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« Rivalité Euro/Yuan/Dollar : la nouvelle guerre des monnaies »

Date de la conférence : 07 avril 2021

CYCLE 2021 – Les Etats-Unis et le monde

 

La crise économique, entraînée par la crise sanitaire, n’est pas seulement un accélérateur de tendances déjà à l’œuvre depuis une décennie, elle exacerbe aussi des tensions, notamment entre la puissance américaine et la puissance chinoise. Ces rapports de force, qui engagent également l’Europe, sont visibles à tous les niveaux, notamment sur le plan financier et monétaire. Pour reconstruire leurs économies frappées par la pandémie mondiale, les gouvernements respectifs ont adopté des plans de relance, non sans effets sur la valeur de leurs monnaies, les taux d’intérêts, le niveau de l’inflation et la solidité des paiements internationaux.

Le webinaire du 7 avril 2021 s’inscrit dans le nouveau cycle de la Fondation Prospective et Innovation qui s’attache à suivre la première année de la présidence de Joe Biden, tout particulièrement les relations entre les Etats-Unis et le reste du monde, en premier lieu l’Europe.

Aux côtés de Jean-Pierre RAFFARIN, Ancien Premier ministre et Président de la Fondation Prospective et Innovation, Jean-Paul BETBEZE, économiste et Président-Fondateur de Betbeze Conseils, Christian NOYER, Gouverneur honoraire de la Banque de France et Vice-Président de la BCE, Michael BLOCK, Directeur général et Conseiller spécial chez Adit Ventures, David BAVEREZ, Managing Director chez Aryes Capital ont discuté des aspects financiers et monétaires de la crise que nous traversons, avec la place centrale que le dollar continue à occuper.

Des échanges, deux points particulièrement saillants :

 

1.Vers le piège de Thucydide et un affrontement entre yuan et dollar : entre continuités et ruptures

Dans la course à la puissance, les indicateurs de richesses et de croissance se montrent particulièrement révélateurs.

A première vue, ce sont les Etats-Unis restent en tête avec un Produit Intérieur Brut qui s’élève à près de 21.4 billions de dollars, contre 14.3 billions pour la Chine. Le dollar est également, de loin, la monnaie la plus échangée et la plus gardée sur le globe en totalisant près de 88% des échanges, 60% des réserves contre 2% pour le yuan. L’hégémonie de la monnaie américaine repose par ailleurs sur la confiance qu’on lui accorde grâce à sa stabilité et le poids de sa banque centrale. Les pays étrangers, notamment l’Europe et la Chine, préfèrent composer leurs réserves de dollars, empruntent et investissent en utilisant le dollar américain. Il s’est alors imposé dans le monde comme maître du système monétaire international, devenant un véritable modèle de référence. Ainsi, l’hégémonie américaine résulte avant tout de la primauté du dollar, mis au service de l’extraterritorialité du droit américain.

Néanmoins, à y regarder de plus près, la victoire américaine est moins claire qu’il n’y paraît. Si l’économie américaine a subi une contraction de 3.5% du PIB en 2020, soit sa pire année depuis 1946, la Chine, elle, est restée au cours de l’année 2020, la seule économie majeure avec une croissance positive. Si bien que, la croyance encore fraîche selon laquelle les économies américaine et chinoise seraient équivalentes d’ici 2040, est infirmée parce que trop timide compte tenu de la réalité actuelle. Les tendances actuelles prévoient en effet le rattrapage de l’économie chinoise d’ici 10 ou 15 ans. Si bien que, pour les Chinois, la crise sanitaire et économique actuelle pourrait bien être le dernier tour de piste du dollar, au profit du yuan. Si la crise de 2008 avait eu pour effet de faire entrer la puissance chinoise dans le système monétaire international, la crise de 2020 vient l’affirmer. La chute du dollar, et l’essor du yuan qui en découle, s’expliqueraient alors par l’arrogance dont font preuve les Etats-Unis grâce à leur monnaie-référence, alors qu’au même moment, les Chinois, eux se tournent vers leur passé pour apprendre de leurs erreurs. Contrairement aux Américains, les Chinois craignent grandement un retour de l’inflation, à l’origine de soubresauts sociaux sur leur territoire il y a peu. Dès lors, il s’agit de ne pas politiser les banques centrales et de surveiller la masse monétaire qui ne doit pas augmenter de plus de 10 à 15%, pour être en ligne avec l’évolution nominale du PIB chinois. Pourtant, alors que la Chine s’inquiète de poussées inflationnistes, Joe Biden vient de signer un plan de relance historique qui s’élève à près de 1.900 milliards de dollars.

Enfin, le rapport de force entre la Chine et les Etats-Unis est imprégné des craintes internationales quant au caractère extraterritorial des lois américaines. Le dollar est menacé en son sein à cause des sanctions imposées par les Américains. Celles-ci mettent en cause la souveraineté des détenteurs ou des utilisateurs de dollars.  La Chine, elle, souffre encore d’un manque de confiance et de crédibilité.

 

2. Quelle place pour l’Europe et l’euro dans cette dialectique mondiale ?

Face à la crise sanitaire et le bras de fer entre dollar et yuan, l’essor de cryptomonnaies apparaît plus éclatant que jamais. Bien que la bataille entre nouvelles monnaies (bitcoin, diem, libra…) et anciennes monnaies n’est pas gagnée, elle chamboule pourtant les règles du jeu. Les nouvelles monnaies sont en rupture en étant privées et non politiques. Ces nouvelles monnaies s’imaginent concurrencer le dollar ou le yuan, en particulier le diem, lancé par Facebook, qui se voulait être plus stable que le dollar. Les banques centrales veulent elles aussi se lancer dans le développement de monnaie électroniques, en témoigne le déploiement du e-RMB en Chine qui a pour objectif de s’offrir comme alternative face au système de règlements en dollar.

Pourtant, si le cours actuel du Bitcoin laisse croire à un avenir resplendissant pour les cryptomonnaies, leur absence de base solide assombrit le tableau. Premièrement, elles ne remplissent pas les trois fonctions primordiales auxquelles les monnaies sont censées répondre. Elles se doivent en effet de servir d’unité de compte, de réserve de valeurs et d’intermédiaire des échanges. Néanmoins, les nouvelles monnaies ne sont pas acceptées par tous, et leur dépendance aux cours financiers viole la clause de réserve de valeur. Les cryptomonnaies sont également basées sur la spéculation et sont davantage considérées comme des actifs qu’autre chose. Enfin, leur coût environnemental est énorme.

Ainsi, parce que les cryptomonnaies sont incapables de mettre fin à l’hégémonie du dollar en raison de leur nature, l’euro s’impose comme seul et véritable concurrent du dollar et du yuan. Il bénéficie déjà d’infrastructures, de la confiance des marchés internationaux et d’un poids de taille dans l’économie mondiale. L’euro serait alors la plus grande force de l’Union européenne, dont la politique monétaire et fiscale s’est solidifiée et le rôle intensifié ces dernières années, comme en témoigne la signature de l’accord sino-européen.

Dans un monde où les économies et les monnaies s’affrontent dans des jeux à somme-nulle, l’économie internationale ne pourra trouver son salut que dans la clairvoyance et l’adoption d’accords multilatéraux. Apaisement, confiance, bienveillance, orientation commune et développement de nouveaux marchés, notamment en Afrique, sont des notions qui doivent impérativement régir les décisions économiques des trois puissances mondiales. La planétisation et l’adoption du consensus de Paris sur le climat comme nouvelle matrice de pensée résonne bien avec cet impératif de multilatéralisme.

 

SE

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