Billet de Philippe COSTE, ancien Ambassadeur
CONSEIL EUROPEEN du 25 mars 2021
La visioconférence au Sommet, initialement prévue pour occuper les deux journées du 25 et du 26 mars, s’est finalement limitée à une seule après-midi prolongée dans la soirée et s’est concentrée principalement sur deux points, la situation sanitaire au sein de l’Union et l’actualité internationale avec l’invitation surprise – et virtuelle – du Président des Etats-Unis, Joe Biden.
Encore la pandémie
La pandémie continue de frapper durement l’Europe. L’exemple du Premier ministre estonien Kaja Kallas qui assistait à la réunion en quarantaine après avoir contracté le virus la semaine dernière, en était la dernière illustration. Soumis à une troisième vague d’offensive du virus, de nombreux Etats membres ont dû recourir, ces dernières semaines, à des mesures de confinement renforcées en attendant que le vaccin commence à faire effet. Or sur ce front, la situation n’est pas brillante. Alors qu’au 23 mars 2021 la population du Royaume-Uni a été vaccinée à 45,9 % et celle des Etats-Unis à 38,7 %, le chiffre correspondant pour l’Europe continentale se traînait à 13,6 %.
On a pointé du doigt la prudence excessive des autorités européennes chargées de la gestion du vaccin. Il est vrai qu’à la différence d’un gouvernement libre de ses mouvements, la Commission agit sous le regard constant -et sourcilleux- des Etats membres ; peu soucieuse de prendre des risques, elle multiplie les précautions ; au bout du compte, elle prend du retard… En contrepartie, cette responsabilité dont elle est chargée a le grand avantage d’éviter le retour à la foire d’empoigne de cuisante mémoire qui a sévi il y a un an : le Conseil européen l’a rappelé.
A cela s’est ajouté la pénurie de doses. AstraZeneca, principal fournisseur en Europe, indique qu’il ne sera en mesure de fournir aux pays de l’Union dans les prochains mois qu’environ un tiers, voire un quart, des quantités initialement prévues. Or, dans le même temps, les usines de fabrication du vaccin situées sur le continent ont exporté près de la moitié de leur production vers plus de 40 pays, faisant de celui-ci le premier exportateur de vaccins au monde. Plus du quart de ces exportations sont allées au Royaume-Uni, lequel réservait quant à lui toute sa production à sa seule consommation nationale.
Pour mettre fin à cette anomalie, Bruxelles avait préparé à la veille du Sommet un plan tendant à restreindre, voire à bloquer, les exportations de vaccins produits sur le territoire de l’Union par les entreprises qui n’ont pas respecté leurs engagements d’approvisionnement envers l’UE. C’était clairement placer Londres sur la sellette. La Commission n’a finalement pas eu besoin de pousser plus loin et de soumettre son plan au Conseil européen, le Royaume-Uni, ayant jugé plus prudent d’entrer dans des pourparlers constructifs avec la Commission.
Les retrouvailles avec les Etats-Unis
L’autre grand événement du Sommet était donc la participation au dîner virtuel des Vingt Sept du Président des Etats-Unis soi-même. Venant dans le sillage des sanctions sur le Xingkiang coordonnées entre alliés, cette participation très inhabituelle se voulait le symbole fort du retour des Etats-Unis à l’esprit de la concertation transatlantique et de la connivence retrouvée entre Washington et Bruxelles. Au lendemain d’une rencontre, la veille, entre les deux responsables des Affaires Etrangères américain et européen, elle se voulait aussi, bien sûr, la confirmation que les Chefs d’État et de gouvernement entendaient relancer la coopération transatlantique, aussi bien sur les sujets bilatéraux que sur les grands dossiers internationaux. Antony Blinken et Josep Borell avaient exhaustivement évoqués ces derniers, notamment les relations avec la Chine, le changement climatique, la situation sanitaire, l’Iran, la Russie, la Turquie ainsi que la situation en l’Ethiopie et en Afghanistan et les perspectives de coopération entre l’OTAN et l’UE.
Les débats du Conseil européen se sont toutefois limités à des points plus spécifiques : d’une part un appel à une coopération renforcée dans le domaine sanitaire et dans celui de l’économie digitale et de la protection des données ; d’autre part, une attention particulière portée sur le recul démocratique en Turquie et les liens croissants de ce pays avec la Russie. Sur cette dernière question, les Vingt Sept se sont néanmoins voulus apaisant, saluant la relative désescalade des tensions en Méditerranée orientale et rappelant le rôle utile qu’Ankara continue de jouer pour contenir les flux migratoires vers les pays de l’Union.
Au total donc, une réunion sans exceptionnel relief sinon que l’ambiance entre Washington et Bruxelles a décidément bien changé : c’est sans doute un tournant important pour la suite.