Date de la conférence : 16 décembre 2021
Intervenants
A l’heure de la montée des nationalismes, de frontières qui se referment, où l’unilatéralisme prend un pas d’avance sur le multilatéralisme, la pandémie ne faisant qu’accentuer ces tendances, l’instrumentalisation du droit par la force à des fins politiques apparaît comme une dérive naturelle.
L’application extraterritoriale de leurs lois par les puissances dominantes, en premier lieu les Etats-Unis, contraint les entreprises étrangères à choisir un camp politique pour préserver l’accès aux marchés. Le commerce s’en trouve affecté. L’extraterritorialité suscite interrogations et craintes chez les PME. Sa fulgurante prolifération en partant des Américains, aux Chinois et aux Européens fait preuve d’une violence économique insuffisamment prise en compte en France.
La Fondation Prospective et Innovation et le Club des Exportateurs de France se sont attachés à d’analyser l’impact de l’extraterritorialité des lois américaines, chinoises et européennes sur les PME et ETI françaises et d’en identifier les moyens de se prémunir des sanctions qui en découlent.
Présidé par Jean-Pierre RAFFARIN et Krystyna de OBALDIA, Présidente nationale du Club des Exportateurs de France animé par Thierry PRÊCHEUR, Délégué National du Club des Exportateurs de France, Conseiller du commerce extérieur de la France (Lorraine), le webinaire a permis des échanges entre Ali LAÏDI, Docteur en sciences politiques et chercheur à l’Iris, spécialiste de la guerre économique, Maître Richard KLIEMAN, ORIEL AVOCATS, Administrateur du Club des Exportateurs de France et Marc-Aurèle ANDRIEUX, Président du Directoire REGULATEURS GEORGIN, Secrétaire général du Club des Exportateurs de France, dont le témoignage a été retransmis durant le webinaire.
Alors que le départ de Donald Trump de la Maison-Blanche suscitait l’espoir des entreprises internationales, la Présidence de Joe Biden n’a pas mis fin à la guerre froide sino-américaine et à l’application extraterritoriale du droit américain.
Cette continuité de position, indépendamment du camp en poste, rappelle la longue tradition de rudesse économique américaine. Dès la seconde guerre mondiale, Washington prend l’initiative dans ce domaine du fait de sa puissance économique et de la prédominance du dollar. La deuxième moitié du XXème siècle marque la frénésie d’exportations des lois américaines avec les sanctions à l’encontre de Cuba et la Corée du Nord dès les années 60, l’historique loi Helms-Burton sanctionnant l’Iran et la Libye et le Foreign Practices Act, promulgué sous la Présidence de Jimmy Carter en 1977, texte toujours en vigueur, qui s’attaque aux pratiques de corruption.
Sous couvert de lutte anti-corruption, Washington s’arme d’un corpus juridique accentuant la captation d’informations au détriment des entreprises européennes, renforce l’export control et les embargos, porte sa convoitise sur les données, enjeu majeur de la nouvelle bataille extraterritoriale.
En jeu de miroirs, les Chinois contrattaquent en s’armant des mêmes dispositifs. Tout comme les Etats-Unis, l’export control est renforcé. La loi sur les données interdit l’exportation des données chinoises en dehors de son territoire, la loi sur les renseignements oblige la collaboration des citoyens avec les services de renseignements et sécurité…
Les Etats-Unis et la Chine se lancent ainsi dans une guerre par procuration, faisant des entreprises étrangères les principales victimes de tensions politiques.
Face au réarmement économique des deux Grands, l’Europe prend du retard. Alors qu’une construction lexicale autour des questions de « souveraineté » et de « guerre économique » se développe, la constitution d’un appareil juridique européen protecteur des entreprises face à l’extraterritorialité des lois étrangères se fait tarder.
L’Angleterre et la France ont promulgué respectivement en 2010 et 2016, le Bribery Act et la loi Sapin 2, deux lois anti-corruption. Mais, ces actes unilatéraux ne peuvent offrir de protection suffisante aux entreprises, une Europe divisée ne peut affronter les géants chinois et américain à armes égales. Ce n’est qu’à partir de 2016 que la Commission européenne commence à revoir les textes sur les outils de défense économique avec la lutte contre le dumping, le filtrage des investissements étrangers, directive sur la non-réciprocité…
L’Europe tarde à construire une position forte face à une application extraterritoriale du droit abusive qui étrangle ses entreprises. Elle recule ainsi à utiliser les moyens dont elle dispose. Selon Ali LAÏDI, en retirant sa plainte déposée devant l’OMC au lendemain de la promulgation de la loi Helms-Burton sur la base d’un engagement moral du Président Clinton de ne pas appliquer l’article 3 de ladite loi, Bruxelles a laissé passer l’occasion de s’affirmer face à l’extraterritorialité américaine qui n’a cessé de proliférer.
Tomber sous le coup des lois extraterritoriales qui interdisent le commerce avec une entreprise ou un pays, est lourde de conséquences pour une entreprise. En plus d’une perte de réputation et de sanctions économiques sous forme d’amendes, les entreprises sont confrontées à une exclusion des marchés, à une interdiction de séjour, à la difficulté d’obtention de visas, voire à l’emprisonnement de ses cadres.
Il faut agir cependant et pour cela il est nécessaire de bien mesurer les risques, les lignes à ne pas franchir et n’avoir recours qu’à des actions raisonnables pour éviter à l’entreprise de s’attirer les foudres de l’extraterritorialité et des sanctions. La naïveté n’est pas une défense. L’entreprise n’est pas présumée innocente.
Les pratiques échappatoires ne constituent qu’une solution temporaire. L’issue au problème de la prolifération de l’extraterritorialité des lois et son impact sur les entreprises ne peut être trouvée que sur le plan politique par des rapports de forces équilibrés.
En somme, la question de l’extraterritorialité des lois, avant d’être juridique, est politique. Elle constitue un moyen d’action des grandes puissances d’assoir leur domination l’une sur l’autre.
Une puissance imposant l’application de sa loi au-delà de ses frontières, provoque la mise en place de mesures de rétorsions similaires chez les autres pays. L’extraterritorialité entraîne l’extraterritorialité. Les PME, impuissantes face à ce fardeau, se retrouvent avec cette épée de Damoclès, lors de la signature de chaque contrat.
Le futur de l’extraterritorialité du droit prend le visage des données. Le contrôle des données devient le champ de bataille de la guerre économique. Sous prétexte de contrôle d’action terroriste, les économies occidentales se permettent d’accéder aux données stockées sur les serveurs localisés chez elles. Le Cloud Act américain en est la première illustration, en imposant aux entreprises qui stockent leurs données sur le cloud de communiquer leurs informations.
A défaut d’une réponse globale européenne, construire un front franco-allemand pourrait permettre d’accélérer le mouvement européen pour mieux protéger dans un premier temps nos entreprises.
IJ
Replay de la conférence
Téléchargement