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« Les Etats-Unis et l’aide internationale : question de géopolitique »

Date de la conférence : 12 juillet 2021

Intervenants

  • Jean-Pierre RAFFARIN, ancien Premier ministre et Président de la Fondation Prospective et Innovation
  • Tertius ZONGO, Ancien Premier ministre du Burkina Faso, Directeur de la Chaire Sahel de la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI)
  • Clémence LANDERS, Policy Fellow au Center for Global Development
  • Laurent WAGNER, Chargé de recherche à la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI)
  • André CHIENG, Président de l’Asiatique Européenne de Commerce, Vice-Président du Comité France-Chine
  • Patrick GUILLAUMONT, Président de la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI)

La Fondation Prospective et Innovation s’est attachée à suivre, analyser et tirer des enseignements de la première année de la Présidence de Joe Biden, identifier ce qui est continuité avec les intérêts et les pratiques de l’Amérique, et ce qui marque une rupture avec son histoire longue comme avec la Présidence Trump.

La question de l’aide au développement des Etats-Unis est révélatrice de cette juxtaposition d’éléments de continuité et de ruptures. Elle est à la croisée de nombreux facteurs qui vont du sentiment humanitaire à la promotion des entreprises américaines en passant par le combat idéologique ou sécuritaire.

La situation actuelle des relations internationales n’est que peu enviable pour les pays en développement. La montée des tensions entre Pékin et Washington engendre une pression internationale et la crise du covid fragilise les Etats du sud, notamment ceux d’Afrique subsaharienne, déjà anémiés par leurs problèmes propres liés au développement du continent.

De cette situation déjà compliquée pour certains pays qui ont besoin de l’aide internationale pour se développer, s’est ajouté la baisse drastique de l’Aide Publique au Développement (APD) des Etats-Unis sous l’ère Trump, 17 milliards de dollars annuels transférés vers les dépenses militaires de la superpuissance américaine.

Le retour des Etats-Unis sur la scène internationale avec Joe Biden semble être une bonne nouvelle pour le multilatéralisme : retour du pays dans l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), création du fond d’aide « International Development Finance Corporation » à hauteur de 60 milliards de dollars, ces exemples sont positifs pour l’avenir de l’aide internationale américaine.

Néanmoins, l’Afrique s’interroge toujours sur son destin : en quoi le duel sino-américain va-t-il impacter l’aide publique au développement en Afrique ? Quels sont les meilleurs moyens de financer le développement des pays africains ? Quel est le rôle de l’Europe dans ce duel des superpuissances ?

Ces questions furent traitées lors du webinaire du 12 juillet 2021 « Les Etats-Unis et l’aide internationale : question de géopolitique » organisé par la Fondation Prospective et Innovation. L’aide au développement, marquée par de nouveaux paradigmes sociaux et économiques, mais surtout, par l’ascension de la Chine sur la scène internationale. Le bras de fer entre la Chine et les Etats-Unis s’est étendu sur le champ de l’aide au développement.

Les échanges furent modérés par Jean-Pierre RAFFARIN, ancien Premier ministre et Président de la Fondation Prospective et Innovation.

Tertius ZONGO, Ancien Premier ministre du Burkina Faso, Directeur de la Chaire Sahel de la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI), Clémence LANDERS, Policy Fellow au Center for Global Development, Laurent WAGNER, Chargé de recherche à la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI), et André CHIENG, Président de l’Asiatique Européenne de Commerce, Vice-Président du Comité France-Chine nous ont partagé avec lucidité leurs réflexions sur l’évolution de l’APD aux Etats-Unis depuis le début des années 2000 jusqu’à aujourd’hui, pour constater les avancées en la matière, le duel sino-américain et la place de l’Afrique dans cette équation.

Enfin, les échanges furent conclus par Patrick GUILLAUMONT, Président de la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI) qui apporta son expertise sur l’évolution des APD des Etats-Unis pour faire face à la Chine dans un monde post-covid.

De ces échanges, deux points majeurs émergent :

 

La divergence des opinions américaines et chinoises, le piège de Thucydide se referme sur l’aide publique internationale

Selon les points de vue, la perception des aides publiques au développement n’est pas la même.

Pour les Etats-Unis, le futur reste encore à écrire. Les années Trump ont sapé la part de l’APD américaine dirigée vers les pays en développement, mais Joe Biden renoue avec le multilatéralisme et ces aides. Sortant à peine de la crise de la covid-19, le budget américain pour l’aide internationale a pourtant augmenté de 10%, ce changement accompagne la volonté du nouveau président américain de renouer avec le leadership international. Les dernières données du Comité d’Aide au Développement sont optimistes : sur les 161 milliards de dollars d’aide au développement financés par la communauté internationale en pleine période de difficultés sanitaires, les Etats-Unis ont contribué à hauteur de 35 milliards de dollars en 2020. Le pays de Biden reste toujours le premier dans la contribution aux aides internationales.

Néanmoins, les avancées américaines sur l’APD ne semblent pas totalement altruistes.

Aujourd’hui, la compétition détrône la collaboration. L’initiative « Build Back Better World » américaine semble être une réponse à l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie. La concurrence est-elle l’ennemi de la solidarité ? On pourrait le penser, mais cette rivalité sino-américaine pourrait être, au contraire, une chance pour les pays en développement, en particulier en Afrique, puisque ce duel va inciter les deux superpuissances à investir le plus possible sur ce continent d’avenir. Sans confrontation, les Etats-Unis pourraient continuer à conserver les règles de conditionnalités de l’aide internationale, peu avantageuses pour les pays ayant besoin de ce soutien, ou pire, se désintéresser complètement de cette zone.

L’aide américaine doit donc faire face à de nouveaux défis, l’augmentation de la contribution aux aides internationales de la Chine, et les changements apportés au système dans un monde post-covid. La covid-19 a fait éclater le consensus de Washington vis-à-vis de l’aide humanitaire.

De plus, beaucoup d’interrogations entourent la montée des financements privés pour les projets humanitaires d’aide au développement : ces projets peuvent-ils être totalement efficients et transparents avec des investissements privés de plus en plus prépondérants ? Il est permis d’en douter.

Du point de vue chinois, l’avenir se jouera en Afrique. Les nouvelles réunions du G7 portant sur l’aide internationale, le fonds d’aide du FMI qui devrait s’élever à 100 milliards de dollars pour les pays les plus nécessiteux, dont beaucoup de pays africains, ces engagements forts des occidentaux auraient-ils été pris si l’aide apportée par la Chine à ces pays ne s’était pas accélérée ? Rien n’est moins sûr.

Pour Pékin, le modèle de l’aide internationale américain est inefficace et Washington est mal placé pour donner des leçons de morale et d’efficacité, que ce soit au niveau économique avec la crise des subprimes, militaire avec l’échec afghan ou sanitaire avec la crise de la covid-19 qui a causé 600 000 morts aux Etats-Unis. La Chine de son côté depuis sa politique d’ouverture en 1979, n’aurait pas connu de crise majeure en quarante ans, n’a pas déclaré de guerre depuis le conflit sino-vietnamien de 1979 et a réussi le tour de force de maîtriser presque totalement la crise sanitaire actuelle dans l’enceinte du pays. Son message est clair : le consensus de Washington est daté, la Chine impose aux Etats-Unis de se renouveler sur son approche des APD qu’elle juge peu efficace avec des résultats lointains par rapports aux ambitions américaines.

La vision de l’aide internationale au développement est différente entre les deux superpuissances sino-américaines. Mais le principal concerné par ce soutien international reste principalement le continent africain, sa vision de l’approche multilatéraliste des APD en est tout autre et semble plus réaliste.

 

La place de l’Afrique dans le duel sino-américain : entre affirmation et refonte du système actuel de l’aide publique au développement

La vision africaine de l’Aide Publique au Développement est différente de celle des Etats-Unis ou de la Chine. Beaucoup plus préoccupé des problèmes techniques par souci de réalisme, les pays concernés par ces aides souhaitent remodeler la façon dont ces dernières sont attribuées : il faut repenser les schémas de pensée de l’APD.

On peut saluer l’aspect moral américain d’aider les pays en voie de développement qui n’a jamais fléchit, même durant l’administration Trump essayant par tous les moyens de réduire cette aide. Le Congrès a su rester altruiste en ne cédant pas aux invectives trumpistes et cela est une bonne chose.

Néanmoins, au regard de la situation actuelle en Afrique, l’aspect moral n’est pas suffisant. Le bilan reste mitigé, notamment dans la région du Sahel. Les pays d’Afrique subsaharienne, malgré les nombreuses aides internationales en leur faveur, restent des pays fragilisés, avec des infrastructures de mauvaise qualité et qui gardent une dépendance excessive sur des produits de base. Cela est dû notamment à une faible industrialisation et au manque d’investissement dans les nouvelles technologies. Il est incontestable que la façon d’attribuer ces aides aurait dû être différente.

La principale erreur semble être le manque de vision collective entre les différents pays sur l’APD, chacun finance des aides, des initiatives et des projets avec des objectifs différents et qui cache souvent un sous-texte politique. Il semble impossible dans ce système d’avoir une vision multilatérale et globale. De plus, les pays qui financent l’APD ne sont pas en mesure de mener une politique allant au-delà de ces aides, tout tourne uniquement autour du financement et non de la vision à long terme, quel est le projet de développement derrière ces aides d’ici 50 ans ?

Pour que l’APD soit dirigée vers des projets qui ont du sens pour son avenir, l’Afrique doit mettre en avant ses intérêts via deux remises en question du système d’aides internationales.

La première modification qui doit être apportée à l’APD est la suivante : il est primordial de prendre en compte la dimension régionale afin de développer la paix et la prospérité en Afrique. Les frontières actuelles, dessinées par les occidentaux d’une époque différente, sont vides de sens et ne prennent pas en compte les cultures et les populations sur place. Aujourd’hui, l’Afrique fonctionne majoritairement de manière régionale, les décisions communes sont prises au sein des Communautés Economiques Régionales (CER). Les projets liés aux APD doivent impérativement prendre en compte ces organisations régionales dans leur processus, c’est dans ces instances que le multilatéralisme est le plus efficace en Afrique.

La deuxième modification importante serait de réévaluer la nécessité, pour certains pays, de mettre en place une conditionnalité de l’aide. Souvent liée à un souci de bonne gouvernance des pays concernés par l’aide internationale, cette conditionnalité semble être, rationnellement logique, pour s’assurer de la pleine efficacité des aides envoyées. Cependant la conditionnalité de l’aide est factuellement un véritable frein au développement des pays africains déjà fragilisés et qui ne peuvent assurer une bonne gouvernance étatique. Si ces pays ne peuvent assurer une bonne gouvernance, les aides qui leurs seront attribuées seront diminuées, les fragilisant encore plus. Ce cercle vicieux ne peut continuer à exister, la conditionnalité de l’aide empêche toute action rapide et concrète pour développer les pays d’Afrique subsaharienne.

L’Afrique se situe au milieu du combat entre le tigre et le lion. Pour subsister, elle doit faire face à deux superpuissances qui s’entrechoquent pour la gouvernance internationale. Néanmoins, elle ne doit pas rester seule, il est nécessaire de reconsidérer la place de l’Europe dans cette équation tripartite. Par son approche multilatéraliste et sa connaissance bien plus profonde de l’Afrique que les Etats-Unis ou la Chine, les pays d’Europe, notamment la France et la Grande-Bretagne doivent œuvrer ensemble pour créer une nouvelle relation avec les pays africains faisant abstraction du ressentiment de l’ère colonial. Cette nouvelle relation permettrait d’établir un dialogue plus ambitieux prenant en compte les spécificités du monde africain dans l’attribution de l’aide publique au développement entre les deux superpuissances du XXIème siècle.

L’Europe a un rôle à jouer dans ce piège de Thucydide sur le terrain de l’aide publique au développement, son destin est lié au multilatéralisme. C’est à elle de prendre ses responsabilités et de peser sur la scène internationale.

 

GK

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