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« Les premières actions diplomatiques de Joe Biden, vues d’Europe »

CYCLE 2021 – Les Etats-Unis et le monde

 

Une vingtaine de jours s’est écoulée depuis l’entrée en fonction du Président BIDEN le 20 janvier 2021. C’est peu, mais généralement, les cent premiers jours sont présentés comme imprimant la marque de la présidence qui s’ouvre. Continuité et rupture, effets à court terme et à long terme des décisions, ou encore les réactions des partenaires étatiques sont autant de points à scruter en ce début de présidence. Pour évaluer les premiers gestes diplomatiques, le prisme de l’Europe est privilégié, autant sur la relation transatlantique que sur le rôle actif de l’Europe dans l’organisation du monde dont les Etats-Unis demeurent un élément central.

Le webinaire du 11 février marque le lancement du nouveau cycle de la Fondation Prospective et Innovation qui s’attache à suivre la première année de la présidence de Joe Biden, et plus particulièrement les relations entre les Etats-Unis et le reste du monde.

Aux côtés de Jean-Pierre RAFFARIN, Ancien Premier ministre, Président de la Fondation Prospective et Innovation, les intervenants Fabienne KELLER, Députée européenne, Tamás MAGYARICS, Ancien Ambassadeur de Hongrie en Irlande, Professeur spécialiste des Etats-Unis à l’Université de Budapest et Hall GARDNER, Professeur à l’American University of Paris ont partagé leurs réflexions sur la relation transatlantique, et sur la place l’Europe dans l’organisation du monde, dont les Etats-Unis demeurent l’élément central. De ces échanges fructueux, quelques points sont ressortis :

 

1. Biden et le multilatéralisme coopératif, ou la rupture avec l’administration Trump

 Après la présidence de Donald Trump et sa qualification de l’Europe comme « ennemie », peut-on espérer un changement de politique étrangère ?

Les premières initiatives diplomatiques vont dans le sens d’une rupture avec les décisions prises par l’administration Trump depuis 2016. Si cette dernière avait fait le choix d’un unilatéralisme assumé, consacré par la formule « America First », le Président Joe Biden, lui, encourage un multilatéralisme participatif. Ses premières actions témoignent de sa volonté de travailler aussi bien avec ses alliés qu’avec ses rivaux pour satisfaire les intérêts américains.

La collaboration sanitaire en ces temps de pandémie devient un des leviers du multilatéralisme ; en témoigne le retour des Etats-Unis au sein de l’OMS. Aussi, l’Accord de Paris sur le climat laisse entrevoir un renouveau du multilatéralisme, davantage inclusif et décentralisé. Le fait que le Président chinois Xi Jinping et Joe Biden, bien que dirigeants de pays rivaux, s’entendent sur une politique climatique commune contraste avec l’opposition vigoureuse autrefois affichée entre Trump et son homologue chinois peut aller dans ce sens, même si leur affrontement persistera.

Par ailleurs, la crise de la démocratie vécue dans de nombreux pays ouvre également la voie à un multilatéralisme concerté et préparé. En effet, la victoire de Joe Biden sur le populisme grâce à la participation politique laisse espérer pour le Sommet des Démocraties de 2021 des échanges inter-gouvernementaux pour une nouvelle approche mondiale cohérente concernant la viabilité, le respect et la protection des démocraties.

Le retour des Etats-Unis sur la scène internationale répond davantage à l’orthodoxie diplomatique. Cette nouvelle politique pourra-t-elle permettre de rouvrir le dialogue sur des problématiques majeures telles que l’Iran et sa course au nucléaire, ou encore sur les tensions politiques et stratégiques entre la Chine et Taiwan. En outre, très attaché au respect des droits de l’homme, Joe Biden a rompu avec la diplomatie de Donald Trump en suspendant le soutien américain à la coalition saoudienne dirigée contre les Houthis (soutenus par l’Iran) au Yémen.

Néanmoins, l’administration Biden se heurte à de nombreuses difficultés. La majorité démocrate reposant sur un équilibre fragile, la marge de manœuvre du Président s’en voit réduite. Il lui sera donc plus difficile de faire valider son approche diplomatique si les Républicains s’y opposent. A titre d’exemple, la décision de la majorité de s’engager au sein d’organisations internationales telles que l’UNESCO contrarie la législation votée par le Congrès américain en 2011 qui prévoyait qu’aucune institution internationale ne serait reconnue par les Etats-Unis si celle-ci reconnaissait la Palestine.  Ainsi, dans sa politique diplomatique, le Président démocrate aura comme objectif d’assouplir et de faciliter la prise de décision au niveau de l’exécutif.

 

2. Quelles continuités avec l’administration Trump ?

 Sur bien des aspects, la politique étrangère de Biden n’est pas radicalement différente de celle de Trump.

En effet, les deux accordant la priorité à la défense des intérêts américains, il ne semble pas que Biden rompe avec la demande des administrations précédentes que les pays membres de l’OTAN consacrent au moins 2% de leur PIB à leur budget de défense. De même, on peut penser que l’OTAN poursuivra son rôle de lien entre l’Europe et les Etats-Unis. La doctrine américaine sur le multilatéralisme et la défense des intérêts nationaux n’ayant guère changée depuis les 14 points du président Wilson en 1918, Joe Biden continuera assurément dans le sens du multilatéralisme au service des intérêts américains. La question est de savoir s’il privilégiera une position multilatérale fermée, avec pour centre de gravité l’OTAN, ou s’il encouragera au contraire l’ouverture et le dialogue avec le reste du monde, notamment la Russie et la Chine.

Par ailleurs, l’unilatéralisme des Etats-Unis est d’autant plus visible que l’Europe ne parvient pas à adopter une position unifiée. La continuité de l’administration Biden par rapport à celle de Trump pose la question de l’unité de l’Europe. Les protestations américaines manifestées sous l’administration Trump contre le projet de gazoduc Nord Stream 2 seront certainement perpétuées sous la présidence de Joe Biden, ce dernier ayant insisté sur cette question lors de sa campagne. Toutefois, l’Europe ne parvient pas à s’unifier face au positionnement américain, la France ayant demandé à l’Allemagne d’abandonner le projet de gazoduc. Dans le domaine stratégique également, l’Europe doit s’engager dans un processus de pacification des relations entre la Turquie et la Grèce, bien que les pays européens, notamment la France et l’Allemagne, divergent concernant leurs rapports avec la Turquie. D’autant plus que cette dernière, pivot de l’OTAN grâce à sa position stratégique, et en étroite relation avec la Russie et l’Iran, s’est engagée dans de nombreux conflits moyen-orientaux.

 

3. Europe et Etats-Unis : quelle approche multilatérale ?

 La relation entre l’Europe et les Etats-Unis est pour le moins contrastée. Si les deux puissances convergent en matière de défense (notamment au Sahel), les tensions et compétitions, particulièrement économiques, pèsent sur l’adoption d’un multilatéralisme concerté. L’extraterritorialité, vue comme une ingérence américaine par les Européens, la paralysie des négociations sur les taxes numériques, l’invalidation du Privacy Shield par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et les mesures américaines contre Airbus et les vins et spiritueux contrarient l’Europe et ses projets de concertation globale.

Face à la situation de crise vécue par tous les pays membres, l’Europe s’interroge sur l’émergence d’une souveraineté stratégique européenne analogue au patriotisme américain America First. Les pays membres de l’Union européenne s’inquiètent quant à leur dépendance numérique, énergétique, industrielle (production de vaccins) et concurrentielle (les lois européennes en matière de compétition ne concernent que les pays européens par exemple). L’Europe doit-elle aller plus loin dans la défense de ses intérêts et de sa souveraineté ? Est-il possible que l’Europe soit une alliée non alignée ?  La signature de l’accord d’investissement sino-européen semble attester la volonté mais aussi la capacité de l’Europe à traiter par elle-même.

En somme, les succès récents de l’Union Européenne, notamment sur l’accord du Brexit, la stratégie vaccinale et le Plan de Relance laissent présager une Europe plus forte et plus unie, capable d’interagir avec la puissance américaine.

 

SE

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