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  • Les PME francophones, surtout en Afrique, représentent 90 % du tissu économique, mais souffrent d’un accès limité au financement et à la formation.
  • La transformation digitale des PME africaines est freinée par des infrastructures insuffisantes malgré une forte adoption des outils numériques.
  • La coopération entre PME francophones se renforce grâce à des initiatives concrètes comme la plateforme « LIZIBA » pour simplifier la création d’entreprise.

 

Le 29 mai 2025, l’Observatoire de la Francophonie économique (OFÉ) et le Centre de développement de l’OCDE ont réuni chercheurs, décideurs et entrepreneurs autour d’un webinaire incisif : « L’écosystème des PME dans l’espace francophone : défis et perspectives ».

Dans un contexte où les petites et moyennes entreprises (PME) francophones — particulièrement en Afrique — représentent la colonne vertébrale des économies locales tout en affrontant d’immenses obstacles, cette rencontre a permis d’explorer les réalités du terrain et les conditions concrètes à réunir pour un changement structurel durable.

 

Programme

Accueil par : Hervé Agbodjan Prince, professeur titulaire, directeur de l’Observatoire de la Francophonie économique (OFÉ).

Modération par Emmanuelle Létourneau, Présidente et fondatrice, Létourneau gouvernance entreprenante.

Interventions et échanges avec :

  • Dre Sika Limazie, docteure en économie (experte à l’OFÉ) ;
  • Dr Andrea Cinque, économiste, Centre de développement de l’OCDE ;
  • Estelle Gillot-Valet, déléguée Générale de la Conférence permanente des chambres consulaires africaines et francophones (CPCCAF) ;
  • Didier Mavouenzela, président de la Chambre de commerce, d’industrie, d’agriculture et des métiers de Pointe-Noire (CCIAM).

 

Compte-rendu

Les PME jouent un rôle fondamental dans les économies de l’espace francophone, notamment en Afrique où elles représentent 90% du tissu économique, génèrent jusqu’à 80% des emplois et contribuent à hauteur de 40% du PIB. Malgré cette importance, elles font face à des défis structurels majeurs. Dans ce contexte, le webinaire s’est penché sur les menaces et opportunités qui influencent aujourd’hui l’avenir des PME francophones.

 

PRINCIPAUX CONSTATS REGIONAUX

a) Répartition sectorielle des PME

L’activité des PME est largement orientée vers le secteur tertiaire, en particulier en Afrique de l’Ouest (70,9%) et en Afrique centrale (63,4%), traduisant une prédominance des services dans les économies locales. L’Afrique du Nord se distingue cependant par une industrialisation plus poussée, avec 46% de ses PME actives dans le secteur secondaire. En Europe francophone et au Canada, cette tendance vers les services est encore plus marquée : plus de 75% des PME y sont engagées dans des activités de services avancés, notamment le commerce, la finance et les technologies.

b) Création d’entreprise

Les conditions de création d’entreprise varient fortement d’une région à l’autre. En Afrique centrale, les délais et les coûts sont particulièrement décourageants, atteignant en moyenne 25 jours et représentant jusqu’à 73% du revenu national brut par habitant (RNB). À l’inverse, le Canada offre un environnement particulièrement favorable, avec des démarches réduites à 1,5 jour et un tarif quasi nul, à hauteur de 0,3% du RNB. Des progrès notables ont été réalisés en Afrique de l’Ouest et du Nord, où les délais et coûts de création ont diminué significativement, rendant la formalisation plus accessible.

c) Accès au financement

L’accès au financement reste un frein majeur pour les PME africaines francophones. Environ 77% d’entre elles dépendent exclusivement de leurs fonds propres pour financer leurs activités, faute de recours aux prêts ou financements externes. La situation est particulièrement critique en Afrique centrale, où les demandes de crédit sont rares et les taux d’acceptation faibles. En revanche, les PME en Europe francophone et au Canada bénéficient d’un système financier bien structuré, leur permettant de profiter d’une grande diversité de produits financiers, incluant crédits bancaires, leasing et subventions publiques.

d) Numérisation et innovation

Bien que le taux d’adoption des technologies numériques dépasse les 88% parmi les PME africaines francophones, leur usage reste limité à des fonctions basiques comme les courriels, les réseaux sociaux ou le télétravail. Les technologies plus avancées, telles que le stockage dans le cloud ou les solutions fintech, restent marginales, avec un taux d’adoption inférieur à 5%, principalement en raison de lacunes structurelles. En effet, la qualité des connexions Internet, les coupures d’électricité fréquentes et les coûts élevés d’équipement freinent fortement la transformation digitale dans la région.

e) Compétences et formation

Les PME africaines sont confrontées à de grandes difficultés de recrutement. Près de 37% d’entre elles peinent à embaucher, en raison de l’incertitude économique, du manque de qualifications techniques chez les candidats ou encore de la rareté de la main-d’œuvre qualifiée en zones rurales. En matière de formation, seules 23% des PME africaines offrent des opportunités de développement professionnel à leurs employés, contre 48% en Europe francophone. La mise à disposition de formation reste donc insuffisante et inégalement répartie, avec un déficit criant en zones éloignées des centres urbains.

f) Commerce international

Enfin, le poids des PME africaines francophones exportatrices demeure très limité, avec des taux oscillants entre 5% et 24% selon les régions, loin derrière les PME européennes et canadiennes, dont plus de 95% sont engagées sur les marchés mondiaux. Les obstacles majeurs à l’exportation incluent le manque de financement, l’insuffisance des capacités de production (en volume et en qualité), ainsi qu’un déficit de soutien institutionnel, notamment en matière d’accompagnement à l’export et de politiques incitatives.

 

RECOMMANDATIONS STRATEGIQUES

Le développement économique durable en Afrique francophone passe par un meilleur accès au financement. Cela implique la création de fonds de garantie, le développement de mécanismes de financement en fonds propres et l’optimisation des procédures de crédit.

Parallèlement, l’évolution du capital humain et le renforcement des compétences en innovation demeurent des priorités considérables. Cela nécessite la mise en place de programmes publics de financement de la formation, des incitations fiscales pour les entreprises qui investissent dans les compétences de leurs salariés, ainsi que des partenariats avec des centres de formation et de recherche spécialisés.

La transformation numérique de l’économie doit être soutenue de manière cohérente, à travers l’octroi de subventions technologiques, la création d’incubateurs pour startups, et l’instauration de mesures fiscales incitatives pour les entreprises innovantes. Ces leviers contribueront à concevoir un environnement favorable à l’adoption de nouvelles technologies et de solutions numériques.

De surcroît, le développement des infrastructures de production et de logistique reste un axe stratégique. Il est indispensable d’allouer des financements à la réalisation de nouvelles zones industrielles, à l’accroissement des capacités de fabrication et aussi à la modernisation des chaînes logistiques. Ces investissements permettront de stimuler la production nationale et d’augmenter la compétitivité sur les marchés internationaux.

Dans les pays d’Europe francophone et au Canada, une attention particulière doit être apportée à la formation continue, les partenariats avec les institutions éducatives et le soutien aux entreprises formatrices. La coopération avec les PME africaines doit être encouragée par des projets communs d’innovation, des plateformes de collaboration et des motivations fiscales.

Un accent particulier a été mis sur l’échange d’expériences entre les entreprises de l’espace francophone. Le dialogue et la coopération sont considérés comme des outils essentiels pour créer un environnement propice à une prospérité durable.

Au-delà des recommandations, des actions concrètes visant à renforcer l’écosystème des PME ont également été mises en exergue. Monsieur Sylvestre Didier MAVOUENZELA, Président de la Chambre consulaire de Pointe-Noire (République du Congo), a souligné l’importance de la simplification des démarches de création d’entreprise et de l’accompagnement des jeunes entrepreneurs. Dans cette perspective, il a fait part de son expérience en présentant la plateforme « LIZIBA », qui offre aux entrepreneurs un accès centralisé à l’ensemble des informations juridiques et économiques essentielles, tout en les guidant lors du développement de leurs activités.

 

Par Nikita TRETIAKOV

Chargé de mission

 

POUR ALLER PLUS LOIN :

Relire – Mémorandum pour une Coopération France-Portugal en Afrique

Revoir – Investissements et numérique en Afrique – Sylvain Makaya

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