Télécharger ici la note de lecture « Chine-Europe: le grand tournant »

 

Vivant à Hong Kong depuis plus de 10 ans, actif dans l’investissement financier et dans l’art chinois contemporain, David Baverez est un connaisseur averti de la Chine. Il la suit au quotidien et dans la lecture de ce qui se publie sur elle dans le monde. C’est ce qui donne une épaisseur et une tonicité particulières au dernier ouvrage qu’il vient de publier : Chine-Europe: le grand tournant.

Le titre traduit bien l’idée centrale qui anime le livre : Chine et Europe ont tout à gagner à travailler ensemble, pour affronter victorieusement les défis du XXIème siècle et équilibrer leurs relations avec les Etats-Unis.

Pour développer cet argument, David Baverez met en scène une série de dialogues fictifs entre le Président Xi Jinping et des Européens venus de pays et de professions différents : journaliste français, industriel allemand, Lord anglais, universitaire italienne, investisseur disruptif suédois.

Ces échanges permettent à l’auteur des croisements de points de vue qui évitent un arrêt sur image de la Chine ou une comparaison statique du Vieux Continent et de l’Empire du milieu. Une liberté de ton est ainsi permise vis-à-vis de tous.

L’impression qui en ressort est que Chine et Europe sont complémentaires, plus que rivales ou adversaires. Les mutations technologiques, qui s’accélèrent et qui bouleversent en profondeur l’actualité comme la décennie à venir, doivent rapprocher l’Europe et la Chine, dans l’acceptation des différences, des divergences.

Différence de systèmes économiques.

La Chine sait juxtaposer capitalisme d’Etat et entreprenariat privé, probablement le plus dynamique au monde. La réforme ne consiste pas à restructurer entreprises et administrations et entreprises selon la doxa libérale mais à améliorer l’efficacité administrative, à aider des projets à se réaliser au lieu de les retarder voire de les empêcher d’émerger.

Divergence profonde, celle du régime politique.

Système autoritaire, séculaire :  5% de la population dirigent 95% d’une population, grâce à une tradition confucéenne, qui privilégie l’intérêt collectif sur celui de l’individu, grâce au mélange de décentralisation poussée et d’exigences de compétences reconnues aux échelons de responsabilités les plus élevés, grâce aux succès économiques et au nationalisme entretenu par la conviction que la progression du pays est loin d’être achevée.

A côté de ces priorités mises dans la bouche du Président chinois, affirmation des recettes de ces succès passés et à venir : capacité de mener des politiques à long terme, économies d’échelle inégalées, foi dans l’adoption à marche forcée de la technologie pour accélérer le développement de la Chine, comme les États-Unis ont su le faire au XXème siècle.

David Baverez illustre cette thèse par de nombreux exemples sur les réalisations chinoises qui, même en période d’argent facile en Occident, donnent le tournis et montrent l’ampleur des efforts nécessaires pour que le reste du monde reste dans la course.

Dix mille startups créées quotidiennement en Chine. 1700 milliards de dollars de dépenses annuelles d’infrastructures auxquelles vont s’ajouter 400 milliards pour les « nouvelles infrastructures », numériques essentiellement. Moitié des licornes mondiales. Moitié des brevets mondiaux liés à la blockchain. 60% de la fibre déroulée et 82% des panneaux solaires produits dans le monde.

En contrepoint de ces chiffres impressionnants, les interlocuteurs européens de Xi Jinping ne manquent pas de rappeler les faiblesses de la Chine.

Trois principales :

-Un endettement excessif conjugué à un système bancaire insuffisamment capitalisé.

-Un interventionnisme de l’État susceptible de compromettre le dynamisme du secteur privé et ainsi l’émergence de vrais champions nationaux, capables de rivaliser dans certains domaines avec les Coréens, Japonais et Américains.

-Un comportement qui irrite les partenaires étrangers par sa brutalité, altérant une image rendue plus favorable par le discours à Davos sur les vertus du multilatéralisme et le contre-exemple offert par Donald Trump.

David Baverez ne s’en tient pas à un balancement plus ou moins circonspect dans ce jugement sur la Chine, sur son régime national comme dans ses relations avec le reste du monde mais il fait part avec conviction que l’Europe a tout intérêt à tirer parti d’un rival systémique sans en prendre son parti. Pour lui, le XXIème siècle devrait construire entre la Chine et l’Europe le même pont que celui que le XXème siècle a réussi à ériger entre États-Unis et Europe.

Le parallèle est provocateur et ne manquera pas de susciter l’opprobre de ceux qui refusent un monde complexe et de donner le sentiment de transiger sur les principes. Ceux-ci pourront cependant retrouver certains de leurs jugements critiques sur le régime chinois et le prix à payer pour ses performances dans les propos que fait habilement tenir David Baverez, résidant à Hong Kong, aux différents interlocuteurs européens du Président chinois.

En indiquant que le lecteur, s’il n’est pas satisfait peut être remboursé, David Baverez ne prend pas grand risque tant l’ouvrage est riche en faits, en chiffres et en idées, agrémenté de pointes d’humour, parfois vaches.

Cette note de lecture est une invitation à lire Chine-Europe, le grand tournant et non un produit de substitution.