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#Etats-Unis, Europe, Monde, Multilatéralisme

Une semaine cruciale dans les relations euro-américaines

7 mars 2025

Par Philippe COSTE, ancien Ambassadeur

Relations euro-américaines, guerre Ukraine
  • Les lignes bougent à l’Est : le retour de Donald Trump à la Maison Blanche inquiète sur l’avenir du soutien américain à l’Ukraine.
  • Conscients de la menace pour leur sécurité, les Européens opposent un front uni face aux Etats-Unis.
  • Reste à convaincre le Royaume-Uni de rester solidaire du Vieux Continent malgré les tergiversations de son Premier ministre.

 

 

Soyons clairs. Pour Vladimir Poutine, l’Ukraine est la clé de l’Europe et, au-delà, le moyen de remettre en cause l’ordre mondial établi après 1945. Soumettre l’Ukraine, c’est ouvrir la porte à la soumission de l’Europe, une ambition que le Kremlin ne cache pas. Une fois l’Ukraine subjuguée, rien ne l’empêchera de transformer l’essai, c’est-à-dire de neutraliser l’Europe centrale et de torpiller l’Union européenne. Le tout avec l’aide, au moins objective, des Etats-Unis qui ne font pas mystère, eux aussi, de leur aversion à l’égard de l’Union.

 

Les Européens l’ont bien compris, le plus explicite en la matière ayant été, ces jours derniers, Friedrich Merz, le futur chancelier allemand. Ils sont aujourd’hui conscients que leur Union a un besoin urgent de se renforcer selon les lignes du rapport Draghi et que leurs pays doivent accroître drastiquement leur effort de défense.

 

Depuis peu, les Européens se mobilisent donc avec fébrilité, dans des formats variables mais qui incluent toujours au moins les Britanniques. Les ministres des finances s’efforcent de mettre au point la formule miracle qui, en ces temps d’argent rare, permettra tout de même de financer les dépenses considérables qui s’imposent. Quant aux chefs d’État et de gouvernements, ils en sont à conférer ensemble plusieurs fois par semaine. Dans le contexte du dialogue renoué entre les Etats-Unis et la Russie et de la perspective d’une possible paix en Ukraine, le point central de leurs débats porte sur la meilleure manière d’aider ce malheureux pays et de se rendre indispensables dans la négociation qui s’annonce.

 

Jusqu’à présent, quoiqu’on en dise, les dirigeants européens ont fait preuve d’une belle unité face aux Etats-Unis. Après l’embuscade du bureau ovale, le 28 février, une bonne vingtaine d’entre eux – et les plus importants – ont marqué explicitement leur soutien à Volodymyr Zelensky et se sont nettement démarqués des propos indignes que lui ont tenu Donald Trump et J. D. Vance, Vice-Président des Etats-Unis. Déjà, quatre jours auparavant, à un moment où la diplomatie américaine s’employait à préparer la réintégration de la Russie dans l’économie mondiale, l’Union, impavide, adoptait contre celle-ci un seizième train de sanctions. Sur la suggestion de Washington de rouvrir le G7 à la Russie, un porte-parole de Keir Starmer avait répondu qu’elle « ne peut jouer aucun rôle dans la gouvernance mondiale tant que ses forces restent illégalement en Ukraine ». Aux Nations Unies, face aux Etats-Unis qui renversaient ses positions en faveur de la Russie, les Européens maintenaient leur ligne traditionnelle, votant à l’Assemblée générale en faveur d’une résolution condamnant l’agression russe et refusant d’approuver au Conseil de Sécurité une autre résolution qui omettait délibérément de mentionner cette même agression russe.

 

En parallèle, les concertations allaient bon train sur la manière de garantir l’efficacité d’un accord de paix en Ukraine. Dans cette hypothèse, il s’agit de s’assurer que la Russie le respectera et ne cherchera pas à le saboter comme on l’a vu avec les accords de Minsk. Un consensus s’esquisse, notamment entre Français et Britanniques, sur l’idée de positionner des forces en Ukraine qui rempliraient ce rôle, étant entendu que, pour le faire efficacement, un minimum de soutien américain est nécessaire, notamment en matière de logistique et de renseignement.

 

C’est sur ce point précis que Donald Trump a refusé de s’engager. A Emmanuel Macron et à Keir Starmer qui lui posaient la question, il a prétendu qu’en fait, leurs troupes n’auraient guère besoin de beaucoup de soutien dès lors qu’on pouvait avoir confiance que la Russie respecterait l’accord donné. A Volodymyr Zelensky, revenu sur le sujet en liaison avec le projet d’accord sur l’exploitation des minerais rares en Ukraine, il a signifié sans ménagement qu’il ne se souciait pas de sécurité mais seulement de conclure un accord de paix. Ce refus d’entrer dans le sujet a sans doute à voir aussi avec l’opposition déterminée du Kremlin à la présence en Ukraine de toute force européenne, que la Maison Blanche ne peut pas ignorer.

 

Faisons un cauchemar. Si la position américaine ne change pas, on s’achemine vers une situation où Donald Trump et Vladimir Poutine s’entendront sur toutes sortes de choses à commencer par un accord de paix sans garantie européenne faute de filet de sécurité américain. L’Ukraine refusera de l’appliquer et, ce faisant, endossera aux yeux de Washington le rôle du vilain, de celui qui se met en travers du grand dessein du 47e président. Une situation de ce genre ne manquera pas d’exciter la fureur du maître de la Maison Blanche. L’éventualité qu’elle se réalise a déjà motivé la suspension de l’aide militaire américaine. Si l’obstination de Volodymyr Zelensky se confirme, elle justifiera de lui couper l’accès aux satellites qui permettent à l’armée ukrainienne de connaître en temps réel et en détail l’état du champ de bataille. Tout cela porte en germe l’éclatement pur et simple de l’Alliance Atlantique.

 

Les Européens veulent à tout prix éviter un tel scénario. Ils ne sont pas en état, moralement et matériellement d’en gérer du jour au lendemain les conséquences. Au plan matériel, il leur faudrait au moins cinq ans d’effort de défense à marche forcée pour combler les lacunes qui les rendent dépendants du soutien américain. Au plan moral, c’est tout aussi problématique de se décoloniser l’esprit. Non pas certes pour les Français habitués depuis le général de Gaulle à penser leur défense par eux-mêmes. Non plus peut-être, depuis peu, pour les Allemands, du moins ceux qui sont prêts à suivre Friedrich Merz. La réaction de Kaja Kallas, ministre des Affaires Etrangères de l’Union européenne, de surcroît estonienne, est également intéressante : « Aujourd’hui [vient-elle de déclarer], il est devenu clair que le monde libre a besoin d’un nouveau leader. C’est à nous, Européens, de relever ce défi ».

 

Dans cette affaire, c’est sans doute du côté du Royaume-Uni qu’il faut chercher le maillon faible. Au lendemain de la visite d’Emmanuel Macron, Donald Trump a annoncé qu’il allait bientôt imposer des droits de douanes de 25% aux produits importés de l’Union européenne. Le premier ministre britannique, qui rappelle volontiers, quand il le juge utile, que son pays n’est plus membre de l’Union et qui vient de proposer à Donald Trump de relancer la négociation d’un accord commercial bilatéral, va vraisemblablement réussir à faire échapper son pays à ce traitement. Si tel est bien le cas, Keir Starmer se sentira encouragé à renforcer la fameuse « relation spéciale » et sera moins enthousiaste à propos d’une défense européenne indépendante des Etats-Unis. Ces temps-ci, il a continué d’insister lourdement sur le fait que la Grande Bretagne n’a pas à choisir entre l’Europe et les Etats-Unis, un « faux choix », précise-t-il. Le fond de l’affaire, c’est la très étroite coopération entre les deux pays qui remonte à la Charte de l’Atlantique d’août 1941 et qui continue de développer ses effets, notamment dans les deux domaines hyper sensibles que sont le système de dissuasion nucléaire d’une part et le renseignement via le réseau Five Eyes d’autre part.

 

Ne désespérons pas. Le renversement des alliances en cours constitue un tel bouleversement qu’il n’est pas surprenant qu’il soit si difficile à passer. Les Européens disposent aussi d’atouts de première importance, tant vis-à-vis de la Russie que vis-à-vis des Etats-Unis. Il n’est pas du tout impossible qu’après le moment de sidération actuel, ils sachent en jouer au mieux de leurs intérêts.

 

 

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