Cinq mois après le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, deux sommets de chefs d’État et de gouvernement, celui du G7 au Canada et celui de l’OTAN à La Haye, avaient pour objet, au fond, de tester l’état des relations entre les États-Unis et leurs alliés. Force est de constater qu’ils n’ont pas dissipé l’incertitude dans laquelle se sont installées les relations transatlantiques.
Rompant avec l’usage, le G7 de Kananaskis s’est gardé d’adopter une déclaration commune et s’est contenté de six communiqués thématiques sur des sujets techniques. Quant au sommet de l’Alliance atlantique, la déclaration finale habituelle s’est réduite à une incantation essentielle : la communion de tous dans le respect de l’article 5 du Traité (donc l’engagement des États-Unis à maintenir sa protection sur l’Europe) contre la promesse des Européens de porter leurs dépenses de défense de 2% à 5% de leur PIB. Pour obtenir ces résultats, les deux organisateurs de ces deux rencontres, le Canadien Mark Carney et le Néerlandais Mark Rutte, ont mobilisé leur grand savoir-faire, tout en retenue pour l’un, tout en flagornerie pour l’autre. Si le premier n’a pu éviter le départ précipité de Donald Trump vers les rivages beaucoup plus valorisants du conflit israélo-iranien, le second a brillamment réussi à retenir son héros jusqu’à la fin de la réunion. Il est vrai que les enjeux des deux sommets n’avaient guère à voir l’un avec l’autre. Si la pertinence du G7 est de moins en moins évidente, celle de l’OTAN, à l’heure du péril russe, est redevenue essentielle. La grande affaire de La Haye était de s’assurer de la solidité du lien transatlantique et, sur le papier, la réussite est complète.
Le soulagement de façade est d’autant plus palpable que, la veille du sommet encore, les Européens avaient largement de quoi s’inquiéter. Le seul fait de faire dépendre la garantie de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord de l’engagement des Européens de consacrer 5% de leur PIB à leur défense marquait déjà une régression par rapport à la conception qui avait prévalu à Washington pendant 75 ans. Il signifiait que Donald Trump considérait la protection accordée à l’Europe non plus comme correspondant à l’intérêt bien compris de l’Amérique, mais seulement comme relevant d’un service rendu. À cela s’ajoute tout le reste : la guerre des tarifs, la sympathie marquée pour Vladimir Poutine, les revendications territoriales sur le Canada et le Groenland, le mépris affiché envers l’Union européenne et ses États membres, encore rappelé ces dernières semaines par leur mise à l’écart des négociations sur le nucléaire iranien. En réalité, Donald Trump terrorise la grande majorité des Européens. Le message appuyé de servilité que Mark Rutte a jugé bon de lui adresser, juste avant le décollage de l’avion présidentiel pour La Haye, donnait la mesure de leur panique… et de son habileté, car, au moins pour les besoins de la réunion, la bassesse a payé.
Reste que, derrière les apparences et les hypocrisies, le lien transatlantique ne sort pas vraiment raffermi de La Haye. L’engagement américain envers l’Europe reste incertain, et maintenant que les lampions sont éteints, les Européens, en vérité, doivent faire face à deux évolutions prévisibles, l’une à échéance de cinq à dix ans, et l’autre qui pourrait surgir beaucoup plus tôt.
La première concerne l’éloignement américain des affaires de l’Europe. C’est une échéance sans doute inévitable, qui découle notamment de la priorité que les États-Unis donnent désormais à la compétition avec la Chine. Encore faut-il préciser les contours du phénomène. Un retrait américain qui se traduirait par le rapatriement des 80 000 militaires stationnés sur le sol du continent (soit environ la moitié des effectifs totaux des armées allemande ou britannique) ne saurait être immédiat, ne serait-ce que parce que reloger ces personnels suppose la construction de casernes dont le coût, aux États-Unis, représente des milliards de dollars, c’est-à-dire exige une autorisation du Congrès avec de longs débats en perspective. D’autre part, le lobby militaro-industriel américain entend bien garder un pied de ce côté-ci de l’Atlantique au moment où s’apprêtent à exploser les budgets de défense européens et les marchés qui vont avec. Washington a tout intérêt à y être bien présent.
En revanche, il n’est pas impossible de combiner les deux évolutions, celle d’un effacement progressif des États-Unis et celle d’une montée en puissance des Européens qui dure le temps nécessaire pour leur permettre de combler leurs lacunes et de mettre fin à leur dépendance. La liste est longue des équipements à acquérir à cette fin : défense aérienne et antimissile, avions spécialisés en transport de troupes et transport de matériels, avions radars, ravitailleurs en vol, etc. Et tout cela sans parler des effectifs supplémentaires à recruter et des infrastructures à moderniser, surtout dans la partie orientale du continent. Au total, c’est une affaire qui devrait prendre entre cinq et dix ans, délai pendant lequel le recours à l’assistance américaine restera indispensable.
L’autre problème pourrait être plus brûlant. C’est celui qui résulterait de l’interruption de l’aide militaire américaine à l’Ukraine. Pour le moment, celle-ci résulte de décisions prises en son temps par l’administration Biden. Mais d’ici à la fin de l’été, elle sera épuisée. Volodymyr Zelensky, à La Haye, a fini par rencontrer Donald Trump, qu’il avait manqué à Kananaskis. Celui-ci a trouvé la conversation, de près d’une heure, « très agréable » et son interlocuteur « très gentil ». Mais, s’agissant de répondre aux besoins pressants dont l’Ukrainien faisait état, notamment en matière de système de défense Patriot et de missiles intercepteurs, l’Américain a répondu qu’il étudierait la question, « même si les États-Unis et Israël en avaient également besoin ». Il faut donc s’attendre à ce que l’Ukraine soit rationnée au moment où la Russie accentue sa pression. Tout cela se situe dans un contexte qui n’arrange rien, celui d’une complaisance de Donald Trump à l’égard de Vladimir Poutine, qui paraît inépuisable malgré quelques signes de frustration, de temps à autre, vite oubliés. Or, pour les Européens, la solidité de l’Ukraine est essentielle. Tant que le pays tient, il n’y a guère de risque que Moscou tente une provocation contre le territoire de l’Alliance.
Au total, le sommet de l’OTAN pourrait être regardé comme un bal des hypocrites. En l’état actuel des finances publiques en Europe, la majorité des pays, à l’exception notable de l’Allemagne, n’atteindront pas l’objectif de 5% sur lequel ils viennent de s’engager. Il en va sans doute de même de la promesse américaine « d’être avec eux [les Européens] jusqu’au bout », reflet incertain de l’engagement américain envers l’Europe, tant il est vrai que cette formule, ô combien vague, reste bien en retrait d’une référence formelle au fameux article 5 du traité de Washington. C’est un jeu d’illusion dont personne n’est dupe, mais que chacun cultive, car il en restera certainement quelque chose : une certaine augmentation des dépenses de défense des Européens, qui correspond d’ailleurs à leurs intérêts, et une possibilité qu’en effet, le cas échéant, les Américains soutiennent les Européens…
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