Date de la note : 08 janvier 2021
Le dernier ouvrage de Charles-Édouard BOUÉE est dans la lignée de ses précédents. Mélange de vivantes digressions historiques et de ce qui peut paraître ressembler à de la science-fiction, pour comprendre le présent et se préparer aux jours d’après.
Après avoir dirigé le cabinet de conseil stratégique Roland BERGER pendant six ans, Charles-Édouard BOUÉE s’est lancé l’an dernier dans l’entrepreneuriat de l’intelligence artificielle en dirigeant le fonds d’investissement Alpha Intelligence Capital. L’intelligence artificielle est au centre de ses préoccupations et dans son ouvrage de 2017, Charles-Édouard BOUÉE mettait en garde contre l’intelligence artificielle, menace pour la survie de l’humanité, tout comme la bombe atomique.
Mais ce n’est pas d’intelligence artificielle qu’il s’agit dans L’ère des nouveaux Titans ou le capitalisme en apesanteur mais des risques de dislocation du monde que la COVID-19 fait passer à la vitesse supérieure. L’essai renvoie à la fois à la mythologie de la Grèce antique et au monde contemporain, tous deux déchirés par le combat des Titans, économiques ou politiques, qui veulent dominer l’univers par goût de l’argent ou du pouvoir, rarement par altruisme, dans lequel les faibles ne peuvent avoir droit de cité. Dans un univers dominé par la loi du plus fort, il y a péril en la demeure pour une Europe qui n’a pas joué la carte de la puissance mais de la morale. Le gagnant rafle toutes les mises.
Charles-Édouard BOUÉE décortique ce qui fait les ingrédients d’un monde qui se substitue à l’ancien de plus en plus rapidement.
Une nouvelle Théorie Monétaire abolit les disciplines et rend l’argent facile vertueux. Les sociétés technologiques alimentées par cet argent abondant et avide de rendements élevés, y trouvent les moyens d’entretenir le cycle de recherche/produits/profits/recherche/produits etc. Leurs capitalisations boursières peuvent surpasser le PIB de bon nombre d’États, pas forcément les plus petits.
La COVID-19 a conforté leur prééminence face aux sociétés traditionnelles. La valeur en bourse de Tesla est le double de celle de Volkswagen alors que, au fil des années, Tesla a accumulé pertes sur pertes et a produit, en 2019, vingt fois moins de véhicules que le constructeur allemand. L’explication principale réside dans cet argent facile, gratuit, voire à taux d’intérêt négatif. Pour l’auteur, c’est la source du mal qui a commencé à agir en 2008 avec la crise financière et s’est aggravée en 2019 avec la crise sanitaire.
L’aisance monétaire ne soutient pas seulement l’économie classique en ces temps de crise, elle alimente le gonflement de la valeur des actifs, favorise la spéculation et accroît encore un peu plus les écarts de revenus et de patrimoine.
Les Titans technologiques ne sont pas seulement des géants financiers mais aussi des faiseurs d’opinions par le truchement des réseaux sociaux qui transforment les faits en opinions, discutables et substituables par d’autres opinions, aussi infondées soient-elles. Donald TRUMP en est la quintessence avec, en trois ans de mandat, plus de 16 000 mensonges ou déformations des faits relevés par le New York Times.
L’argent facile fait perdre les repères, les inégalités sociales se creusent, les sociétés se rebellent. La démocratie représentative, le multilatéralisme, accusés tous-deux, d’être incapables de résoudre les problèmes, paraissent frappées d’obsolescence. Aux temps difficiles, les solutions faciles du populisme.
La COVID-19 n’a pas fait naître ces phénomènes, mais sert de révélateur, d’accélérateur. Cette crise va-t-elle être un signal suffisant pour que l’humanité prenne réellement conscience des dangers qu’elle court et donne un coup d’arrêt à cette glissade vers la chute, vers ce déluge de la mythologie grecque qui fait que Zeus en vient à noyer une humanité indigne pour la remplacer par des hommes et des femmes nouveaux ?
Certains y croient ou veulent y croire, Charles-Édouard BOUÉE pas du tout.
Nos croyances, nos opinions préétablies sont plus fortes que les faits et, tout ce qui est vécu est interprété à l’aune de nos convictions, de nos schémas affectifs et intellectuels. Ces « biais cognitifs» ont fait que l’on a d’abord sous-estimé les risques du virus pour ensuite surréagir. Au final, rien n’a vraiment changé dans notre façon d’appréhender le cours des choses. Libéraux, moralistes, anticapitalistes, écologistes, chacun continue à voir midi à sa porte comme auparavant. Il n’y aura pas de « grand soir », de nuit du 4 août, pour abolir le capitalisme, juguler la mondialisation, effacer les inégalités de fortune.
Le jugement de l’auteur est clair voire provocateur. Le capitalisme sortira renforcé de la crise de 2020-2021, comme il l’a été de la crise des subprimes de 2007-2008. Les banques centrales ont déjà fait savoir qu’elles maintiendraient ouvert le robinet monétaire. Les plans de relance vont aux entreprises pour éviter leurs faillites et le chômage qui en découlerait. Les fusions-acquisitions ne ralentissent pas et les fonds d’investissement vautours sont loin d’être rassasiés. Fermer ses frontières, c’est se priver de sources de croissances, marchés, capitaux.
Les discours politiques n’y peuvent rien, la réalité est têtue, la pesanteur trop grande.
Ce n’est pas, pour autant, que le monde de demain sera identique à celui d’hier. Les théories économiques conventionnelles ont volé en éclat, le télétravail s’est installé durablement, le revenu universel a fait son apparition sous la forme de l’indemnisation du chômage partiel, l’automatisation va s’amplifier et le chômage avec, la Chine s’impose, la Russie s’affaiblit, les États-Unis se fissurent, l’Europe se cherche.
Que faire face à ce pessimisme foncier ?
Charles-Édouard BOUÉE ne s’aventure pas à énoncer des recettes propres à traiter les plaies actuelles et celles plus redoutables encore qui attendent l’Humanité. Pas d’optimisme de façade… Au contraire, il énumère les risques à venir, le virus informatique capable de paralyser les pays, de la tête, le réchauffement climatique qui pourrait chambouler la planète, de nouveaux virus animaux plus vindicatifs encore que la COVID-19…
Il récuse l’accusation de pessimisme et rappelle le paradoxe de l’amiral STOCKDALE, tiré de son expérience d’ancien prisonnier de guerre au Vietnam : ce sont les pessimistes qui s’en sortent car ils ne sont pas gagnés par le découragement, résistent à l’adversité alors que les optimistes craquent. Conclusion un peu sombre mais, heureusement, parmi les réflexes dont l’incorrigible humanité ne parvient pas à se défaire, il y a l’instinct de survie…
Serge DEGALLAIX, Directeur Général Fondation Prospective et Innovation
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