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«Le Brexit: six mois après»

Date de la conférence : 21 juin 2021

Intervenants

  • Jean-Pierre RAFFARIN, Ancien Premier Ministre et Président de la Fondation Prospective et Innovation
  • Krystyna de OBALDIA, Présidente nationale du Club de Exportateurs de France
  • Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur
  • Paul TAYLOR, Directeur du Department for International Trade (DIT)
  • Guillaume VANDERHEYDEN, Sous-directeur du commerce international à la Direction générale des Douanes et des Droits Indirects (DGDDI)
  • Jérôme CHAUVET, Directeur du développement et de la Promotion aux Ports de Normandie
  • Delphine GALINHA, Directrice Export à ECLATEC
  • Modérateur : Serge DEGALLAIX, Directeur général de la Fondation Prospective et Innovation

En partenariat avec le Club des Exportateurs de France

Le 23 juin 2016, l’Europe se fissure ; les Britanniques votent en faveur d’une sortie de l’Union européenne. S’ensuivent quatre ans de débats internes au Royaume-Uni et de négociations sur le fil du rasoir avec l’Union européenne pour parvenir à un accord qui entre en vigueur le 1er janvier 2021. Presque six mois après jour pour jour, ce webinaire, organisé par la Fondation Prospective et Innovation et le Club des Exportateurs de France, s’est attaché à faire le point de ces six premiers mois.

Présidé par Jean-Pierre RAFFARIN, Ancien Premier Ministre et Président de la Fondation Prospective et Innovation et Krystyna de OBALDIA, Présidente nationale du Club des Exportateurs de France, le webinaire a été modéré par Serge DEGALLAIX, Directeur Général de la Fondation Prospective et Innovation. Dans une première partie, Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur, et Paul TAYLOR, Directeur du Department for International Trade (DIT) ont présenté l’aspect général de l’accord du Brexit ainsi que les premières conséquences ressenties et observées depuis janvier. Guillaume VANDERHEYDEN, Sous-directeur du commerce international à la Direction générale des Douanes et des Droits Indirects (DGDDI) s’est, par la suite, entretenu sur l’aspect douanier du Brexit. Jérôme CHAUVET, Directeur du développement et de la Promotion aux Ports de Normandie et Delphine GALINHA, Directrice Export à ECLATEC ont finalement témoigné de leurs expériences en entreprise post-Brexit et de leurs attentes en tant qu’entrepreneurs.

 

  1. Les premières conséquences générales du Brexit :

La signature de l’accord du Brexit a été une victoire en elle-même, étant donné que le no deal était redouté des deux côtés. En outre, certains points positifs sont à souligner. Le Brexit, le plus grand accord bilatéral signé, est parvenu à maintenir les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, sans aucun tarif ou quota mis en place. De plus, contrairement aux attentes, il y a eu très peu de blocages aux frontières après l’entrée en vigueur de l’accord.

Néanmoins, l’adversité était présente. La libre circulation des personnes est entravée. Les entreprises doivent faire face à de nouvelles formalités douanières et administratives, ainsi qu’à des coûts supplémentaires pour maintenir leur activité. S’ajoute à ces nouvelles contraintes techniques une contraction très nette des échanges, estimée entre 20 et 40% durant le premier semestre de 2021, comparé à celui de 2018. En particulier, le secteur agroalimentaire s’est contracté de 47% et les exportations vers le Royaume-Uni ont globalement reculé de 83%. Les services culturels, récréatifs, et musicaux, très importants pour les exportations, sont donc gravement affectés, en vue de législations qui diffèrent selon les Etats-membres. De plus, le secteur de la pêche et les services financiers restent des points sensibles. D’une part les Anglais limitent l’accès à leurs eaux ; d’autre part, les entreprises sont encore peu familières avec les nouvelles réglementations financières et ont souvent besoin d’établir des filiales, une contrainte additionnelle.

De plus, la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne est épineuse. Désaccord sur le statut du représentant de l’UE à Londres, les entraves à la pêche, le ralentissement de la circulation des vaccins vers le continent : toutes ces différentes sources de conflit entre les parties ont fragilisé leur coopération. Le gouvernement britannique n’aurait-il pas intérêt à maintenir une mauvaise ambiance et dénigrer l’UE pour justifier le Brexit ? Les conjectures sont ouvertes ; il est effectivement plus avantageux de présenter l’Europe comme un mauvais club duquel le Royaume-Uni n’avait aucun autre choix que de se retirer.

Le risque de débordement irlandais n’est également pas à prendre à la légère, en vue des communautés protestantes qui ne veulent pas être coupées de l’ensemble du Royaume-Uni. Cette menace sur la paix publique peut potentiellement s’acheminer vers une situation qui n’est pas saine, un scénario redouté de tous.

L’accord prévoit des mécanismes en cas de différend : un conseil de partenariat de dix-neuf comités spécialisés sur chacun des secteurs de l’accord et un dispositif de règlement des conflits avec un tribunal arbitral indépendant entre autres. Néanmoins, le Royaume-Uni était un partenaire difficile avant le Brexit et le reste après son divorce européen.

 

  1. Du général au particulier : le vécu des douanes et entreprises

A partir du 1er janvier 2021, les douanes ont connu un épisode difficile sur le plan opérationnel. Malgré un défi de taille, la situation sanitaire a eu l’avantage de réduire les flux, ce qui a facilité les opérations et éviter les congestions. Depuis mars 2021 les flux ont augmenté et se rapprochent de la norme et continuent de croître, avec presque le même volume en mai 2021 qu’un an plus tôt, soit 70 000 camions par semaine, à peu près 90% du trafic des années passées. Les douanes ont également mis en place différents dispositifs pour faire face au retrait britannique. En plus d’avoir accueilli 600 douaniers supplémentaires, une frontière intelligente a été développée, ce qui a grandement facilité la transition.

Cependant, des difficultés ont émergé. Le manque d’anticipation de certaines entreprises, indépendamment de leur taille, s’est révélé problématique et coûteux. De plus, l’asymétrie entre les formalités pour exporter vers l’UE et celles vers le Royaume-Uni a alimenté la confusion. Encore légères du côté anglais, les réglementations sont effectivement bien en place du côté européen. Il est donc crucial pour les entreprises de s’adapter, dans la mesure où les douanes ont été moins regardantes durant cette période de transition, mais comptent l’être davantage à l’avenir, notamment sur la formalité obligatoire de sûreté de sécurité et sur les exports.

Du côté des entreprises, certains développements observés ne sont pas anodins. En plus d’un phénomène de stockage, d’une difficulté à exporter, de délais d’acheminement plus longs, et d’un défaut d’anticipation de la part de certains partenaires britanniques, le Brexit a surtout engendré une perte de profit. L’entreprise ECLATEC a ainsi vu son chiffre d’affaires se dégrader de 30% sur la région Grande-Bretagne et a observé une perte de marge d’entre 3 et 5 points. Il est vrai qu’il est difficile de distinguer ce qui relève de la situation sanitaire, du rodage et de dommages plus durables. Les Ports de Normandie, quant à eux, ont connu une baisse de 20% de trafics, surtout dans le sens Royaume-Uni vers la France, avec des camions qui reviennent vides.

La situation sanitaire a néanmoins paradoxalement présenté certains avantages. L’activité dans les ports a été réduite, rendant la situation plus fluide. Le bilan n’est également pas entièrement négatif. Les Ports de Normandie ont vu leur activité reprendre doucement mais sûrement, avec un bilan statistique des remorques positif : 95% des remorques ne nécessitent aucun contrôle supplémentaire. De plus, lorsque les déclarations douanières sont conformes à l’accord, le temps de passage au port ne dépasse pas une heure.

 

  1. Un regard vers l’avenir : la leçon de ces six derniers mois et les diverses attentes et espoirs

La capacité d’anticipation des différents acteurs touchés par le Brexit crée un consensus : elle est saluée et doit rester l’ordre du jour. Les exportateurs doivent continuer à anticiper les formalités, à s’approprier l’accord, et à se préparer. Les outils ne manquent pas et facilitent considérablement les formalités : les douanes, Business France, les Chambres de Commerce, ou encore Access2Markets de la Commission européenne, plateforme permettant d’obtenir des informations sur règles d’origines, les procédures douanières, ou encore les exigences applicables à un produit.

D’autre part, les entreprises espèrent avoir une meilleure visibilité, compte tenu des nouvelles mesures qui vont arriver en octobre prochain et début 2022. Le manque d’information inquiète et empêche d’anticiper.

A quoi faut-il s’attendre ? L’horizon est court pour dresser un bilan complet. Ces six premiers mois dressent un portrait contrasté : la transition post-Brexit a été moins pire qu’anticipée, mais reste semée d’embûches. La préparation des services français a été saluée. La coopération multilatérale doit rester une priorité : les principaux compétiteurs du Royaume-Uni et de l’Europe sont extérieurs, d’où la nécessité pour les deux parties à privilégier l’entente, dans le domaine économique comme dans les autres.

 

                                                                                                                                                                                        CPM

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