rappelée. Les États africains ont, à plusieurs reprises, témoigné leur soutien à la Chine au sein d’opérations diplomatiques (lors de son entrée à l’ONU notamment). Plus récemment, certains dirigeants africains se sont fermement opposés à la stigmatisation faite autour de la Chine et de la COVID-19.
L’Afrique occupe une place importante dans la diplomatie extérieure chinoise. En témoigne le succès du Forum de coopération sino-africaine (FOCAC) qui a réuni en 2019 à Pékin, chefs d’État, membres du gouvernement et délégations des 54 pays africains autour de la thématique « La Chine et l’Afrique : Construire une communauté de destin encore plus solide par la coopération gagnant-gagnant ». A cela s’ajoute les fréquentes rencontres entre XI Jinping et ses homologues africains soucieux de bâtir une relation stable et durable.
Empreinte chinoise dans la modernisation et l’industrialisation du continent
Si les échanges commerciaux sont un aspect prépondérant des relations sino-africaines (plus de 200 milliards de dollars en 2019), l’engagement chinois en Afrique est multidimensionnel. Ces dernières années sont caractérisées par des investissements directs croissants (à la hauteur de 110 milliards de dollars au total), une aide publique grandissante et une politique africaine ciblée.
La faiblesse des infrastructures est l’un des principaux freins de la croissance du continent. En apportant son soutien à la construction (et reconstruction) dans de nombreux pays africains, la Chine se place comme un partenaire de référence en la matière et contribue à combler les déficits d’investissement dans ce secteur.
A titre d’exemple, la Chine a pris part à la construction de plus de 200 structures éducatives, une vingtaine de ports, 6000 km de voies ferrées (dont le chemin de fer reliant Djibouti à Addis-Abeba) et est à l’origine de plus de 80 % des infrastructures de télécom via les groupes Huawei et ZTE.
En parallèle de son soutien financier et matériel, la Chine remédie au manque de main d’œuvre formée et qualifiée avec l’attribution de plus de 30 000 bourses et de campagnes de formation des professionnels techniques.
A travers sa politique massive d’investissement dans les infrastructures et en partenariat avec les autorités nationales, la Chine s’adapte aux réalités du développement de l’Afrique et s’efforce de lui donner un caractère autonome et durable.
COVID-19 et regain de solidarité entre l’Afrique, l’Europe et la Chine
Cette année 2020 marquée par la crise sanitaire et ses retombées ont plus que jamais renforcé la solidarité entre les différents acteurs (en témoigne les multiples expéditions de masques, produits, équipements et experts médicaux à travers les trois zones).
La COVID-19 a également accentué l’importance des questions de la dette. Si la Chine se voit régulièrement reprochée son manque de transparence, on peut estimer la somme des prêts accordés aux pays africains entre 2000 et 2019 à 147 milliards de dollars milliards (selon le China Africa Research Initiative de l’Université Johns-Hopkins). Pour autant, les prêts chinois ne représenteraient que 16 % de la dette globale africaine (le reste étant attribué aux institutions multilatérales, aux pays de l’OCDE, aux fonds privés).
Le traitement de la dette des États africains appelle une nécessaire coopération entre les différentes parties. En effet début novembre, la Chine s’est alignée sur les décisions du G20 visant à traiter la dette des pays les plus pauvres dans un cadre adopté par les Ministres des Finances. En rejoignant le programme COVAX de l’OMS, la Chine s’est aussi montrée prête à coopérer avec ses partenaires occidentaux. Les conditions et modalités desdites coopérations sont étudiées.
Nécessité de coopération trilatérale Afrique – France – Chine
Cette année, les présidents XI Jinping et Emanuel MACRON ont à plusieurs reprises réitérés leurs volontés de coopérer et d’alimenter les relations « Afrique – France – Chine ». Récemment, la déclaration conjointe de coopération sur les investissements en marché tiers a ouvert la voie à d’avantage de partenariats franco-chinois avec et en Afrique.
Parmi les grands projets trilatéraux figurent le terminal Tincan du port de Lagos au Nigéria qui a fait l’objet d’un consortium entre le groupe Bolloré, des partenariats chinois (China Merchants Holding International (CMHI) et China Africa Development Fund (CADF). Il est également à mentionner les travaux de dépollution de la Baie de Hann, une initiative combinée de la ville de Dakar, des ambassades françaises et chinoises au Sénégal. Enfin, ZTE, Huawei et Orange coopèrent régulièrement en matière de télécommunications.
Les hauts dirigeants encouragent leurs entreprises respectives à s’implanter sur le continent, en ce sens, elles sont les principales composantes et reflets des coopérations. Ces dernières font l’objet de résultats encourageants mais encore insuffisants…
Des progrès à accomplir, des initiatives à prendre
La discussion qui a suivi la présentation de l’Ambassadeur a mis en évidence certains points.
Les visions des entreprises françaises et chinoises demeurent largement divergentes car les unes craignent de faciliter la conquête des marchés africains, les autres d’être entravées dans leurs avancées.
Cette divergence des visons alimente une défiance chronique et un manque de confiance entre les entreprises. Il va de soi que peu de réalisations tangibles ne sont envisageables dans cette atmosphère.
Celles citées par l’Ambassadeur sont réelles mais encore peu nombreuses. Il est primordial d’ouvrir les discussions et d’échanger sur les problèmes concrets que les entreprises peuvent être amenées à rencontrer sur le « terrain » (mise en application des diverses normes, adaptations aux contraintes nationales respectives, ajustement des règles de conformité, transfert de propriété…). Sur ce point, il est primordial que les États africains, chinois et français s’alignent sur un corpus de règles élaboré par tous et applicable à tous. Un standard réglementaire inspiré des normes de l’OCDE et adapté aux réalités du continent africain pourrait donner un regain à cette coopération tripartite et arbitrer en cas de différends.
Enfin, tenir compte des préoccupations et des scepticismes des entreprises françaises, chinoises et africaines implique des initiatives concrètes dans le respect des intérêts respectifs. Dans cette optique les acteurs n’auraient-ils pas tout intérêt avec les soutiens des gouvernements à élaborer une plateforme numérique entrepreneuriale ? Une structure pont entre les entités permettrait dans un premier temps de décrisper les relations (par l’échange et le partage d’expérience notamment), pour petit à petit bâtir une atmosphère de confiance, socle de tout partenariat et coopération durable.