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BILLET D’ACTUALITE : La journée des trois sommets (24 mars 2022)

28 mars 2022

Par Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

La journée des trois sommets – 24 mars 2022

Que retenir des trois Sommets – OTAN, G7 et Union européenne – qui se sont succédé quasiment à la chaîne toute la journée du 24 mars ?
D’abord et avant tout, une grande parade transatlantique : la guerre d’Ukraine a ressuscité « l’Occident ». La participation personnelle, « en présentiel », de Joe BIDEN à chacune de ces trois réunions, entendait symboliser la solidarité inaltérée qui unit l’Amérique et l’Europe et bien marquer que le « pivot » vers l’Asie et la priorité chinoise ne sauraient impliquer un quelconque abandon du Vieux Continent. Significativement, le communiqué final du sommet de l’OTAN ne manque pas de rappeler « l’attachement sans faille » des alliés à l’article 5 du Traité de Washington, la clause qui stipule qu’une attaque contre l’un d’entre eux sera considérée comme une attaque contre tous, en clair, qu’agresser l’Estonie ou la Bulgarie revient à s’en prendre aux États-Unis.

Dans les circonstances actuelles, cette solidarité des Occidentaux s’est aussi manifestée par un langage commun sur le fond : la condamnation, « dans les termes les plus forts possibles », de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la condamnation des attaques contre les civils ; la mise en garde contre toute utilisation d’arme chimique ou biologique ; l’appel à Vladimir Poutine à cesser immédiatement cette guerre et à « s’engager de manière constructive dans des négociations crédibles ». Les partenaires n’ont pas manqué non plus de mentionner qu’ils avaient tous, de manière coordonnée, décidé d’imposer à la Russie des sanctions massives visant à contrer efficacement les capacités de ce pays à poursuivre son agression. Et d’appeler tous les États, y compris la Chine (nommément mentionnée dans le communiqué de l’OTAN), à s’abstenir de soutenir l’effort de guerre de la Russie.

Plus concrètement, les alliés ont rappelé leur engagement à accroître considérablement leurs efforts de défense, allusion transparente à la spectaculaire décision récemment prise par l’Allemagne dans ce domaine et suivie par plusieurs autres États européens. Ayant déjà sensiblement renforcé le dispositif de l’OTAN face à la Russie, ils ont décidé d’établir quatre nouveaux groupements tactiques multinationaux en Bulgarie, en Hongrie, en Slovaquie et en Roumanie. Dans la perspective du prochain sommet de l’OTAN à Madrid vers le début de l’été, ils ont également décidé de renforcer « la posture de dissuasion » de l’Alliance, en clair, de mettre les forces nucléaires de l’Alliance en état de répondre de manière crédible à la menace la plus grave qui pèse sur la sécurité euro-atlantique depuis des décennies.

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A cette démonstration de mobilisation unanime qu’ils se sont attachés à bien mettre en relief, les Occidentaux ont d’autre part voulu marquer leur totale solidarité avec l’Ukraine, son héroïque Président et ses courageux citoyens.

Solidarité politique d’abord. Les différentes déclarations adoptées par les Sommets témoignent d’une large identité de vues sur tous les aspects du drame en cours. Aussi bien, faisant pendant à Joe BIDEN, physiquement présent à Bruxelles, Volodymyr ZELENSKY est intervenu en visioconférence lors de chacune des trois réunions, signe que, décidément, l’Ukraine fait bien partie de l’Europe et de l’Occident. Les alliés de l’OTAN ont certes entendu marquer que leur sympathie active pour l’Ukraine devait tenir compte de ce que ce pays n’est pas membre de l’Alliance atlantique : pas de no-fly-zone ni de livraison d’avions ou d’armements offensifs donc. Ils n’en ont pas moins réaffirmé l’attachement des alliés à la politique de la porte ouverte de l’OTAN. Pour sa part, si le Conseil européen s’est prudemment borné à « prendre acte des aspirations européennes » de l’Ukraine et de « son choix de se tourner vers l’Europe », il a en tout cas invité la Commission à présenter son avis, première étape vers ce qui pourrait être une adhésion à l’Union.

Sous la réserve des armements offensifs susmentionnée, la solidarité militaire se veut aussi complète que possible en matière d’armements défensifs. Compte tenu du droit fondamental de l’Ukraine à la légitime défense en vertu de la Charte des Nations Unies, les alliés de l’OTAN se sont déclarés déterminés à continuer d’apporter leur soutien à la capacité du pays agressé à exercer ce droit : notamment par la formation de ses forces armées, la fourniture de moyens anti-chars, anti-aériens et de moyens de détection, l’assistance en matière de cybersécurité, la protection contre les menaces de nature chimique, biologique, radiologique et nucléaire.

En matière d’aide humanitaire, l’OTAN a exhorté en termes généraux la Russie à permettre l’accès de l’aide aux villes assiégées et un passage sûr pour les civils. Sur le même sujet, le Conseil européen a surenchéri en dénonçant les attaques dirigées contre la population et les biens civils et en marquant sa préoccupation sur la question des dommages économiques et sur celle des réfugiés. En ce qui concerne le premier point, les dommages économiques, il s’est déclaré résolu à apporter un soutien au gouvernement ukrainien pour répondre à ses besoins immédiats et pour reconstruire, après l’offensive russe, une Ukraine démocratique. Il a salué la « réalisation remarquable » que constitue la synchronisation récente des réseaux électriques ukrainien et moldave avec les réseaux de l’UE. Il a également appelé à la mise en place d’un fonds fiduciaire de solidarité avec l’Ukraine, ouvert à la participation de tous les partenaires internationaux de l’Union qui le souhaiteraient. S’agissant des 3,5 millions d’Ukrainiens réfugiés sur le territoire de l’UE, le Conseil n’a pas manqué de saluer tous les efforts déjà déployés pour les accueillir et a invité la Commission à prendre toutes les initiatives utiles pour soutenir les États les plus concernés. Il a en particulier appelé à mobiliser rapidement les fonds de l’UE pour les réfugiés et leurs hôtes et à élaborer des plans d’urgence pour répondre aux besoins à moyen et long termes.

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Unité des Occidentaux face à la Russie déchaînée et solidarité avec l’Ukraine martyrisée : tels sont donc, pour l’essentiel, les deux messages que les trois réunions au sommet ont voulu adresser au monde. Il n’était sans doute pas inutile de les faire passer auprès des opinions publiques occidentales, notamment celle des États-Unis qui aime à se représenter en leader des « forces du bien ». Pour les Américains moyens en outre, malgré la présence à leur côté d’importantes minorités ukrainienne et polonaise, les enjeux de la crise en cours méritaient bien un sérieux effort de pédagogie, surtout à huit mois d’échéances électorales difficiles. C’est à n’en pas douter ce qui explique la présence de Joe BIDEN à Bruxelles le 24 mars et son escapade en Pologne les 25 et 26. Pour les opinions européennes en revanche, les deux messages avaient surtout valeur de confirmation d’une situation déjà bien intégrée dans les esprits.

S’agissant des opinions des pays tiers, non « occidentaux », évaluer l’effet des deux messages est plus délicat. Les deux résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unis mises au vote successivement le 2 mars puis le 24 mars 2022 ont recueilli une majorité souvent qualifiée d’écrasante contre l’agression russe. En fait, la minorité des abstentions et des votes contre représente, avec la Chine, l’Inde et la Russie notamment, un peu plus de la moitié de la population de la planète.

En vérité, les abstentionnistes attendent de voir. Bien sûr l’invasion de l’Ukraine constitue une violation flagrante du droit international. Mais pour défendre le principe d’un « monde régi par des règles », les Occidentaux eussent été plus convaincants si la plupart d’entre eux, il y a vingt ans, n’avait pas allègrement bafoué ce même droit international en envahissant l’Iraq : comme en Ukraine aujourd’hui, guerre de choix, fondée sur des raisons fallacieuses et naturellement menée sans autorisation des Nations Unies. Ce très regrettable précédent continue de peser lourd sur la crédibilité de « l’Occident » en alimentant un peu plus le commentaire « deux poids-deux mesures ».

Quant à la Chine, toute entière concentrée sur son objectif prioritaire de déclasser les États-Unis, elle se garde de gêner son partenaire russe tant que celui-ci conserve une chance de venir à bout de la petite Ukraine et s’applique en attendant à rejeter sur Washington la faute du désordre mondial.

Au bout du compte, plus que les proclamations ou les décisions des sommets, c’est l’extraordinaire résolution de Volodymyr ZELENSKY et de ses compatriotes qui tient l’équilibre instable où le monde est suspendu : pour combien de temps et pour quelle issue ? Retenons notre souffle…

Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

 

Pour aller plus loin, lire le BILLET « Afrique, les yeux tournés vers l’Ukraine » de Paul DERREUMAUX

et regarder notre REPLAY « SHERIF 2022, La souveraineté solidaire »

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