Date de la conférence : 26 février 2021
Cinq ans après le colloque en partenariat avec le Club des Exportateurs de France sur l’Intelligence Economique, la Fondation Prospective et Innovation a voulu renouveler l’exercice dans un contexte marqué par de profonds bouleversements. Face à une guerre économique entre les puissances américaine et chinoise et la pandémie de la Covid-19, la concurrence économique s’est intensifiée et la nécessité de l’intelligence économique se révèle davantage.
Le webinaire du 26 février faisait également suite à la parution récente de l’ouvrage de Jean-Louis TERTIAN, L’intelligence économique : un état d’esprit, analysant les enjeux de l’intelligence économique et ses perspectives de développement.
Bien que l’intelligence économique soit un sujet essentiel pour la compétitivité de notre pays, on constate une rupture entre sa pratique et l’importance que lui donnent les institutions. Malgré le rapport Martre publié en 1994, soit un an après la série d’initiatives de Bill CLINTON visant à renforcer l’appui de l’Etat aux entreprises, et plus récemment la création du Service de l’Information Stratégique et de la Sécurité Economique (SISSE) en 2016, l’intelligence économique est un concept qui n’est malheureusement pas assez investi par le monde des affaires français. Il est alors nécessaire de sortir du « débat d’experts », d’autant plus que la crise de la pandémie de la Covid-19 a révélé nos forces et nos faiblesses et nous impose d’acquérir des outils efficaces en intelligence économique.
Sous la présidence de Jean-Pierre RAFFARIN, Ancien Premier ministre, Président de la Fondation Prospective et Innovation et de Krystyna de OBALDIA, Présidente du Club des Exportateurs de France, Jean-Louis TERTIAN, Contrôleur général économique et financier au Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, Philippe CLERC, Président de l’Académie de l’Intelligence Economique, Maître Fabrice DEGROOTE, Avocat au cabinet Simon & Associés et Thomas BINANT,CEO de Geotrend, ont échangé sur l’intelligence économique à l’ère de la crise sanitaire. De ces échanges fructueux, quelques points sont ressortis :
1. L’intelligence économique au service de la guerre économique
La notion de « guerre économique » commence peu à peu à investir le paysage institutionnel français, notamment avec la création de l’Ecole de Guerre Economique en 1997. Cette approche place les échanges commerciaux au sein d’une logique belliqueuse entre Etats rivaux qui cherchent à accroître leur puissance grâce à la conquête de marchés stratégiques. Le véto de la France concernant le rachat de Carrefour par le groupe canadien Couche-Tard, ou encore le rejet de la vente de la holding d’investissement HLD Photonis à l’américain Teledyne, témoignent de la prise de conscience politique et économique des stratégies offensives menées à l’égard de la France. Dans ce climat de guerre commerciale, l’intelligence économique « à la française », définie comme ensemble des actions de recherche, de surveillance et de collecte de données à des fins d’opérations stratégiques, permettrait à la France de mieux affirmer sa force dans le jeu international. Toutefois, notre retard en intelligence économique nous prive de fonds européens qui pourraient revenir aux petites et moyennes entreprises (PME) françaises, alors que celles-ci ignorent le plus souvent les priorités européennes en matière d’innovation et par extension, les conditions de droits d’accès au financement de l’Union Européenne.
Le ralentissement de l’économie qu’a entraîné la pandémie de la Covid-19 amplifie la concurrence inter-étatique et révèle l’impréparation des entreprises et administrations françaises face aux chocs économiques et commerciaux, comme le montre la dégradation de la balance commerciale en termes absolus et en comparaison avec les autres pays européens. Or l’accès à l’indépendance stratégique, au cœur du concept de guerre économique, nécessitera des choix. Outre-Atlantique, la décision du Président Joe BIDEN de « rendre les chaînes d’approvisionnement plus sûres et plus fiables » afin d’éviter les pénuries, ou encore la nomination de l’économiste Daleep SINGH au sein de l’administration BIDEN en tant que « deputy national security adviser », illustrent le renforcement stratégique de la relation entre entreprises et administrations américaines. En Europe, une mobilisation des organisations a permis de faire remonter des alertes, des interventions et des risques au plus haut sommet de l’Union Européenne, en vue de révéler ces dépendances aux chaînes d’approvisionnement et de contribuer à l’émergence d’une nouvelle souveraineté.
Par ailleurs, dans un climat marqué par l’insécurité économique due à la guerre économique entre la Chine et les Etats-Unis, ainsi que par la crise sanitaire, il apparaît indispensable de s’équiper d’outils efficaces pour appliquer l’intelligence économique. Il s’agit tout particulièrement d’anticiper les risques parmi les petites et moyennes entreprises, alors que celles-ci réclament des diagnostics de marché, une sécurité économique renforcée et un accès direct à l’information.
2. La coopétition au cœur de l’intelligence économique
Le néologisme « coopétition » caractérise l’ambivalence des relations économiques entre entreprises et entre Etats qui sont tantôt coopératifs, tantôt concurrents. Ici, l’Etat a pour intérêt d’accompagner les entreprises et de les rendre plus compétitives grâce aux outils de l’intelligence économique.
Parmi ces outils, le moteur de recherche mis au point par la start-up Geotrend se distingue. Celui-ci révolutionne en effet la méthodologie de recherche d’informations en proposant aux entreprises qui avaient pour habitude de faire des recherches manuelles, chronophages et fastidieuses, des cartographies affichant l’état du marché national et international grâce à l’intelligence artificielle.
Cette révolution entend recourir à l’intelligence économique grâce à la professionnalisation de l’usage de l’information, dans un contexte de compétition économique et de globalisation accrues. A cela s’ajoute un décloisonnement entre secteurs, positions et marchés : les acteurs ne sont plus seulement des compétiteurs, mais aussi des co-pétiteurs. Pour identifier ces changements, il est essentiel de passer à une veille dite horizontale, en croisant les informations de différents secteurs d’activité, et d’effectuer des recherches transversales. D’où l’intérêt de la cartographie comme grille de lecture pour connaître les évolutions des éventuels partenaires stratégiques. De même, la récente innovation de Geotrend, Corona Search Engine, permet aux entreprises de se repositionner sur les écosystèmes économiques malgré l’impact de la crise sanitaire.
Par ailleurs, la pandémie a généré un protectionnisme juridique de la part des Etats, afin de faire face à cette crise qui n’avait pas été anticipée. L’usage intensif du numérique explique la réglementation juridique actuelle qui organise l’intelligence économique anti-concurrentielle. Celle-ci repose sur trois principes. Le premier d’entre eux concerne l’anticipation. Juridiquement, des outils permettent aux entreprises de se protéger (brevets, noms de domaines…) et de mettre sous surveillance des marques à des fins de prospective commerciale. Il est également important que la législation européenne prévoie un système de stockage des données sur le territoire européen pour contrer le Cloud Act permettant aux Etats-Unis d’obtenir les données des opérateurs télécoms stockées sur leurs serveurs. Deuxièmement, la protection juridique des entreprises, notamment le secret des affaires, est au cœur de nouvelles législations, telles que le règlement général sur la protection des données (RGPD) européen. Enfin, le dernier principe sur lequel repose l’intelligence économique est la valorisation. Après avoir anticipé et protégé, l’intelligence économique permet de revaloriser les entreprises grâce à l’utilisation efficace des data, d’où l’importance de vouloir protéger ces outils.
En somme, après près de vingt ans d’existence officielle sur le territoire français, l’intelligence économique souffre d’un déficit de culture et de pratique dans le tissu entrepreneurial français. Il importe alors de doter les petites et moyennes entreprises (PME) qui constituent la majorité du paysage économique français, d’outils et de technologies de l’information pour affronter la guerre économique et la logique de coopétition actuelle. Le métissage public-privé nous permettra d’acquérir une acuité précieuse non seulement pour comprendre la réalité économique du monde, mais pour y prendre part.
SE
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