Le 17 septembre dernier, Ursula von der Leyen a annoncé la composition du nouveau collège qui va occuper la fonction d’initiative en Europe pour les cinq prochaines années. A ce stade, ce n’est encore qu’une proposition soumise à l’approbation du Parlement européen. Celui-ci peut refuser telle ou telle nomination comme il l’a fait par le passé. Mais cette année, le passage au gril des candidats pressentis sera réduit à quelques semaines car il y a urgence. Urgence de boucler la procédure, si possible, avant les élections américaines du 5 novembre et urgence, surtout, de se mettre au travail.
Car l’Europe a beaucoup de pain sur la planche. Entre la transition climatique, la transition numérique, la remise à niveau de son appareil de défense, le parachèvement du marché intérieur (qui devrait être étendu à l’énergie, aux télécoms, à la finance et à la défense) et, plus généralement, la mise en œuvre du rapport Draghi. Car en fait, le corpus des 170 propositions que l’ancien président de la BCE a mis sur la table se présente comme un véritable programme qui englobe tous les autres et qui a vocation à servir de feuille de route pour les cinq ans du mandat de la nouvelle Commission. Or, sur tous ces sujets, les négociations entre les Etats membres de l’UE devront s’ouvrir, ou se prolonger, sur la base de propositions de compromis établies, bien sûr, par la Commission. Il importe donc que celle-ci soit particulièrement performante.
A cet égard, on a relevé comme un signe positif qu’Ursula von der Leyen avait réparti les portefeuilles de manière à confier les plus grands emplois industriels et économiques aux candidats commissaires présentés par les Etats les plus interventionnistes, ceux qui ont appelé à davantage de dépenses communes, à un assouplissement des règles de déficit budgétaire et à un rôle plus important de la politique industrielle. C’est ainsi que les candidats de Paris, Madrid et Rome superviseront les domaines critiques de la réglementation antitrust, de la politique des aides d’État, du Fonds de Cohésion et de la stratégie industrielle pour le marché unique de l’Union. On peut y voir le signe que Bruxelles a pris conscience qu’en matière de concurrence, la priorité traditionnellement donnée au consommateur sur le producteur n’est plus de saison et qu’elle va désormais se montrer plus ouverte que par le passé à la constitution de champions européens capables de se mesurer à leurs concurrents américains ou chinois.
Autre caractéristique de la nouvelle Commission européenne, Ursula von der Leyen a souhaité mettre fin à la traditionnelle distribution des tâches « en silo », où les commissaires recevaient chacun des attributions bien définies de façon à éviter autant que possible les querelles de frontières entre eux. Elle a au contraire doté chaque commissaire de responsabilités hétérogènes qui se chevauchent dans beaucoup de cas. Cette répartition inhabituelle, qui manque a priori de logique et de clarté, entend répondre au souci d’éviter que chacun puisse isolément prendre des initiatives contradictoires et vise à obliger au contraire les titulaires de charges voisines à travailler ensemble et à se coordonner. Le cas de l’environnement est typique. Theresa Ribera, socialiste espagnole sera chargée, entre beaucoup d’autres attributions, de veiller à la mise en œuvre du Pacte Vert, tandis que Wopke Hoekstra, frugal néerlandais, sera le commissaire au climat, à la neutralité carbone et à la croissance propre mais aussi le responsable de la fiscalité. Ce sera, espère-t-on, une façon de mieux prendre en compte la totalité des points de vue, tant celui des militants de la cause climatique que ceux des agriculteurs ou des industriels qui se plaignent des contraintes supplémentaires que Bruxelles leur impose.
Certains commentateurs observent aussi que l’enchevêtrement de responsabilités ainsi créé sera suffisamment complexe pour assurer à la présidente une situation d’arbitre au-dessus de la mêlée, en position de dominer de haut l’ensemble du collège et de renforcer son emprise sur la bureaucratie bruxelloise. Au surplus, le remplacement in extremis, diversement apprécié en France, de Thierry Breton par Stéphane Séjourné, lui a permis d’éliminer la seule opposition sérieuse qui s’était manifestée contre elle. C’est donc en position très renforcée qu’elle aborde son deuxième mandat. Etant en outre un véritable bourreau de travail, très présente dans les media, elle a déjà montré de quelle réactivité et de quelle efficacité elle était capable. Au bout du compte, elle pourrait même finir par prendre une stature de roc dominant, un point de ralliement, dans un paysage européen par ailleurs passablement désolé.
Le fait est que l’Union aborde ce quinquennat aux enjeux quasi existentiels avec un handicap de taille : la panne du moteur franco-allemand. Aux difficultés de communication entre les deux têtes des exécutifs, non aplanies depuis bientôt trois ans, s’ajoute désormais la fragilité nouvelle des deux coalitions au pouvoir. Sauf sursaut à Paris et à Berlin, toujours possible mais peu probable, pour répondre aux défis redoutables auxquels l’Europe va devoir faire face, le manque de cette impulsion décisive que fournissait le fameux tandem va se faire cruellement sentir. En contrepartie, la marge de manœuvre de la présidente de la Commission va s’en trouver encore élargie… Affaire à suivre.
Pour aller plus loin :
RELIRE – A propos du rapport Draghi
REVOIR – Entretien avec Michel BARNIER – « Les entretiens de FPI »
RELIRE – La polycrise ? De quoi s’agit-il ?