Date de la note : 10 juin 2022
Rudy Aernoudt est un européen convaincu et qui entend partager sa conviction, il le fait de manière lucide et voit l’avenir de l’Union européen avec pragmatisme. L’Europe vue de l’intérieur, vers un nouvel élan ?, paru en février 2022, quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine, décrit bien l’architecture de l’ouvrage : un regard sans concession sur le fonctionnement interne des institutions européennes, au moins de certaines d’entre elles. Pour lui, l’Europe est indispensable et a fait ses preuves.
La sortie du Royaume-Uni est finalement une chance pour l’avenir de l’Europe. Douze travaux d’Hercule l’attendent pour que le vieux continent garde sa place dans le monde d’aujourd’hui et de demain.
Un regard sans concession sur les défauts et les petitesses des organes européens
Rudy Aernoudt fréquente les couloirs et les lieux de pouvoir de l’Union européenne depuis 35 ans. Et il y est encore senior economist. Il a quitté la Commission européenne quelques années, pour servir notamment de secrétaire général de l’administration flamande sur laquelle la dureté du jugement rappelle celle de Jacques Brel, tout en affirmant sa fierté d’être flamand.
L’auteur reproche à une eurocratie forte de 50 000 personnes de légiférer plus que nécessaire et d’indisposer les citoyens européens par son intrusion déplacée. La réglementation sur la courbure des concombres en est une illustration caricaturale.
De même, certaines institutions ne servent qu’à accueillir des « ex » des pays membres, à qui il faut trouver une « pantoufle » et une rémunération annexe. Parlement européen, comités et même la Commission souffrent d’être trop nombreux et d’une taille excessive, car les 27 Etats tiennent à être représentés personnellement dans chacune de ces institutions.
Ces critiques parfois acerbes ne conduisent pas Rudy Aernoudt à tomber dans la dénonciation populiste et la démagogie. Sur les niveaux de rémunération des eurocrates, les causes de la sur-règlementation, la piètre qualité parfois de hauts-responsables, il dégonfle les exagérations et rappelle que ce sont souvent les Etats membres qui poussent à autant de travers et se cachent derrière l’Europe.
Le principe de subsidiarité rappelé
Pour corriger ces maux, le crible de la subsidiarité et le pragmatisme sont à appliquer avec détermination.
Quelle est la valeur qu’ajoute l’échelon européen pour la conception et l’adoption d’une mesure par rapport à une décision et une exécution prise au plan national ? Un tel tri doit permettre d’alléger la charge bureaucratique et les coûts financiers qui en découlent.
Rudy Aernoudt entend se garder d’écrire sur les sujets qui n’entrent pas son champ d’expertise professionnelle. Aussi, s’en tient-il logiquement aux aspects économiques des questions européennes.
La critique de Rudy Aernoudt est fondée et le remède apparaît de bon sens. Il a été acté de longue date, a été appliqué dans certains cas, cependant il est permis de se demander si le système européen est réformable. A côté de la résistance des appareils, la capacité de le réformer trouve ses limites dans la volonté même des Etats membres de faire supporter une partie de la charge d’un programme par l’Union et de trouver aussi un « juste » retour à leur contribution nationale. C’est aussi, de manière plus positive, une manière de montrer aux Européens que l’Europe peut être à leur côté au quotidien.
D’où les difficultés à réformer un système européen qui développe sa logique propre, recherche l’extension de ses pouvoirs et de ses moyens, face à des Etats qui y trouvent leur intérêt ou laissent faire, à dessein ou par impuissance. Les institutions occupent le vide laissé par les Etats-membres.
Le Brexit permet un nouveau départ
Rudy Aernoudt a déploré d’abord personnellement, comme partisan de l’Europe, la sécession du Royaume-Uni mais il s’est vite consolé en constatant qu’elle levait des écrous qui bridaient l’Union européenne. Dès l’origine, Londres a freiné tout approfondissement de l’Europe, tout effort d’aller véritablement au-delà d’une zone de libre-échange. Après le Brexit, les alliés naturels (Suède, Danemark, Autriche, Pays-Bas) se sont retrouvés orphelins et doivent accepter des transformations difficilement imaginables avec les Britanniques.
Pour mettre l’Europe à hauteur des missions qu’elle doit remplir, l’auteur énumère les douze travaux d’Hercule qui l’attendent : y figurent en tête commerce, monnaie, environnement, déséquilibres régionaux, espace, innovation.
A chaque fois, fidèle au principe de subsidiarité, il énonce les mesures que l’Union européenne peut adopter et financer pour mener à bien les douze travaux d’Hercule. Tout cela donne un catalogue de mesures convaincant mais toutefois deux aspects sont traités par prétérition ou par allusion.
La place de l’Europe sur la scène mondiale est largement débattue. L’Europe garde son rang, par l’influence de ses normes, l’ampleur de son marché, la volonté d’être exemplaire notamment par la transition écologique et ses valeurs humanistes. Curieusement, le volet coopération et aide au développement fait défaut, notamment la relation avec l’Afrique. L’Afrique est un continent d’opportunités immenses qui, exploitées, peuvent être les moteurs de la croissance européenne. C’est aussi le moyen de permettre de se développer, de répondre à ses problèmes économiques et sociaux, sources de migrations vers l’Europe.
En second lieu, la relation du citoyen et de l’Europe est abordée sous l’angle du rejet de l’eurocratie et de ses travers : bureaucratie, logorrhée législative, langage abscons, etc. Mais, à l’heure des grands pas que doit effectuer l’Europe, la façon dont le citoyen doit être consulté sur ces choix cruciaux n’est pas abordée frontalement. Le référendum est écarté car il est difficile de répondre à des questions complexes par oui ou non, surtout que les manœuvres politiciennes brouillent les choix.
Mais, les résultats du pragmatisme et de la démonstration de la valeur ajoutée de l’Europe suffisent-ils pour l’auteur ? Comment associer les Européens et éviter le sentiment de coupure avec des élites qui avancent sans entraîner ?
L’ouvrage de Rudy Aernoudt est passionnant par son ton personnel qui n’exclut pas une présentation claire de ce qu’il faut savoir sur le fonctionnement de l’Europe, de ses réalisations et de ses défis. Regard à la fois bienveillant et critique sur une institution unique, bénéfique à tous mais qui doit se regénérer pour ne pas décevoir les Européens et permettre au vieux continent de ne pas être déclassé. L’Europe retrouve un nouvel élan et doit faire ses preuves en ces moments de troubles.
Pour aller plus loin :
Serge DEGALLAIX, Directeur Général de la Fondation Prospective et Innovation
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