Il y a bien sûr beaucoup de raisons pour lesquelles les pays du « Sud global » ont tendance à se détourner de ceux du G7 mais parmi celles-ci, figurent incontestablement en bonne place le peu d’attention que « le Nord » accorde aux problèmes du Sud et la désinvolture avec laquelle il accumule les promesses non tenues. Face à l’immensité des défis posés par le changement climatique, auquel se sont ajoutés la pandémie de Covid 19, la montée des famines et les crises de la dette, force est de constater que la solidarité Nord – Sud n’est pas au rendez-vous. Dans les trois dernières années, 120 millions de personnes sont tombées dans l’extrême pauvreté. C’est pour amener le système financier mondial à mieux s’adapter à ces défis, en prenant mieux en compte le lien entre la réduction de la pauvreté et la protection de la planète, que le sommet de Paris « pour un nouveau pacte de financement mondial » a été organisé, réunissant une quarantaine de grands leaders mondiaux, entourés de centaines de représentants de l’administration, du monde des affaires et de la société civile. A titre d’illustration, on citera parmi ceux-ci le Secrétaire Général des Nations-Unies, le Premier ministre chinois, les Présidents du Brésil, d’Afrique du Sud, d’Égypte, de Tunisie, le prince héritier d’Arabie saoudite, le Chancelier allemand, la Secrétaire au Trésor américain et la Présidente de la Commission européenne.
L’objectif de ce sommet était de créer un « choc de financement » en faveur des pays du Sud. Dans l’ensemble de ces pays (hors Chine), les investissements nécessaires pour lutter contre le changement climatique sont évalués à 2 000 Mds $ par an alors que leur montant actuel, effectif, ne s’élève pas à plus de 500 Mds. C’est dire l’importance de l’effort que doivent encore réaliser les banques de développement multilatérales, les gouvernements et le secteur privé. En outre, lever des fonds ne va pas suffire car la dette publique mondiale atteint le montant pharamineux de 86 000 Mds $. Et de toute façon, près de 60 % des pays à faible revenu se trouvent déjà en état de détresse financière ou en grand risque de s’y trouver. Beaucoup ne voient d’ailleurs pas pourquoi ils devraient payer pour la détérioration du climat causé par les émissions des pays industrialisés au cours du siècle précédent.
Il faut donc innover, ce qui veut dire ne plus opposer aux enjeux climatiques, les enjeux de développement tels que la réduction de la pauvreté, l’éducation et la santé, mais mieux tirer parti des banques multilatérales de développement, réduire les risques liés aux investissements du secteur privé dans les PVD, faire preuve de plus de créativité en matière de réduction de la dette et créer de nouvelles sources de revenus.
Pour progresser dans cette direction, le sommet s’est d’abord concentré sur l’allègement de la dette des pays du Sud. Sur ce point, la Banque Mondiale a décidé de faire droit à une demande présentée depuis déjà quelque temps par la Barbade, celle d’instituer une clause de suspension des remboursements de ses prêts en faveur des pays touchés par une catastrophe climatique. A quoi pourra s’ajouter, incluse dans les contrats, une assurance spécifique contre ce type de risque. Au surplus, la France, les Etats-Unis et le Royaume Uni ont indiqué leur intention d’introduire le même genre de clause dans leurs contrats de prêt bilatéraux.
Le deuxième dossier prioritaire concernait le renforcement des banques de développement, avec l’objectif de faire de celles-ci, et notamment de la Banque mondiale, les banques du climat. Les participants se sont accordés sur l’objectif de renforcer la capacité des banques de développement en libérant davantage de capital et en facilitant leur coopération et leur accès au capital privé.
La troisième grande affaire était celle des financements innovants. Emmanuel Macron n’a pas manqué de saisir l’occasion du sommet pour plaider avec force en faveur de la taxation du carbone. Déjà, avant l’ouverture de la réunion, il avait entrepris de bâtir une coalition de pays pour promouvoir l’idée de taxer les émissions de gaz à effet de serre par les transports maritimes au niveau mondial dans la perspective de la prochaine session de l’Organisation Maritime Internationale prévue en juillet. A Paris, il est allé plus loin en se faisant l’apôtre d’un accord universel qui introduirait un prélèvement global sur le carbone. Celui-ci, au-delà du secteur maritime, pèserait sur l’ensemble des biens et des transactions financières. Son produit, qui pourrait atteindre 1 500 à 2 000 Mds $, serait redistribué aux pays pauvres pour les aider à financer les coûts de l’adaptation aux changements climatiques.
Ce genre d’initiatives devra, pour aboutir, surmonter bien des oppositions mais d’ores et déjà, il rencontre un large soutien, non seulement parmi les pays du « Sud global » mais aussi parmi un nombre appréciable de pays industrialisés. Il faudra bien que l’idée fasse on chemin car, comme l’a dit la directrice générale du FMI, sans taxe carbone, le monde n’a aucune chance de contenir le réchauffement de la planète à 1°5 C.
En marge du Sommet, deux avancées notables ont pu être encore obtenues. La Zambie est parvenue à un accord avec la Chine et quelques autres créanciers sur la restructuration de sa dette, ce qui a redonné espoir à d’autres pays en détresse financière comme le Ghana ou l’Ethiopie. D’autre part, le Sénégal a obtenu d’un groupe de pays (France, Allemagne, Canada, UE) 2,5 Mds € pour accroître la proportion d’énergies propres dans son mix national.
Par ailleurs, Kristalina Georgiéva a indiqué que les pays développés étaient parvenus à s’accorder sur l’objectif de 100 Mds $ de droits de tirage spéciaux que le FMI pourrait mettre à la disposition des pays en développement pour lutter contre le changement climatique et la pauvreté.
Au total, le sommet de Paris n’était qu’une étape sur la voie d’une négociation de longue haleine mais une étape importante pour vérifier les progrès des positions en présence et mobiliser les énergies au plus haut niveau.
Philippe COSTE
Ancien Ambassadeur
Pour aller plus loin:
Billet d’actualité : Sommet pour un nouveau Pacte financier mondial
Brève d’information — Rapport de l’OCDE et l’Aide Publique au Développement en 2022