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BILLET D’ACTUALITÉ – Conseil Européen (9 février 2023)

17 février 2023

par Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

 

De la réunion du Conseil Européen du 9 février, on a surtout retenu la réception que les Vingt-Sept ont réservé au président ukrainien. Cette rencontre au sommet couronnait une tournée marathon de Volodymyr Zelensky, commencée à Londres avec discours devant le Parlement britannique, audience du roi Charles et entretien avec le premier ministre, et poursuivie à Paris par un dîner où le Président Macron avait tenu à associer le chancelier Sholz. Elle s’est donc achevée à Bruxelles par une allocution devant le Parlement européen et cet échange de vues avec ses homologues de l’Union européenne. Sans surprise, l’hôte du jour a vivement remercié les Européens pour leur aide et a lancé un pressant appel à ce qu’elle se poursuive et notamment se traduise par la fourniture d’armes modernes. Il a aussi défendu la nécessité de mettre en place de nouvelles sanctions contre la Russie ainsi qu’un tribunal destiné à juger le crime d’agression russe.

Sur la question de l’adhésion de son pays à l’Union, le Conseil européen a réaffirmé que « l’avenir de l’Ukraine se trouve au sein de l’Union européenne », en se gardant, vu les circonstances, de donner davantage de précisions, notamment quant au calendrier en cause. Il s’est borné à saluer les « efforts considérables » entrepris par le candidat à cette fin et l’a encouragé à les poursuivre. Pour le reste, il s’est déclaré bien décidé à « fournir un soutien politique, économique, militaire, financier et humanitaire fort à l’Ukraine et à sa population aussi longtemps qu’il le faudra » et à soutenir le rétablissement et la reconstruction du pays.

 

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L’autre grande affaire de ce Sommet avait trait à la réaction européenne à la très mal nommée « loi sur la réduction de l’inflation » (Inflation Reduction Act, IRA) adoptée en août dernier aux États-Unis. Cette législation a pour principal objectif affiché d’organiser la lutte contre le dérèglement climatique sur une grande échelle puisqu’elle ne mobilise pas moins de 369 Mds $ en subventions et crédits d’impôt à l’intention des entreprises. A priori, l’intention peut paraître louable de la part d’un pays qui a longtemps refusé de reconnaître l’ampleur et l’urgence du problème. Mais en réalité, sous couvert de protéger la planète, l’IRA, en l’état actuel des choses, va surtout avoir pour effet de relocaliser des activités industrielles d’avenir sur le territoire américain et d’y créer un large éventail d’emplois de valeur à l’intention des cols bleus dont le vote pourrait être décisif aux présidentielles de 2024.

Le plan prévoit en effet des crédits d’impôts pour les investissements et la production dans tout une série de secteurs : l’éolien, le solaire, la séquestration du carbone, l’hydrogène vert, le véhicule électrique, les biocarburants, les batteries, etc. Les subventions ne seront versées que pour des produits fabriqués sur le sol des États-Unis. Les entreprises américaines vont naturellement s’en trouver favorisées par rapport à leurs concurrentes européennes. Mais, plus encore, il faut s’attendre à des délocalisations massives d’entreprises européennes ou d’entreprises américaines ayant investi en Europe et qui préféreront poursuivre leurs activités de l’autre côté de l’Atlantique pour pouvoir bénéficier de ces aides.

Plus largement, au-delà du problème posé par l’IRA, c’est toute la question de la compétitivité de l’industrie européenne que ce tournant législatif met en relief. Car celle-ci, déjà mise à mal par le poids traditionnellement élevé des charges sociales et par l’envol du coût de l’énergie consécutif à la guerre en Ukraine, se trouve maintenant défié par les subventions massives que les États-Unis viennent de décider, lesquelles s’ajoutent aux subventions cachées que la Chine alloue de longue date à ses entreprises.

Pour faire pièce à cette concurrence débridée, Emmanuel Macron plaide pour que l’Europe se dote de son propre IRA, un « Buy European Act », de façon à rester dans la compétition mondiale. Paris et Berlin sont en tout cas d’accord pour explorer plusieurs manières d’améliorer leur compétitivité face aux États-Unis et à la Chine, par exemple accélérer la délivrance des agréments pour les projets d’intérêt européens qui sont subventionnables, sans préjudice d’étendre la formule à d’autres domaines comme l’hydrogène, les batteries, la santé, ou l’intelligence artificielle.

Mais d’autres États membres objectent et font valoir qu’en l’absence de système d’aides organisé au niveau communautaire, autoriser une ouverture plus large des vannes au niveau national aurait pour effet d’avantager les États qui disposent des plus grands moyens financiers et donc d’introduire des distorsions de concurrence au sein même de l’Union. La France et l’Allemagne sont évidemment visées. Pour faire face aux crises consécutives à la pandémie de Covid-19 et à la guerre en Ukraine, la Commission a déjà accepté d’assouplir notablement les critères qu’elle utilise pour donner son aval aux aides distribuées par les États. Or, sur les 672 Mds € autorisés à ce jour, plus des trois quarts ont bénéficié à des entreprises allemandes (53 %) et françaises (24%).

Le 9 février, les dirigeants de l’UE ont néanmoins pu convenir de deux améliorations. Ils ont d’abord constaté que, comparées aux aides particulièrement faciles d’accès mises en place récemment aux États-Unis, les formalités administratives applicables à la matière en Europe étaient beaucoup trop lourdes et ne permettaient guère d’acheminer avec la célérité voulue les financements nécessaires aux entreprises cibles. Les Vingt-Sept ont donc décidé de réformer les procédures d’aides d’État de façon à les rendre « plus simples, plus rapides et plus prévisibles », y compris par le biais de crédits d’impôt. D’autre part, pour moins faire dépendre la distribution des aides des capacités variables des différents États, ils se sont mis d’accord pour mobiliser une partie des 800 Mds du fonds dit « Next Generation EU » et les flécher en direction des technologies vertes et des investissements respectueux du climat dont les règles de déboursement seraient « simplifiées et accélérées ».

 

Tout cela n’est pas négligeable mais ne répond pas à tous les défis auxquels l’Union doit faire face en matière de compétitivité. Il faudra accompagner ces réformes de mesures complémentaires. Le dispositif de concertation bilatérale entre l’Union et les Etats-Unis pourrait permettre d’obtenir que l’administration américaine gère ses aides nationales de manière moins discriminatoire. Si cela ne suffit pas, il est toujours possible de recourir à l’organe de règlement des différends de l’Organisation Mondiale du Commerce.

 

 

Philippe COSTE

Ancien Ambassadeur

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