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« La dernière chance du capitalisme »

Date de la note : 16 juillet 2021

Patrick ARTUS et Marie-Paul VIRARD,  » La dernière chance du capitalisme », Editions Odile Jacob, 5 mai 2021

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Patrick Artus et Marie-Paul Virard se sont retrouvés pour une nouvelle analyse critique. “La dernière chance du capitalisme” fait le point sur le capitalisme et tente d’élaborer une solution pour le sauver.
Le diagnostic des auteurs est catégorique ; le capitalisme fait trop de perdants pour qu’il dure en l’état. Il est considéré par les plus démunis comme responsable de « la misère du monde ». Pourquoi le capitalisme souffre et fait souffrir en contrepartie ? Pourquoi ne lui reste-t-il plus qu’une seule chance ?

Les deux auteurs se sont attachés à répondre à ces interrogations, adoptant un ton pédagogique et critique, bien que l’espoir n’est tout de même pas absent.

  • Le capitalisme responsable de tous nos maux : que lui est-il reproché ?

Concrètement, on reproche au capitalisme de ne favoriser que les plus forts. Les salariés occidentaux, particulièrement en tête de ce « ras-le-bol » contemporain, se sentent non seulement délaissés mais surtout la proie d’une quête insatiable pour toujours plus de profits. Les maux attribués au capitalisme sont divers : une stagnation voire une baisse du pouvoir d’achat, des emplois de moins en moins qualifiés, une précarité qui gagne du terrain, des inégalités croissantes.

En bref, le capitalisme est devenu un match déloyal où les plus faibles sont à la merci des plus forts, leur condition de faiblesse étant elle-même vue comme le résultat du capitalisme.
En d’autres termes, le capitalisme est de plus en plus élitaire et de moins en moins populaire, différence encore plus frappante pour les Américains, qui étaient habitués à favoriser les masses. Dorénavant, le régime économique se concentre sur le rachat d’actions, un de ses outils favoris, ce qui encourage fortement la spéculation.

Les inégalités se creusent, notamment pour les populations plus jeunes. S’ajoute à ce bilan déjà lourd, la crise sanitaire, qui aggrave encore plus l’écart entre ceux très impactés par la pandémie (ceux qui travaillent dans les secteurs automobiles, aéronautiques, touristiques…) et d’autres qui en « bénéficient » (les salariés des entreprises commerciales en ligne, technologiques, pharmaceutiques…). Le cas de la France est frappant ; la Covid-19 a fait basculer plus d’un million de Français dans la précarité et la pauvreté.

  • La dérive du capitalisme

Pour comprendre la chute du capitalisme, les auteurs sont retournés aux sources. Le libéralisme friedmanien, l’origine de notre capitalisme contemporain, a longtemps été vu comme le seul système économique capable de réconcilier la liberté et la démocratie, en se basant sur la logique du marché. Pour Milton Friedman, père de cette philosophie, les seules responsabilités sociales des entreprises sont d’être gérées efficacement et d’innover afin de maximiser leurs profits pour l’actionnaire. En aucun cas, les entreprises ont pour mission de créer des emplois ou de s’engager dans une fervente lutte contre les inégalités. Ceci est le rôle de l’Etat, qui peut taxer, réglementer, redistribuer, ou mettre en place des incitations. On observe donc un véritable conflit entre ce qui est reproché aujourd’hui au capitalisme et ses fondements friedmaniens.

Néanmoins, le capitalisme a évolué. Depuis quelques années, il s’apparente plus au capitalisme chinois, un capitalisme étatique. L’Etat, devenu protectionniste, sanctionne économiquement, encourage l’intervention de la Banque Centrale, prône une politique monétaire très expansive sans se soucier du déficit public. Les critiques du capitalisme n’ont pas tort. Le modèle néolibéral n’a pas tenu ses promesses : la transition énergétique n’a pas eu lieu, l’économie n’est pas plus efficace, la création d’emplois ne s’est pas envolée, l’investissement pour les entreprises n’est pas plus facile, la productivité n’a pas crue, le processus schumpétérien de renouvellement du tissu économique s’est révélé être une fantaisie, l’épargne n’est pas allouée plus efficacement. En revanche, le modèle néolibéral s’est montré socialement, environnementalement, et économiquement agressif. Une double perte.

  • Un capitalisme claudiquant : ses béquilles ne le soutiennent pas

Le seul moyen de sauver ce capitalisme qui ne fonctionne plus est de lui imaginer des « béquilles », tel un malade traumatisé.
La première béquille est l’endettement des ménages, prisée dans les années 90. Cette béquille est néanmoins la plus bancale. Il s’agit d’encourager les ménages à consommer malgré l’austérité salariale, c’est-à-dire, s’endetter coûte que coûte pour les vacances, la consommation courante, le logement… Les auteurs la jugent triviale et insoutenable.

La deuxième béquille est également celle de l’endettement mais public cette fois-ci. Cette béquille n’est pas davantage stable et avant tout, elle n’est pas indéfinie. Dans les pays de l’OCDE, la dette publique ne cesse de croître. Elle est passée à presque 120% du PIB depuis 2010. Depuis la crise de 2008-2009, les gouvernements transfèrent massivement de l’argent public vers les ménages et les entreprises. Cette création de dette est sans fin et ignore les travers de l’endettement.

La troisième béquille consiste en la monétisation des dettes publiques. En augmentant l’accès aux liquidités, les Banques Centrales espèrent stimuler la demande « au point de confondre parfois création monétaire et création de richesses ». Pourtant, la politique monétaire a ses limites. La raison est simple : lorsque le taux d’intérêt chute en dessous d’un certain niveau, les gens préfèrent conserver la monnaie (les liquidités) plutôt que de détenir une créance peu rentable.

  • Un regard vers le futur

La dernière chance du capitalisme ne se trouve dans aucune de ces béquilles. Selon les auteurs, le capitalisme doit se doter d’une nouvelle carapace. Pour se réformer, il faut d’abord définir un nouvel équilibre entre consommateurs, salariés, citoyens, et actionnaires, sachant qu’il lui est reproché de privilégier ces derniers au détriment des autres. Heureusement, un consensus se forme petit à petit, du moins dans la zone euro, pour un capitalisme qui augmente les bas salaires, lutte contre la pauvreté et les inégalités, accélère la transition énergétique vers les énergies renouvelables, favorise la production et la consommation locales. Un rééquilibrage pour délaisser le soutien prioritaire au consommateur pour privilégier d’autres aspects sociaux.

Ce faisant, Patrick Artus et Marie-Paul Virard soutiennent un ordolibéralisme moderne. Fondé dans les années 1930, l’ordolibéralisme est une philosophie de la gouvernance économique, politique et sociale. Reconnaissant les limites du marché, cette philosophie confie à l’Etat la responsabilité de garantir une compétition libre, pour optimiser la création de richesses économiques. Mettre en œuvre un ordolibéralisme en Europe permettrait une économie sociale de marché avec :

– Un environnement économique qui favorise la croissance mais qui lutte simultanément contre la déformation du partage des revenus,
– Des entreprises auxquelles on fait confiance, qui innovent et développent de nouvelles richesses,
– Une lutte contre les inégalités et une protection sociale de qualité,
– Un Etat qui corrige les externalités négatives de la croissance économique : l’insécurité, les inégalités et la pauvreté.

Le livre se termine donc sur une note positive. Le capitalisme est gravement malade mais les auteurs ont développé le remède. La mort du capitalisme apparaît encore grandement exagérée.

Célia PINTO MOREIRA, Chargée de mission, Fondation Prospective et Innovation

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Informations sur l'ouvrage

  • La dernière chance du capitalisme
  • Auteur : Patrick ARTUS et Marie-Paul VIRARD
  • Éditeur : Editions Odile Jacob
  • Date de publication : 05 mai 2021
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