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« L’Inde contre vents et marées »

Date de la conférence : 22 octobre 2021

Intervenants

  • Claude BLANCHEMAISON, ancien Ambassadeur de France en Inde, auteur de l'ouvrage "L'Inde contre vents et marées"
  • Jean-Luc RACINE, Directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur senior à Asia Centre
  • Caroline PUEL, depuis Pékin, Ecrivain et enseignante en Économie et Géopolitique
  • Modérateur : Jean-Pierre RAFFARIN, Ancien Premier ministre, Président de la Fondation Prospective et Innovation

L’Inde, 5ème puissance économique mondiale, est un pays au cœur de toutes les réflexions stratégiques. New Delhi, armée de sa patience stratégique, poursuit silencieusement son chemin en espérant atteindre la place de troisième géant économique d’ici 2047.

Pourtant, ces aspirations se heurtent aux « vents et aux marées », à de nombreux obstacles, structurels et conjoncturels.

Comment l’Inde peut-elle se relever après la crise sanitaire ? La démocratie arrivera-t-elle à perdurer ou se laissera-t-elle tenter par une dérive autoritaire ? Quelles rivalités entre le dragon chinois et l’éléphant indien ?

La Fondation Prospective et Innovation s’est attachée à analyser la politique indienne actuelle en partant de l’ouvrage de Claude BLANCHEMAISON, l’Inde contre vents et marées. Paru le 21 octobre 2021, ce dernier étudie la politique intérieure indienne, le développement économique et numérique que connaît New Delhi, sans pour autant oublier les écueils que la République indienne rencontre.

Animé par Jean-Pierre RAFFARIN, le webinaire a permis les échanges entre Claude BLANCHEMAISON, Ancien Ambassadeur de France en Inde, Jean-Luc RACINE, Directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur senior à Asia Centre, Caroline PUEL, depuis Pékin, Ecrivain et enseignante en Économie et Géopolitique.

 

Quand les rêves rencontrent la réalité

En plus des catastrophes naturelles auxquelles elle est sujette et qui ne feront qu’augmenter avec le réchauffement climatique, un autre élément est la COVID-19 qui a bouleversé l’Inde avec ses effets sanitaires, humanitaires et économiques catastrophiques.

La diversité plurielle de l’Inde est une richesse et une difficulté à surmonter. La diversité politique, avec ses 562 Etats princiers qui se sont fondues dans l’Union indienne, la partition avec les Musulmans qui ont constitué le Pakistan, linguistique, avec ses milliers de dialectes et ses 22 langues reconnues par la Constitution, et religieuse, avec la coexistence du monothéisme et polythéisme.

La démographie est ambivalente car la population jeune et dynamique contribue à la croissance économique mais elle nécessite la création annuelle de 12 millions d’emplois, ce qui est actuellement impossible.

L’Inde est également synonyme d’inégalités sociales, avec une prégnance du système de castes malgré une interdiction de l’intouchabilité, d’importantes inégalités économiques avec 200 millions d’indiens qui sont en dessous du seuil de pauvreté.

 

L’heure de la libéralisation

Les difficultés rencontrées ne doivent cependant pas gommer les progrès de l’Inde. Depuis le démantèlement de l’URSS, de nombreuses réformes de libéralisation économique ont été menées. L’autosuffisance alimentaire atteinte grâce à la réforme agraire et à la révolution verte, l’Inde est devenue exportatrice de céréales, de lait, et paradoxalement, de viande. D’autres réformes plus récentes, sous le gouvernement Modi, ont également permis de dynamiser l’économie indienne.

L’Inde est devenue un des leaders de la révolution numérique. Grâce à des sociétés de services d’information comme Infosys, en 25 ans, l’Inde est devenue comme l’un des grands champions du numérique.

Le BJP, dès son arrivée au pouvoir, reconnaît la valeur stratégique de la diaspora et lui dédie une journée nationale. La diaspora aux Etats-Unis, forte de 4 millions d’Indiens, est un atout pour le gouvernement du fait de son poids politique au sein du Congrès et de sa contribution au dynamisme économique américain dans le domaine numérique avec des figures indiennes comme Shantanu Narayen, PDG d’Adobe. Portée par un nationalisme à distance, la diaspora devient un outil d’influence pour le gouvernement indien.

 

Entre démocratie et autoritarisme, la tentation illibérale

A l’heure de la montée des populismes, la « plus grande démocratie du monde » emprunte la voie de l’illibéralisme. Si l’Inde affiche un fort pluralisme des partis politiques, la situation des militants des droits de l’Homme et des critiques s’est dégradée, et la presse porte le surnom de « presstitutes ». Le BJP, doit … une part de sa victoire à un capitalisme de connivence.

Face aux violations manifestes des principes démocratiques, la question se pose de plus en plus de savoir si la démocratie se réduit aux élections législatives et à l’alternance.

 

Politique étrangère indienne. Le jeu d’échec des deux stratèges asiatiques

Tout comme la Chine, l’Inde est un pays qui a la culture du temps long, qui se souvient de sa grandeur révolue et aspire à la retrouver.

New Delhi opte pour une diplomatie « tous azimuts », se voulant l’alliée de tous et privilégiant son indépendance stratégique. Par exemple, l’Inde cherche à diversifier ses approvisionnements d’armes, qui aujourd’hui proviennent à 40% de la Russie, pour n’être dépendant d’aucun Etat.

Dans un contexte où le poids des Brics s’est progressivement affaibli, où la relation franco-indienne est cordiale, on peut envisager une alliance Europe-Inde pour s’ériger en acteur de taille dans un monde bipolaire.

L’Inde est une « puissance bienveillante » dont l’objectif est de ne plus avoir d’ennemis. Suivant cette logique, la rivalité entre l’éléphant indien et le dragon chinois suscite des interrogations. Si Pékin et New Delhi ne sont pas ennemis, leurs relations sont tendues du fait de frictions militaires dans l’Himalaya et du projet chinois des routes de la soie qui contournent l’Inde en s’octroyant un accès à l’Océan Indien par le Pakistan. Le collier de perles chinois préoccupe également l’Inde qui rejoint la politique de containment menée par les Etats-Unis.

Les deux stratèges asiatiques agissent en miroir dans la région : lorsque la Chine construit un port à Karachi, l’Inde en construit un à Chabahar, quand la Chine influence Dubaï, l’Inde se rapproche d’Oman…

Alors que la Chine a un PIB cinq fois supérieur à celui de l’Inde, New Delhi bénéficie de deux avantages comparatifs par rapport à l’Empire du milieu : sa jeune démographie et sa démocratie, bien qu’imparfaite, celle-ci en fait un allié naturel des Etats occidentaux.

 

En conclusion, l’Inde reste un pays émergent, ses ambitions sont grandes mais elles n’ont de sens que si une base interne suffisamment solide est construite. Toujours dans un entre deux, la République indienne rêve de grandeur en s’imposant comme acteur incontournable dans les relations internationales. Arrivera-t-elle à surmonter ses difficultés internes pour répondre à ces ambitions politiques et économiques ? Sur ce point, les vues restent divergentes comme l’illustrent les échanges entre intervenants au webinaire.

 

IJ

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