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Après la COP 27, organisée en novembre 2022, le président Emmanuel Macron et plusieurs chefs d’État africains ainsi que diverses ONG, représentants européens, et chefs d’entreprises se sont réunis les 1er et 2 mars, à Libreville, à l’occasion du « One Forest Summit », organisé par le Gabon et la France. Les principaux acteurs en matière de développement et d’environnement se sont penchés sur le sort des forêts tropicales. Plusieurs thématiques ont été au cœur des débats : biodiversité et santé, chaînes de valeur durables et qui profitent aux populations locales, mécanismes de financement innovants pour rémunérer les pays qui réduisent la déforestation ou reforestent.
Plus précisément, l’objectif de ce Sommet était de valoriser le rôle des puits de carbone forestiers face au dérèglement climatique. Le puit forestier africain est un des plus importants au monde avec l’une des principales forêts primaires du monde (3.6 millions de kilomètres carrés). Il se concentre essentiellement dans le bassin du Congo et regroupe 6 pays.
Le Gabon est le premier État à avoir été rémunéré par le crédit carbone car ses forêts absorbent 100 millions de tonnes de CO2 de plus que le pays n’en émet et Libreville s’est engagé à protéger 30% de ses espaces naturels d’ici 2030. De même, le Gabon a décidé d’adapter son modèle économique pour allier développement industriel et gestion durable de ses ressources.
Le Plan de Libreville adopté à l’issue du Sommet s’articule autour de cinq points principaux :
1 . Un accord juste entre la communauté internationale et les États forestiers
L’objectif de ce Plan est de réaffirmer l’engagement politique, d’établir un principe de cohabitation entre l’Homme et la Nature (une forêt préservée au service de la population locale), de disposer de la forêt pour soutenir l’activité économique tout en respectant ses réserves, ainsi que de rémunérer les efforts des États pour ses initiatives et succès environnementaux/écologiques.
2 . Des mécanismes de financement innovants : la création d’un fonds de 100 millions d’euros
Pour initier les contrats de conservation positive, la France, avec l’ONG Conservation International et la Fondation Walton, annoncent la création d’un premier Fonds de 100 millions d’euros pour financer les contrats Partenariats de Conservation Positive (PCP). Ce Fonds sera financé à hauteur de 50 millions par la France, 20 millions par la Fondation Walton, et 30 millions par Conservation International.
Les PCP permettent de rémunérer les pays exemplaires dans la conservation des forêts, la sauvegarde des stocks de CO2 et la biodiversité des espèces. Les pays répondant aux critères pourront bénéficier de ce Fonds grâce à des « certificats de biodiversité », échangeables avec les États souverains ou le secteur privé.
De plus, ce fonds pourra contribuer au développement du marché du carbone. Ce marché est basé sur l’allocation de quotas (un quota représentant le droit d’émettre une tonne de CO, au prix carbone). Le marché du carbone a pour but de limiter les émissions de GES via des quotas d’émissions, qui peuvent être échangés. Chaque année, les États déterminent le nombre de quotas auxquels ont droit les entreprises concernées. Chaque participant soumis au marché, doit, à la fin d’une année, restituer autant de quotas que de CO2 émis dans l’atmosphère. Si les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise sont supérieures au quota alloué : l’entreprise achète, à ce moment-là, des quotas supplémentaires sur le marché du carbone.
Les PCP contribueront au développement des bonnes pratiques et donc, à la diminution des émissions, ce qui se transposera plus tard dans l’augmentation du prix carbone (car moins de quotas seront disponibles).
3 . La coopération scientifique au cœur de la solution
Pour mesurer le solde net de séquestration du carbone et cartographier à l’arbre les réserves les plus vitales de carbone et de biodiversité d’Afrique, d’Amazonie et d’Asie dans les cinq prochaines années, un projet scientifique est mis en œuvre : le « One Vision Forest ».
En parallèle, le Gabon, la France et le Canada ont lancé une plateforme intergouvernementale sur l’utilisation durable du bois et des matériaux biosourcés dans la construction. L’objectif de cette plateforme est de proposer des alternatives au béton et au ciment.
4 . « One Forest Guardian », une initiative pour valoriser et préserver les pratiques traditionnelles
L’Ouganda, la France et le Gabon lancent une coalition « One Forest Guardian » visant à proposer aux pays volontaires d’inscrire leurs pratiques d’ici 2024 dans la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
5 . Une stratégie économique «10by30 »
Le Plan de Libreville prévoit la création de 10 millions d’emplois d’ici 2030, liés à la gestion durable des forêts, avec l’aide des États et l’engagement du secteur privé pour y parvenir.
Onze actions sont proposées pour déployer cette stratégie économique :
1- Développer des plantations dédiées à l’utilisation du bois de chauffage pour freiner la déforestation.
2- Favoriser l’agroforesterie couplée à des activités agro-industrielles pour faire progresser les solutions innovantes, améliorer l’autosuffisance alimentaire et augmenter les exportations.
3- Aider les gouvernements à développer l’aménagement du territoire pour protéger la biodiversité et réduire la production de charbon de bois.
4- Promouvoir des normes industrielles harmonisées sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance aux niveaux local et mondial.
5- Adopter les principes de l’économie circulaire dans les chaînes d’approvisionnement, en privilégiant les synergies pour accroître l’efficacité des ressources.
6- Investir, aux côtés des gouvernements, dans des programmes de développement des compétences et dans des centres de formation professionnelle en partenariat avec les gouvernements locaux, en augmentant ainsi l’employabilité.
7- Réduire l’intensité des émissions de carbone des produits grâce au suivi des émissions de gaz à effet de serre, à l’adoption de solutions technologiques à émission de carbone faible ou nulle dans l’ensemble de nos chaînes d’approvisionnement, et au rapprochement des chaînes d’approvisionnement des ressources naturelles et des consommateurs.
8- Mettre en œuvre des activités forestières durables et des programmes de conservation des forêts.
9- Promouvoir des solutions de traçabilité renforçant la confiance, l’efficacité et la durabilité.
10- Favoriser les partenariats public-privé débouchant sur des transferts de technologie, sur le développement de compétences et sur des investissements.
11- Collaborer avec les initiatives et les plateformes mondiales et régionales existantes afin d’apporter une nouvelle vision et insister sur la durabilité.
Le plan de Libreville aborde diverses dimensions afin de renforcer la lutte contre les défis environnementaux. Cette année, le forum s’est focalisé sur la protection des forêts tropicales et l’importance des puits forestiers.
L’aspect économique, et scientifique sont au cœur de la solution. L’objectif étant de promouvoir et instaurer les bonnes pratiques écologiques dans la gouvernance publique.
Néanmoins, l’enquête publiée par The Guardian et l’hebdomadaire Die Zeit, a lancé un débat sur l’efficacité des projets liés à la protection et le sauvegarde des forêts. L’enquête révèle que 90% des crédits issus de projets volontaires et certifiés par Verra (principal organisme d’homologation) n’apportent pas de bénéfice et les définis comme « crédits fantômes ». Le prochain sommet, organisé par les Nations Unis, le débat continuera et devrait éclairer les pays du bassin du Congo sur l’avenir des aides financières promises par les États industrialisés.
Teresa CLEMENTE
Chargée de mission à la Fondation prospective et Innovation
Pour aller plus loin:
Billet d’actualité – Le financement de la transition énergétique en Afrique
Rapport de l’OCDE sur l’Aide Publique au Développement en 2021
Vidéo – Entretien avec Alain PICHON : « Transition énergétique et solidarité »